Cette exposition, soutenue par la DRAC Île-de-France, est réalisée dans le cadre du 170e anniversaire de la naissance de Vincent Van Gogh. Elle présente une cinquantaine d’œuvres issues des collections de Musées nationaux, de Musées de France et du Musée Daubigny. Elle accueille le public jusqu'au 11 février 2024.
À partir de 1872, et jusqu’à sa mort, Van Gogh entretient un lien épistolaire intense avec son frère cadet. 652 lettres écrites par Vincent à Théo, auxquelles s’ajoutent, entre autres, une correspondance pendant cinq ans avec le peintre et dessinateur néerlandais Anthon van Rappard. Ces lettres témoignent de sa formation artistique, de son érudition et du regard tout à la fois technique et sensible qu’il porte sur les artistes qui l’ont précédé.
Van Gogh admire particulièrement les paysagistes que sont Corot (un des fondateurs de l'école de Barbizon), Daubigny et Dupré (attachés à cette École), parce qu'ils ont su représenter la nature dans ce qu’elle offre de plus sensible. Tout au long de sa correspondance, Van Gogh fait régulièrement référence au peintre Charles François Daubigny, également graveur et dont plusieurs estampes figurent dans sa collection. Son dernier hommage à Daubigny sera la toile qu’il exécutera à Auvers-sur-Oise, quelques jours avant sa mort.
Jean-François Millet (1814-1875) "Le Semeur", entre 1851 et 1879 Lithographie 27,3 x 19,8 cm Cherbourg-en-Cotentin, musée Thomas Henry © Musée Thomas Henry, Cherbourg-en-Cotentin
Il révère Millet "le père" en tout, auquel il reste fidèle jusque dans ses derniers jours. Il fait l'éloge de Delacroix, de Diaz et de Ziem pour leurs théories sur la couleur qu’il considère comme fondatrices et qui exercent une influence déterminante sur son œuvre. Daumier compte parmi les artistes les plus cités dans les lettres de Vincent. "Des gens comme Daumier, on doit les vénérer, car ils sont parmi les pionniers. La figure simplement nue, mais moderne est noble, éminente, distinguée" écrit Van Gogh. Il perçoit beaucoup de sensibilité et de passion dans ses caricatures, ce qui témoigne de sa grande curiosité artistique.
Honoré Daumier (1808-1879), "L’Artiste à la mise au tombeau" ou "L’Artiste dans son atelier", vers 1867 Huile sur toile 26,4 x 33,8 cm Reims, musée des Beaux-Arts © Reims, Musée des Beaux-arts / photo : C. Devleeschauwer
"Les citations de Vincent sont au cœur de l’exposition, elles en constituent le fil rouge"
L’artiste guide ainsi le visiteur à travers une collection rêvée qui permet de mieux comprendre les différentes facettes de son travail. Il sait repérer ce qu’il y a de plus fort dans ces peintures, ce qui permet de porter un nouveau regard sur les artistes mis à l’honneur : Jules et Émile Breton, Pierre Puvis de Chavanne, Honoré Daumier, Georges Michel, Gustave Courbet, Ernest Meissonier, Camille Corot, Charles François Daubigny, Jean-François Millet…
Jules Dupré (1811-1889) Paysage, 1880 Huile sur bois 23,5 x 33 cm (avec cadre) Beauvais, MUDO, Musée de l’Oise © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojeda
Camille Corot (1796-1875) "Le Marais", vers 1870 Huile sur toile 32,3 x 52,2 Reims, Musée des Beaux-Arts © Reims, Musée des Beaux-arts / photo : C. Devleeschauwer
Agnès Saulnier-Chemin nous parle de la grande culture artistique de Van Gogh, des peintres qu'il aime, de la genèse de l'exposition...
Comment est né le projet de cette exposition ?
Nous savions qu’à l’occasion des 170 ans de la naissance de Van Gogh, le musée d’Orsay allait proposer une exposition réunissant les œuvres peintes à Auvers. Pendant les deux mois et demi que durera son séjour, l’artiste a fait preuve d’une incroyable productivité. Il y a peint soixante-treize tableaux et réalisé trente-trois dessins qui marqueront l’histoire de l’art pour toujours et feront d’Auvers-sur-Oise un village connu dans le monde entier. L’exposition du musée d’Orsay allait donc être un coup de projecteur incroyable sur le village et à défaut de pouvoir présenter des œuvres de Van Gogh, nous souhaitions porter un regard nouveau sur l’artiste.
