Rustrel, Lagarde d’Apt - Anciennes installations de dissuasion nucléaire du plateau d’Albion
- commune : Rustrel, Lagarde d’Apt
- appellation : Anciennes installations de dissuasion nucléaire du plateau d’Albion
- auteur : 1966-1971
- date : édifice non protégé
- protection : édifice non protégé
- label patrimoine XXe : Commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) du 3 juillet 2013
Le système sol-sol balistique stratégique (SSBS) du plateau d’Albion a été conçu pour résister à une attaque nucléaire et effectuer des tirs de représailles. Il s’inscrit dans le cadre du programme de frappe nucléaire voulu par le général de Gaulle, président de la République française, au début des années 1960. Il a été en fonctionnement permanent d’août 1971 à septembre 1996. Unique site terrestre français de dissuasion nucléaire, il a marqué le bouleversement d’un territoire d’un point de vue géologique, démographique, social et culturel. Le système dans son ensemble était déployé sur un secteur de 800 km² touchant le Vaucluse, la Drôme et les Alpes de Haute-Provence, le cœur du dispositif se trouvant sur le plateau d’Albion.
Le système SSBS comportait à l’origine deux antennes de réception, deux postes de conduites de tir et 18 zones de lancement, plus des installations annexes pour les militaires.
Devenu obsolète, le site a été démantelé en 1996. Certaines des installations ont retrouvé un usage, inverse d’ailleurs au programme initial de destruction massive, en devenant des lieux de recherches scientifiques ou d’observation, pour partie ouverts au public.
Situé au sud-est du Mont Ventoux et au sud de la montagne de Lure, le plateau d'Albion est un vaste espace qui fait partie du Parc naturel régional du Luberon. Le site fut préféré à celui de Valensole, pour son sous-sol idéal : calcaire facile à travailler, suffisamment résistant pour encaisser des chocs et à l’écart de la zone sismique de la Durance. En surface, une étendue quasi déserte à perte de vue s'étendait sur 800 km2.
Sur place, tout était à faire : aménagement des routes, amélioration de la desserte en eau puisée de la Durance, installation de 120 kilomètres de lignes électriques haute-tension pour l'ensemble du dispositif, afin de préparer l'arrivée de près de 5000 consommateurs dans la région.
Le service du génie et une Direction des travaux spéciaux du génie sont créés à Apt en 1966. Cette dernière règle la procédure des acquisitions de terrains et la coordination des travaux confiés aux services des ponts et chaussées, à EDF et aux PTT. La Direction technique engins est responsable de la réalisation des travaux opérationnels (postes de conduite de tir, silos des missiles), la Direction de l'infrastructure de l'Air de celle des travaux de la base et de la cité des cadres. En 1968, ce sont plus de 1000 ouvriers qui sont présents sur le chantier.
L’arrivée de l’armée sur le plateau d’Albion bouleverse ce secteur demeuré très traditionnel, alors en grande difficulté économique, et suscite des réactions très partagées. Des mouvements de contestation se manifestent, notamment autour du poète René Char.
Le système SSBS était constitué :
- de deux postes de conduite de tir (PCT), situés l’un à Reilhanette (Drôme), l’autre à Rustrel (Vaucluse) : ce dernier seul est conservé. Les postes de conduite de tir permettaient la surveillance à distance et le tir des missiles. Ils étaient conçus non seulement pour résister à une attaque nucléaire mais également pour parer à toute tentative d’intrusion ou de sabotage grâce à de longues galeries à angle droit de près de 2 km de long. Chaque poste, conçu comme un véritable bunker, avait en charge 9 zones de lancement de missiles.
