Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame l’adjointe au maire, chère Christine Martin,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président de l'ARP, cher Radu Mihaileanu,
Monsieur le président des Rencontres cinématographiques, cher Cristian Mungiu,
Madame la présidente du CNC, chère Frédérique Bredin,
Mesdames et messieurs les présidentes et présidents de chaînes,
Chers amis,
Avant de commencer, permettez-moi d’avoir un mot pour Francis Lai, qui vient de nous quitter. Il a donné au cinéma d’inoubliables mélodies. Il a surtout donné au cinéma un peu de lui. Cher Claude Lelouch… vous le savez mieux qui personne. Il a accompagné vos films, et nos émotions les plus intimes. Son œuvre restera éternelle.
La Culture, c’est cela : c’est ce qui résiste au temps. C’est une fierté et un honneur d’en être le ministre. Une fierté et un honneur de pouvoir travailler à soutenir et à défendre le cinéma français : votre art. Celui que vous faites vivre, que vous faites grandir, que constamment vous réinventez.
C’est un grand plaisir pour moi d’introduire ce débat autour de la modernisation de la loi audiovisuelle.
La repenser, à l’aune du numérique, n’est pas une option. C’est une évidence. Une nécessité. Une obligation.
Nous nous accorderons, je crois, pour dire que notre cadre législatif est dépassé.
On parle toujours de « révolution numérique »… Cette révolution, en réalité, est une démultiplication : démultiplication des acteurs, des programmes, des écrans, des formats, des modes de visionnage et d’acquisition des contenus.
Nous devons faire en sorte qu’elle puisse être une chance. Mais pour l’heure, nous sommes obligés de constater qu’elle fragilise l’industrie audiovisuelle française.
- Elle fragilise ses emplois.
- Elle fragilise le financement de sa création.
- Elle fragilise, en définitive, tout notre modèle de diversité culturelle, que nous nous sommes tant battus à bâtir et à défendre.
En l’espace de quelques années, elle a rendu notre cadre de régulation audiovisuelle obsolète. A nous de le moderniser ! A nous de le transformer, de le faire évoluer, pour pérenniser notre modèle. Oui, les défis sont immenses. Mais nous avons les moyens de les relever. Et notre premier moyen, c’est vous : ce sont vos talents et votre audace ; ce sont la qualité et la richesse de vos productions, de vos coproductions, de vos coopérations.
Quand vous unissez vos forces, vous êtes capables de tout. J’en veux pour preuve l’accord qui vient d’être signé par les organisations du cinéma et Canal+.
Nous pouvons nous en réjouir. Je pense que nous pouvons le dire : c’est un grand jour pour la création et pour le cinéma français.
Pendant plusieurs mois, des négociations intenses se sont tenues entre tous les acteurs. Elles se sont interrompues, il y a quelques semaines, alors qu’un accord semblait proche.
Mais j’ai voulu croire au sens des responsabilités des acteurs de la filière en leur proposant, mardi dernier, une dernière session de dialogue sous mon égide. Je vous sais dans la salle, et je veux ici vous remercier. Vous avez pris la mesure de cette responsabilité, et avez trouvé un accord extrêmement satisfaisant.
- Cet accord prévoit que Canal+ garantira un montant élevé d’investissement dans le cinéma français pour une durée de quatre ans.
- En plus de donner de la visibilité aux acteurs, l’accord prévoit des mécanismes de sécurisation des investissements, qui permettent de les décorréler d’éventuelles brusques évolutions du chiffre d’affaires.
- Il prévoit également des dispositions sur la transparence de la mise en œuvre des accords, de nature à renforcer la confiance entre les parties prenantes.
Dans un contexte où une partie du secteur avait exprimé des craintes quant au rôle futur de Canal+ dans le financement du cinéma français, il s’agit d’un accord extrêmement positif pour l’ensemble de la filière.
Quelques jours après l’achat des droits du Championnat anglais pour la période 2019-2022, cette signature vient conforter le modèle de chaîne généraliste de Canal+, élément essentiel de l’écosystème de la création cinématographique.
Qui plus est, Canal+ s’est engagé à présenter sa candidature au CSA pour la poursuite de son exploitation TNT.
C’est un grand jour pour la création et pour le cinéma français parce que la signature de cet accord permet d’espérer, dans les tous prochains jours, la signature finale de l’accord sur la chronologie des médias.
Je sais que les dernières discussions entre les organisations du cinéma et Orange sont elles aussi en bonne voie et devraient aboutir très prochainement.
Le compromis sur le nouveau texte de la chronologie des médias – pour lequel s’est mobilisée ma prédécesseure Françoise NYSSEN et que je présenterai plus précisément lors de la signature définitive de l’accord – sert une double ambition :
- Consolider le modèle de financement de la création audiovisuelle française, en favorisant les diffuseurs les plus vertueux et les plus engagés ;
- Et améliorer l’accès du public aux œuvres, en prenant la juste mesure de l’évolution des attentes et des usages.
