Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire, cher Philippe,
Monsieur le président, cher Richard,
Mesdames et messieurs les exploitants de salles,
Mesdames et messieurs les distributeurs,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Quel plaisir d’être ici, à Deauville, à vos côtés !
Un plaisir d’autant plus grand que le cinéma français vit une année enthousiasmante.
Il y a d’abord les entrées, en hausse de 5% par rapport à la même période l’an dernier.
Il y a eu, avant l’été, un palmarès cannois qui ne s’oublie pas, avec Parasite, la Palme la plus populaire en quinze ans, trois films français et deux coproductions françaises récompensés !
Il y a eu, aussi, de beaux succès français en matière de fréquentation : Les Invisibles et Le Chant du Loup, en début d’année, C’est quoi cette mamie ? et La Vie Scolaire, ces dernières semaines.
Et il y en aura d’autres, à n’en pas douter.
Je pense au film Les Misérables, qui vient d’être sélectionné pour représenter la France aux Oscars.
Il sortira en salles en novembre, et je lui souhaite beaucoup de succès.
Chers amis,
Je crois profondément que la salle de cinéma tient une place particulière dans notre société.
Notre réseau de salles est le premier d’Europe. Et le cinéma demeure la sortie culturelle la plus populaire auprès des Français - comme tu l’as rappelé, cher Richard.
Cette place toute particulière, il faut la défendre.
La réaffirmer.
Parce que le spectacle auquel on assiste dans une salle obscure ne ressemble à aucun autre.
On se sent infiniment petit, face au gigantesque écran, face au son assourdissant.
On y entend des répliques qui résonnent en nous ; des bruits sourds qui nous réveillent d’un seul coup ; des bandes originales qu’on s’empresse de réécouter une fois le film terminé.
Il faut soutenir nos salles, aussi, pour la formidable diversité qui s’y dévoile.
Si la France est une patrie de cinéma, si elle est la terre d’accueil de tous les cinéastes, si le cinéma en France est si riche et divers, c’est donc aussi grâce à vous.
Vous, exploitants, qui risquez tant pour mettre en lumière des films fragiles, ou révéler des réalisateurs inconnus.
Vous, distributeurs, qui risquez tant pour acquérir des droits, et permettre aux films de trouver leur public.
Votre rôle est absolument essentiel.
J’ai conscience des difficultés qu’un certain nombre d’entre vous rencontrent.
Je veux vous assurer que je suis à vos côtés.
Les salles de cinéma sont aussi au cœur de la vie de nos territoires.
Les salles y sont particulièrement bien réparties :
La moitié des Français disposent d'un cinéma dans leur commune.
Et les deux tiers des cinémas sont implantés dans des communes de moins de 20 000 habitants.
Enfin, plus que tout, il faut protéger nos salles pour les émotions partagées qu’elles nous offrent.
Dans une salle, on voit ensemble, on vibre ensemble, on vit ensemble.
Oui : la salle de cinéma réunit. Elle rassemble des femmes et des hommes qui ne se connaissent pas, qui n’ont rien en commun, mais qui, pendant 90 minutes – parfois plus, parfois moins – se passionnent, à l’unisson, pour une histoire qui n’est pas la leur.
Je crois profondément à la salle de cinéma.
Je crois en vous, et c’est parce que je crois en vous que je suis à vos côtés.
Pour vous accompagner et vous aider à vous transformer.
Le nouveau président du CNC, Dominique Boutonnat, vous a présenté tout à l’heure son plan d’action pour l’exploitation.
Comme il vous l’a expliqué, sur la conquête des jeunes, sur la digitalisation des salles : nous serons à vos côtés.
Chers amis,
C’est parce que je crois en vous que je vous appelle aujourd’hui, à un moment crucial pour la création cinématographique en France, à l’unité, à la solidarité, à l’ « esprit de filière ».
C’est avec cet esprit-là que la politique publique en faveur du cinéma a été conçue, dès l’origine.
Elle joue de tous les leviers de l’action publique pour appréhender, de façon globale, de façon cohérente, tous les maillons de la chaîne : nos auteurs, nos producteurs, nos réalisateurs, nos acteurs, nos techniciens, nos distributeurs, nos diffuseurs – qu’ils soient salles de cinéma, éditeurs de vidéos, chaînes de télévision, privées comme publiques, payantes comme gratuites, fournisseurs d’accès à internet, plateformes de téléchargement à l’acte, ou par abonnement.