L’infrastructure des postes de conduite de tir était enterrée sous la roche à plus de 500 mètres de profondeur et complètement isolée de la surface. La partie visible se composait d'une vaste plateforme bétonnée, toujours en place aujourd’hui, de la taille d’un demi terrain de football entièrement clôturée et d'un mur en béton long de 30 mètres sur 5 de hauteur. Une porte métallique protégeait la conciergerie, à partir de laquelle une porte blindée donnait accès à un tunnel bétonné de plus de 2 km, situé sous la montagne. Construit pour résister à une éventuelle explosion, celui-ci est équipé d’une galerie anti-souffle, et à son extrémité, d’un puits de secours. Il conduit au poste ou "capsule" de tir, une salle en forme de capsule de médicament, de la taille d’une carlingue d'Airbus. Ce cocon en béton armé est suspendu sur des ressorts amortisseurs au sein d'une caverne artificielle creusée à même la roche ce qui lui assurait une protection contre les effets d’une onde de choc sismique naturelle ou provoquée par une explosion nucléaire. La capsule (8 m de haut, 28 m de long) recouverte de 3 mètres de béton est entièrement tapissée d'un acier spécial afin d'obtenir une cage de Faraday aussi parfaite que possible. Deux pupitres distants de 4 mètres l'un de l'autre étaient installés face à la paroi latérale. L'ordre de tir devait être déclenché de manière simultanée à l’aide de deux clés que portaient au cou les officiers de tir durant la veille. Les deux officiers travaillaient 24 heures d'affilée, assis dans des fauteuils sur rail, devant des consoles et des écrans contrôlant l'état des dix-huit missiles répartis dans les zones de lancement, situées en surface. Vingt officiers de tir assuraient par rotation la "garde" des postes de conduite de tir.
- de deux antennes verticales de transmission : la transmission des informations de télésignalisation, télécommandes, ordres entre les zones de lancement et le poste de conduite de tir était assurée par un réseau filaire couvrant toute la zone de déploiement. En secours, la transmission était assurée par onde de sol, même en cas d'explosion nucléaire.
Les sites "verticaux" (V) étaient les derniers relais de transmission vers les postes de conduite de tir. Située à 450 m d’altitude, à l'aplomb de ces derniers, l’antenne Verticale constitue un des éléments fonctionnels bâtis et visibles du système. Aujourd’hui trois antennes sur quatre ont été détruites. Seule l’antenne Verticale 1 située au dessus de l’ancien PCT1 de Rustrel est encore visible.
- et de 18 zones de lancement, enceintes protégées, toutes identiques, contenant les installations pour le maintien en l’état, la surveillance à distance et le lancement des missiles.
Chaque zone de lancement occupait une aire rectangulaire de 14.000 m² et disposait d’un bâtiment de surface, d’un silo du missile équipé de ses instruments de tir, d’un abri auxiliaire et d’un local de protection. Le silo est une structure enfouie d’un diamètre de 9 m et d’une trentaine de mètres de profondeur, comportant un massif de tête et un fût, et destinée à abriter le missile et à le propulser si nécessaire. Le missile reposait sur une suspension composée d’une couronne porteuse supportant l’engin, elle-même soutenue par quatre élingues reliées à des amortisseurs. En séquence de tir, la suspension se bloquait automatiquement pour caler le missile au moment du départ. En séquence d’explosion nucléaire, la suspension était maintenue débloquée pour laisser passer l’onde de choc et ainsi protéger le missile. La porte principale, en béton, de 145 tonnes, pouvait être ouverte sur commande du poste de conduite de tir, au terme d’un protocole extrêmement contrôlé. Lors du lancement du missile, elle pouvait être éjectée en quelques secondes à plusieurs mètres de hauteur.
Le missile SSBS en service jusqu’en juin 1996 était composé d’une tête thermonucléaire mégatonnique, avec propulseur d’une portée de plus de 3 500 km.
A Saint-Christol d’Albion se trouvait la base-support destinée à maintenir en condition opérationnelle les missiles et les éléments périphériques, et regrouper les fonctionnements de commandement opérationnel, de support technique, d’entraînement des officiers de tir et d’instruction du personnel pour toutes les tâches de maintenance. 2 000 personnes y travaillaient. Fermée en 1999, elle abrite désormais le 2e régiment étranger de génie de la Légion étrangère, sous le nom de Quartier Koening.