"Reconstituer le musée qu’il avait dans la tête"
A la lecture de ses lettres, nous avons été marquées par sa très grande culture artistique. Il fait référence aux artistes de son époque en permanence et décrit leurs œuvres avec beaucoup de finesse. Il nous a donc semblé intéressant de mettre en regard ses commentaires très justes avec les œuvres des artistes cités, de reconstituer le musée qu’il avait dans la tête.
Lucien Pissaro "Les Sarcleuses", gravure sur bois 20.4x 27.4 cm et "Femmes faisant de l’herbe"Gravure sur bois 38 x 30.3 cm Musée d’Art et d’Histoire Musée d’Art et d’Histoire Pissarro-Pontoise © MAHP-Pontoise
Combien de temps exige la mise en œuvre de ce " musée rêvé de Vincent" ?
Il faut compter un an et demi de préparation depuis les premières lectures jusqu’à l’accrochage des œuvres. Ce temps permet de localiser les œuvres, de sélectionner les plus pertinentes et de faire les demandes de prêt suffisamment tôt aux différentes institutions. Certains musées nationaux exigent d’avoir les demandes de prêt presque un an à l’avance.
Ernest MEISSONIER (1815-1891) "Le Dessinateur, dit aussi Huile sur bois", 1855 20 x 13 cm Paris, Musée d’Orsay, en dépôt au musée national du château de Compiègne © : RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Thierry Ollivier
Est-ce compliqué de rassembler un grand nombre d’œuvres cité par le peintre ?
Non car Van Gogh cite beaucoup d’artistes donc nous avions un très grand choix et les musées prêtent sans difficulté en règle générale.
De quelle manière la DRAC Île-de-France a-t-elle accompagné ce projet ?
La DRAC nous accompagne financièrement sur tous nos projets. C’est le cas pour cette exposition. Mais elle nous apporte également son aide technique et son expertise quand nous en faisons la demande.
Avez-vous réussi avec cette exposition à exprimer au plus près les observations et représentations contenues dans La correspondance de Vincent avec son frère Théo Jusqu'à sa mort, le 29 juillet 1890 ?
Les citations de Vincent sont au cœur de l’exposition, elles en constituent le fil rouge. Cela nous a permis de rester fidèles à ses goûts. Certaines très belles œuvres d’artistes cités par Van Gogh n’ont pas été retenues pour l’exposition car elles n’étaient pas représentatives de ce qui plaisait à Vincent.
Quelle résonance pouvons-nous retenir entre les œuvres présentées au musée Daubigny et les œuvres postimpressionnistes de Van Gogh ?
"L’émotion contenue dans les paysages de Van Gogh est née de l’observation de Corot, de Daubigny, d’Émile Breton"
Émile Breton (1831-1902) "La Grêle" Huile sur toile 110 x 140 cm Douai, musée de La Chartreuse © Douai, Musée de la Chartreuse
Le lien n’est évident avec aucune œuvre de l’exposition. Son style est trop nouveau, il semble ne faire appel à aucune référence. Pourtant, à la lecture de l’exposition, on comprend qu’il a puisé le meilleur dans tous les styles artistiques du XIXe siècle. L’émotion contenue dans les paysages de Van Gogh est née de l’observation de Corot, de Daubigny, d’Émile Breton. Ses théories sur la couleur doivent beaucoup aux peintres de l’école de Barbizon : Théodore Rousseau, Jules Dupré...
Charles François Daubigny (1817-1878) "Le Plateau de Valmondois, près d'Auvers-sur-Oise" Huile sur toile 40 x 56 cm Meudon, musée d’art et d’histoire © Collection du Musée d’art et d’histoire de la Ville de Meudon
Les bonheurs, la passion, les difficultés ?