Tous ces maillons sont interdépendants.
D’où l’esprit de filière qui doit vous lier.
Cet esprit est au cœur du projet de loi audiovisuel que je présenterai en Conseil des ministres fin novembre.
Le constat est partagé : la loi de 1986 relative à la liberté de communication audiovisuelle, et le dispositif réglementaire qui l’accompagne, ne sont plus adaptés.
Depuis 30 ans le secteur a changé du tout au tout.
Notre responsabilité, aujourd’hui, c’est de réaffirmer notre souveraineté culturelle à l’ère numérique.
C’est d’intégrer, dans notre système vertueux de financement de la création, les acteurs qui échappent aujourd’hui à toute forme de régulation.
C’est de moderniser notre cadre de réglementation, tout en confortant le pluralisme et la diversité culturelle qu’il a permis d’installer.
La réponse ne doit pas être une simple « adaptation » à des contraintes qui nous seraient imposées de l’extérieur.
Non, nous devons réinventer notre modèle, au service d’une création libre et indépendante, à la fois accessible et exigeante.
Ce modèle réinventé, nous ne le construirons que dans l’unité.
Nous ne le construirons pas en opposant les diffuseurs et le reste de l’écosystème de la création.
Cela n’aurait aucun sens.
Du dynamisme des diffuseurs dépend le bon financement de la création.
Permettre aux chaînes de disposer de ressources supplémentaires est bénéfique à la création, puisque leur contribution au financement de la création est assise sur leur chiffre d’affaires.
En ce qui concerne plus particulièrement l’autorisation de la publicité pour le cinéma à la télévision, je crois profondément que la solution proposée est favorable pour l’ensemble de l’écosystème.
D’abord, et avant tout, parce que cela donne envie de cinéma aux téléspectateurs. Cela va amener vers les salles un public qui n’y allait pas nécessairement jusqu’à maintenant.
Mais en plus, parce que c’est une source de revenus pour les chaînes, et donc in fine pour la création.
J’entends déjà ce que certains vont me rétorquer.
Ils vont me dire : « Oui, c’est très bien sur le papier, mais dans les faits, l’autorisation pourrait être dévoyée, et ne bénéficier qu’à ceux qui n’en ont pas besoin. »
Nous nous assurerons que ce ne sera pas le cas.
Des quotas seront réservés pour les films d’art et essai et les films européens. C’est également une question d’équité.
Aujourd’hui, les plateformes peuvent librement faire de la publicité, à la télévision, pour des œuvres qui ne sortent pas en salles.
Et d’ailleurs, Netflix n’a pas hésité à le faire pour promouvoir Bird Box avec Sandra Bullock.
Pourtant, des films qui sortent en salles, eux, ne peuvent pas avoir de publicité à la télévision.
Nous devons remédier à cette asymétrie concurrentielle.
La fin des jours interdits obéit à ce même principe d’équité.
A l’heure de la multiplication des écrans, des usages, des plateformes, nous pouvons tous reconnaître que cette règle est obsolète.
Elle ne vous protège plus.
Car si on veut défendre le cinéma, le défendre vraiment, il faut défendre son accès, il faut défendre sa visibilité.
Il faut le faire découvrir et le faire aimer.
Il faut le défendre partout, y compris sur les chaînes gratuites.
Il faut le défendre tout le temps, et pas seulement quatre soirs sur sept.
Bien entendu, nous n’atteindrons nos objectifs de défense de la création qu’en continuant à encourager les acteurs « vertueux ».
Il ne s’agit en aucun cas d’être moins disant sur les objectifs de financement de la création.
Et ça tombe bien : ce n’est pas notre projet !
En premier lieu, ce projet de loi prévoira bien une réforme de cette fiscalité affectée afin de faire participer davantage au financement de la création les plateformes numériques.
Je présenterai en détail les éléments de cette réforme vendredi, dans le cadre d’une conférence de presse.
En deuxième lieu, je souhaite vous annoncer aujourd’hui qu’il n’y aura pas dans le projet de loi de finances pour 2020 de plafonnement des taxes affectées au CNC.
En outre, et je veux être très clair sur ce point : la loi audiovisuelle n’aura ni pour objet ni pour effet de baisser les obligations de financement de la création des diffuseurs « traditionnels ».
Ce que nous souhaitons faire, c’est de permettre aux diffuseurs de mieux valoriser leurs investissements dans la création, tout en protégeant la production indépendante.