Un tel accord sera la parfaite illustration d’une filière cinématographique française qui s’organise et qui se rassemble pour prendre en main son destin. Sa signature permettra d’engager sous les meilleurs auspices les grands chantiers qui nous attendent, pour réformer en profondeur le cadre de la régulation audiovisuelle.
La filière a su prendre ses responsabilités. L’Etat le fera également. Il sera fidèle à sa mission d’actionnaire du service public.
L’audiovisuel public est absolument essentiel à notre paysage audiovisuel et cinématographique, tant ses investissements sont importants dans la création. Il doit le rester, et occuper une place plus centrale encore. Ce n’est qu’en anticipant les évolutions futures qu’il y parviendra.
C’est tout le sens de la grande transformation engagée. Je tiens à saluer non seulement les dirigeants des entreprises publiques – qui sont d’ailleurs beaucoup des dirigeantes – mais aussi leurs équipes pour leur volontarisme en la matière.
Cette transformation doit permettre à l’audiovisuel public de renouer avec la jeunesse de France. Les moins de 30 ans sont les premiers à s’approprier les nouveaux usages, ils comptent pour un tiers de la population, et ils sont l’avenir de notre pays ; l’avenir de vos publics. Ce sont eux qui, en priorité, doivent être reconquis.
Cette transformation participera à rapprocher l’audiovisuel public de nos territoires. Il deviendra un média de proximité, plus à l’écoute, plus représentatif de la réalité de nos territoires, grâce à des coopérations renforcées entre France 3 et France Bleu.
Elle doit faire de l’audiovisuel public un laboratoire du numérique : son financement par l’Etat et sa moindre dépendance à la publicité doivent l’inciter à oser, à innover, à créer.
Ces créations seront autant de nouveaux programmes, audacieux et exigeants, culturels notamment.
L’audace et l’exigence : France 3 en a fait preuve, en décidant d’adapter en série le premier roman de Nicolas MATHIEU, Aux animaux la guerre.
L’audace et l’exigence payent : depuis hier, Nicolas MATHIEU est lauréat du prix Goncourt ; et France 3 diffuse les premiers épisodes de sa série à partir de jeudi prochain… quelle synchronisation !
Ces créations, nous en soutiendrons l’émergence, grâce à un budget de la création sanctuarisé pour l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public. Elles sont les premiers garants de la diversité culturelle.
Faire de l’audiovisuel public un média tourné vers le numérique, cela implique de faire des choix. Je les assume. L’offre linéaire sera recentrée autour d’une identité plus marquée. A ce propos, je veux le dire avec force : le service public saura honorer l’excellence française en matière d’animation ; et l’ensemble des chaînes nationales devront assurer une visibilité appropriée à la dimension ultramarine de la communauté nationale. Sur ces sujets, l’offre des sociétés sera forte et leurs engagements de financement, maintenus.
Par ailleurs, nous développerons, l’offre non linéaire. De plus en plus de programmes ont vocation à être diffusés exclusivement sur les supports numériques, qui permettent d’atteindre les publics là où ils sont. Nous devrons nous poser la question des plateformes de diffusion des programmes.
Au contact du numérique, le public est devenu plus exigeant. Il a pris l’habitude de Netflix, de sa navigation fluide, de ses suggestions personnalisées. Les contenus de qualité ne lui suffisent plus. Il demande également une plateforme de qualité.
Une plateforme « éditorialisée », qui guide chaque téléspectateur et l’accompagne dans l’abondance des programmes. Sur ce point, les nouveaux acteurs ne sont pas un exemple à suivre. Leur éditorialisation repose sur des algorithmes souvent peu satisfaisants, qui enferment les téléspectateurs dans des choix prédéterminés, et mettent en danger la diversité culturelle.
Transformer l’audiovisuel public, c’est aussi transformer sa gouvernance et son organisation pour qu’il soit plus fort, au service de ses missions redéfinies.
J’ai la conviction que c’est dans l’union que nous trouverons les ressources pour construire un service public à même de répondre aux défis de notre temps ; à même de devenir la référence en Europe. La réforme à venir de la loi de 1986 sur la communication audiovisuelle nous permettra d’inscrire ces grands choix dans la loi.
Vous savez l’ambition qui est la mienne pour l’audiovisuel public. Je veux un audiovisuel public puissant, qui devienne la référence en Europe. Un audiovisuel public plus numérique, plus proche des Français, qui donne voix à la jeunesse, à la culture, aux Outre-mer, et qui contribue au rayonnement de la France dans le monde.
Un audiovisuel public puissant demande des financements pérennes et justes, qui puissent garantir nos ambitions.
En effet, se pose la question de la pérennité des ressources de l’audiovisuel public, parallèlement à l’évolution des usages, mais aussi à l’occasion de la suppression de la taxe d’habitation, à laquelle est adossée la contribution audiovisuelle publique. Je plaiderai pour des orientations et des arbitrages les plus précoces possibles à ce sujet.
L’Etat sera également fidèle au poste pour définir un nouveau cadre de régulation.