A Apt, plusieurs infrastructures annexes complétaient les installations proprement militaires : la cité Saint-Michel, d’une capacité de 874 logements, avec ses équipements (marché, agence postale, chapelle, écoles maternelle et primaire) ; le Cercle mixte de l’Air d’Apt (architecte Max Bourgoin, 1968), destiné à faire le lien entre les populations civiles et militaires, aujourd’hui transformé en hôtel ; le centre d’accueil (Max Bourgoin, 1967-68), lieu de repos pour les appelés du contingent en permission à Apt.
En 1996, Jacques Chirac, président de la République, décide "le retrait du service de la composante sol-sol du plateau d’Albion dont les missions ne se justifient plus dans le contexte actuel et dont la modernisation aurait été, en tout état de cause, extrêmement coûteuse". Le démantèlement du système Groupement de missiles stratégiques du plateau d’Albion est engagé aussitôt et se termine en 1998. La question de la reconversion est étudiée, car le site, avec ses kilomètres de galeries souterraines aménagées, est unique en France.
Dès 1997 est engagée la reconversion du poste de conduite de tir n° 1, le seul conservé, en laboratoire de recherche, sous l’impulsion de Georges Waysand (Groupe de Physique des Solides, universités Pierre et Marie Curie - Pairs 6 et Denis Diderot - Paris 7), avec le concours de tous les partenaires intéressés. Les galeries souterraines et la capsule de tir ont été conservées. Le Laboratoire Souterrain à Bas Bruit (LSBB) est une plateforme interdisciplinaire pour la recherche et le développement, et l’innovation scientifique et technologique. Elle permet de développer les collaborations entre scientifiques et industriels notamment dans les domaines suivants : milieux confinés, risques géologiques et hydrogéologiques, électronique, métrologie et observation de l’environnement radiatif. Le site bénéficie d’un environnement très bas bruit (sismique, anthropique et électromagnétique) dans la zone la plus profonde qui permet la qualification de systèmes et composants nanoélectroniques et l’étalonnage de dispositifs métrologiques avancés. L’antenne de transmission liée au poste de conduite de tir n° 1 a été également été conservée ; elle se situe en surface, à la verticale de ce dernier.
En raison du nombre important de zones de lancement (18), la reconversion de ces dernières a été étudiée au cas par cas. Elles ont toutes été remblayées et totalement recouvertes, à l’exception de la zone de lancement 1.2 située à Lagarde d’Apt, qui possède encore sa porte principale, les trappes des services annexes et son bâtiment de surface. Le terrain, racheté par la commune lors du démantèlement est désormais géré par la communauté de communes du Pays d’Apt. En 2001, cette dernière a participé à l’installation sur ce site de l’Observatoire astronomique SIRÈNE.
Par ailleurs, des objets témoins (missile, reconstitution d’une capsule de tir) sont conservés au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget.
La labellisation concerne ces trois éléments -poste de conduite de tir n° 1, antenne verticale associée et zone de lancement 1.2- témoins matériels, représentatifs de l’ensemble du système sol-sol balistique stratégique et de la chaîne protocolaire de lancement de missile. Le site militaire du plateau d’Albion est un unicum sur le territoire métropolitain, et on compte moins de 5 sites similaires au monde. Il constitue un témoin exceptionnel de l’histoire militaire, industrielle et technique nationale ; c’est aussi un témoin de l’histoire culturelle, économique et sociale de son territoire d’implantation.
- Source : Mélaine Favre, Projet de labellisation au Patrimoine du XXe siècle des anciennes installations militaires du plateau d’Albion, mémoire de M2, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2012-2013, dir. Sylvie Denante, DRAC PACA, Stéphane Gaffet, LSBB, CNRS/UMS 3538, Bruno Bertherat, UAPV.
Partager la page