Oui : nous devons conforter le modèle de la production indépendante et accompagner la structuration de la filière.
Le rapport de Dominique Boutonnat, rendu public au printemps dernier, l’a rappelé : c’est l’audace des producteurs qui fait les succès en salles et sur les écrans, la diversité de notre création, et le rayonnement de la France.
Alors, donnons-leur les moyens d’être audacieux !
C’est le sens des annonces faites par le Président de la République en mai, en faveur de l’accès au financement des industries culturelles et créatives.
Un fonds d’investissement de 225 millions d’euros sera créé chez Bpifrance.
Une partie sera consacrée aux entreprises de l’audiovisuel et du cinéma pour des investissements en capitaux propres.
En outre, les interventions en prêts participatifs de l’Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles (IFCIC) seront renforcées.
C’est un effort sans précédent.
Ces nouveaux dispositifs seront disponibles très prochainement.
Si cette transformation de notre modèle doit se faire avec les diffuseurs traditionnels, elle doit aussi se faire avec les plateformes.
Nous les intégrerons à notre modèle.
« Intégrer », cela ne veut pas dire « s’opposer ».
Cela veut dire ne pas renoncer à ce que nous sommes, à nos valeurs, à notre philosophie.
Cela veut dire continuer à exiger que ceux qui diffusent les œuvres financent ceux qui les créent.
Cela veut dire encourager les acteurs vertueux, et avantager ceux qui sont les meilleurs alliés de la création.
C’est sur ce modèle de vertu que s’est construite la chaîne Canal+, premier financeur du cinéma en France.
Et c’est ce modèle que nous devons continuer à défendre.
Les plateformes apportent un service que nos concitoyens apprécient.
Et elles offrent à nos créateurs des opportunités de création et de diffusion immenses.
Elles ne sont pas une menace en soi.
Elles en représentent une dès lors qu’elles ne jouent pas le jeu, quand elles violent les fondements de notre droit d’auteur ou l’indépendance de nos producteurs, par exemple.
C’est le cas, à travers les conditions contractuelles qu’elles imposent parfois – je pense aux cessions de droits patrimoniaux, ou à leur rapport au « montage final », le « final cut » de l’auteur.
La loi prévoira des dispositions pour faire obstacle à ces pratiques.
En outre, la loi leur imposera les mêmes obligations de financement de la création que les autres diffuseurs.
Les plateformes devront également être conventionnées par le CSA, au même titre que les autres acteurs.
Pour permettre d’atteindre ces différents objectifs, le dispositif sera simple, ambitieux, et permettra une plus grande souplesse en laissant plus de place aux accords.
Nous devons simplifier le socle légal et réglementaire :
Tous les acteurs qui visent le marché français seront soumis à des obligations d’investissement dans la création.
Il n’y aura pas de fusion des obligations. Elles resteront distinctes entre cinéma et audiovisuel.
Une partie d’entre elles devra se faire sous forme de préfinancement, y compris les services de médias audiovisuels à la demande.
Le préfinancement, nous le savons tous, est essentiel à la prise de risque et à l’innovation.
Les niveaux d’obligations seront différenciés selon la nature de la programmation.
Des taux plus élevés seront appliqués aux services diffusant exclusivement ou majoritairement des œuvres que pour les services diffusant également des programmes de flux ou de l’information…
Tous les acteurs, y compris les SMAD, se verront également appliquer des obligations d’investissement dans la production indépendante.
Les principes de ces obligations figureront dans la loi, et leurs critères seront précisés par décret.
Au regard du « modèle américain », l’obligation de production déléguée est une vraie révolution.
Pour plus de réactivité face aux évolutions du contexte, et plus d’adaptation aux spécificités éditoriales de chaque éditeur :
La place des accords professionnels sera renforcée, et ils devront associer les auteurs pour les dispositions qui les concernent.
Le rôle du CSA sera plus important, en particulier vis-à-vis des SMAD.
Et le ministère de la Culture interviendra pour fixer des « filets de sécurité » réglementaires, afin de favoriser les négociations et garantir leur équilibre.
Le socle minimal des négociations sera fixé de façon à inciter les parties prenantes à privilégier la conclusion d’un accord plutôt que l’application du décret « par défaut ».
Ce modèle réinventé appelle une régulation repensée.
Il nous faut un régulateur qui puisse prendre en charge efficacement tout l’écosystème audiovisuel.