Le plus intéressant me concernant est de découvrir des œuvres que je ne connais pas et que personne n’a eu l’occasion de voir. Je pense notamment à un très beau tableau de Gustave Courbet que nous présentons dans l’exposition et qui nous vient d’un collectionneur privé. C’est une vraie découverte. Les difficultés sont souvent liées aux exigences de transport qui sont légitimes mais parfois dures à assumer financièrement. En général, les musées essaient de nous arranger au maximum en réutilisant des caisses, en acceptant exceptionnellement des tamponnages sur certaines œuvres... Il y a une vraie solidarité entre nos institutions pour que les projets des petits musées voient le jour.
Gustave Courbet (1819-1877) "Puits noir", 1865 Huile sur toile 54 x 65 cm Collection particulière © : Studio Sebert
Les œuvres présentées font-elles écho à celles exposées en ce moment au musée d’Orsay pour les 170 ans de la naissance du peintre hollandais ?
"A chacun de faire le rapprochement entre les œuvres de Vincent et celles des artistes qu’il admirait"
Charles François DAUBIGNY (1817-1878) "L’Arbre aux corbeaux" Eau-forte 20,4 x 30 cm Auvers-sur-Oise, musée Daubigny © Musée Daubigny, Ville d’Auvers-sur-Oise
L’Arbre aux corbeaux de Charles François Daubigny fait directement écho au Champ de blé aux corbeaux, œuvre magistrale présentée au musée d’Orsay. Il est très vraisemblable que Van Gogh ait pensé à cette eau-forte quand il a peint le tableau. Pour le reste, à chacun de faire le rapprochement entre les œuvres de Vincent et celles des artistes qu’il admirait.
Van Gogh : le retour vers le nord
Le 8 mai 1889, le pasteur Frédéric Salles accompagne Vincent à l’asile psychiatrique Saint-Pierre-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence où il restera un an. Début 1890, le projet de revenir vers le Nord prend corps. Sur les conseils de Camille Pissarro, Théo a pris contact avec le docteur Gachet qui réside à Auvers-sur-Oise.
"Mon cher frère, […] Je te dis, pour le travail je me sens la tête sereine absolument et les coups de brosse me viennent et se suivent très logiquement. Enfin à Dimanche AU PLUS TARD, je te serre bien la main en attendant, bien des choses à Jo."
Vincent arrive à Paris le 16 mai 1890. Il séjourne brièvement chez son frère, où il fait la connaissance de Jo et de son neveu Vincent, et retrouve quelques amis peintres. Mais déjà le séjour lui pèse.
Jules Breton (1827-1906) "La Raccommodeuse de filet" Huile sur toile 101 x 66 cm Douai, musée de La Chartreuse © Douai, Musée de la Chartreuse Photographe : Image et Son
Le 20 mai, il prend le train pour Auvers-sur-Oise. Dans la première lettre qu’il écrit à Théo, le jour de son arrivée, il relate sa rencontre avec le docteur Gachet. Pendant les 70 jours que dure son séjour à Auvers, Vincent peint soixante-treize tableaux et réalise trente-trois dessins. Dès son arrivée, il se jette dans le travail, les sujets s’enchaînent : le village, des portraits, la plaine.
Armand Guillaumin (1841-1927) "La Seine à Rouen", Huile sur toile 60x73 cm Douai, musée de La Chartreuse
© Douai, Musée de la Chartreuse
Vincent a une profonde admiration pour Georges Michel. Il possède la biographie écrite par Alfred Sensier et en a même envoyé un exemplaire à sa famille en Hollande. D’Auvers, le 2 juillet 1890, il écrit encore à son frère qu’il a peint "Un paysage en longueur avec les champs, un motif comme serait de Michel mais alors la coloration est vert tendre, jaune et bleu vert"
Georges Michel (1763-1843) "L’Orage", 1835-1840 Huile sur papier marouflé sur toile 46 x 62 cm Collection particulière © Studio Sebert
Le dimanche 27 juillet, dans la plaine d’Auvers qu’il a si souvent peinte, Vincent se tire une balle dans la poitrine. Gravement blessé, il revient à l’auberge Ravoux où il décède le 29 juillet. Théo, atteint de syphilis, meurt six mois plus tard, le 25 janvier 1891. Selon le souhait de Jo, Vincent et Théo reposent au cimetière d’Auvers-sur-Oise, dans des tombes reliées entre elles par du lierre.
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