Les compétences et les interlocuteurs du CSA et de l’HADOPI se sont rapprochés. Nous devons en tirer toutes les conséquences.
Nous fusionnerons ces deux autorités en un régulateur unique : l’ARCOM – l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Elle garantira la protection du droit d’auteur et la promotion du financement de la création, la diversité culturelle et le dynamisme du paysage audiovisuel.
Par ailleurs, nous doterons l’ARCOM de pouvoirs renforcés en matière de lutte contre le piratage.
Le piratage est un pillage : il vide vos salles de cinéma. Mais la réponse que nous lui apportons est trop partielle.
Hier, nous visions le téléchargement pair à pair. Alors qu’aujourd’hui, le piratage se fait à 80% par « diffusion en flux » ou téléchargement direct.
Nous devons nous mettre à jour.
Nous concentrerons nos actions sur les sites-pirates, tout en conservant le dispositif existant contre le téléchargement pair-à-pair.
Nous généraliserons les technologies de reconnaissance de contenus.
Nous créerons une nouvelle procédure de référé pour le piratage sportif.
Nous empêcherons la réapparition des sites-miroirs.
Et nous confierons à l’HADOPI une mission de caractérisation des sites pirates, par la publication de « listes noires ».
Les annonceurs, services de paiement et moteurs de recherche pourront ainsi cesser toute relation avec eux, et les assécher de leurs ressources.
Avant de vous laisser la parole, un point du calendrier.
Le projet de loi sera rendu public au moment de sa transmission au CSA, à l’HADOPI et à l’ARCEP dans les prochains jours ;
Sur l’évolution des rapports entre producteurs et diffuseurs : ce point relève très majoritairement du décret. La loi se limitera à garantir les principes essentiels et l’architecture globale du dispositif. Nous avons donc le temps, dans les prochaines semaines, de discuter des paramètres appropriés.
Nous ne nous précipiterons pas. Néanmoins, nous avons la responsabilité d’aller vite, car il y a en particulier urgence à appliquer les nouvelles règles dès lors que nous aurons transposé les directives européennes.
La volonté du Gouvernement est donc que les négociations entre producteurs et diffuseurs s’engagent rapidement, de manière à aboutir en parallèle de l’adoption de la loi. Je serai le garant de leur équilibre, peut-être si nécessaire par la désignation d’un médiateur pour accompagner ces négociations.
Sur tous ces points, nous vous proposerons dans les tous prochains jours une méthode et un calendrier de travail.
Voilà les engagements que je prends.
J’ai besoin que vous en preniez aussi.
J’ai besoin que vous preniez davantage en ce qui concerne les engagements de programmation.
Car, quand un film ne reste pas assez longtemps à l’affiche, c’est une double frustration.
C’est frustrant pour le public, et c’est frustrant pour les créateurs.
Dominique Boutonnat l’a rappelé tout à l’heure: les engagements de programmation actuels, vous les respectez.
Evidemment, je vous encourage à continuer. Mais je pense qu’on peut faire plus.
Faisons plus, pour la négociation des prochains engagements.
Et faisons plus – et vite – pour le contrat écrit entre exploitants et distributeurs.
Enfin, j’ai besoin que vous preniez des engagements pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour la parité. Sur vos écrans, et dans vos rangs.
Nous en sommes encore loin. Mais nous sommes sur la bonne voie.
Après les Assises de l’égalité l’an dernier, beaucoup de choses ont été faites.
Jusqu’à présent, les demandes émanaient du haut ; désormais, les initiatives proviennent de la filière.
Vous vous êtes totalement appropriés le sujet. Je veux vous en remercier.
Des travaux sont en cours sur la charte d’égalité dans l’exploitation et la distribution. Je vous encourage à la signer rapidement.
Je compte sur vous, et vous donne rendez-vous pour la nouvelle édition des Assises.
Elle se tiendra dans quelques semaines, sur le thème de l’inclusion.
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
L’unité.
Voilà ce que je vous demande.
C’est à cette condition que nous réussirons.
Ce projet de loi peut renforcer tout l’écosystème audiovisuel.
Alors, soyons à la hauteur des enjeux.
Montrons le visage d’une filière unie. Soudée. Solidaire.
C’est l’avenir de notre modèle qui est en jeu.
C’est aussi l’avenir de nos salles de cinéma ; l’avenir de cette « expérience irremplaçable », comme tu le dis si bien, cher Richard.
C’est notre souveraineté culturelle.