Il nous revient de l’adapter, de le moderniser, de permettre aux acteurs traditionnels et aux acteurs numériques de coexister. Entre eux, il existe une trop forte asymétrie :
- Les acteurs traditionnels sont soumis à des règles trop contraignantes.
- A l’inverse, les plateformes échappent aux règles alors même qu’elles captent un public de plus en plus nombreux.
C’est le rôle de l’Etat de rééquilibrer les règles du jeu ; de faire en sorte que les acteurs jouent à armes égales. C’est le rôle de l’Etat de maintenir une concurrence équitable dans le secteur.
C’est le rôle de l’Etat de garantir le juste partage de la valeur entre ceux qui créent, ceux qui financent et ceux qui diffusent les œuvres.
Cette nouvelle régulation se construit en premier lieu au niveau européen.
Je me réjouis que la directive « Services des médias audiovisuels » ait été définitivement adoptée au Conseil de l’Union européenne, ce mardi. Ce texte est un texte historique. Une avancée majeure dans l’inclusion des acteurs du numérique à notre modèle.
Cette victoire, c’est la reconnaissance de la pertinence du modèle français. C’est la reconnaissance que le « laisser faire » ne permet pas de protéger la diversité culturelle. Sans régulation, nous mettons en péril les fondements de l’exception culturelle, pour laquelle nous nous battons depuis des décennies.
La transposition de la directive SMA nous aidera à faire entrer les nouveaux acteurs dans notre modèle.
Elle nous permettra d’appliquer nos règles et nos obligations de financement aux plateformes de VOD, mais aussi aux chaines de télévision qui sont établies à l’étranger et qui diffusent auprès du public français
Et elle nous permettra de mettre en place un quota minimum de 30% d’œuvres européennes dans le catalogue des plateformes de vidéo à la demande.
Et la transposition de cette directive devra également être l’occasion de nous interroger sur l’équilibre des contributions au financement de la création entre les diffuseurs traditionnels et les nouveaux acteurs du marché.
Un autre front reste toutefois ouvert : celui du droit d’auteur et du partage de la valeur.
La France a remporté une victoire décisive, le 12 septembre au Parlement européen, avec le vote de la directive « Droit d’auteur ».
La mobilisation doit se poursuivre, et ne pas faiblir, jusqu’à l’issue des discussions au niveau européen, avec le Conseil de l’Union européenne, la Commission et le Parlement. La question de la rémunération juste et proportionnelle des créateurs pour chaque exploitation d’une œuvre sera l’un des points essentiels de nos négociations à venir.
Une mobilisation qui doit se poursuivre également en matière fiscale, pour une juste taxation des GAFAM. Je veux à ce titre saluer l’engagement de Bruno LE MAIRE.
Nous construirons ensuite le cadre de régulation au niveau national. C’est tout l’objet de la réforme de la loi de 1986 que je porterai. Un texte sera déposé au début de l’année.
Ce texte, je souhaite que nous le co-construisions. Les parlementaires seront étroitement associés à son élaboration ; certains ont déjà travaillé sur ce sujet, et leurs contributions nous seront précieuses. De la même manière, les professionnels ont beaucoup à apporter à cette réflexion. Je tiens à vous y associer pleinement ; vous serez toutes et tous consultés.
Avec cette réforme, nous renforcerons la filière industrielle française, fragilisée par la révolution numérique et les acteurs qui en ont émergé.Pour la renforcer, il faut renforcer les capacités d’investissement dans le cinéma.
L’un des enjeux structurels du secteur, c’est de parvenir à attirer davantage de financements privés, en dehors de ceux des diffuseurs. C’est tout le sens de la mission confiée sur le sujet à Dominique BOUTONNAT, qui rendra ses conclusions dans les tous prochains jours.
La volonté de renforcer les capacités d’investissement des diffuseurs nous conduira nécessairement à interroger les conditions actuelles de financement et d’acquisition des droits.
La négociation interprofessionnelle doit aider à trouver des solutions. La signature de l’accord que nous avons célébrée aujourd’hui en est une preuve éclatante.
Je fais confiance à votre esprit de responsabilité, de dialogue et de compromis, toujours préférable à une intervention législative ou réglementaire. Un partage équilibré de la valeur est dans l’intérêt de tous.
C’est la force de notre modèle : plus de revenus pour les diffuseurs, c’est plus de capacité d’investissement, donc plus de revenus pour les producteurs.
Et dans ce partage équilibré de la valeur, il est indispensable de conforter les droits des auteurs, qui sont au cœur du processus créatif !
Ma volonté, c’est de faire confiance aux acteurs. Si la loi doit venir traduire ou compléter les négociations, elle le fera.
Et nous devrons également nous pencher, au-delà des diffuseurs traditionnels, sur les règles applicables aux nouveaux acteurs du financement de la création, qui doivent eux aussi contribuer au maintien sur notre territoire national d’une filière de production indépendante forte.
Pour renforcer la filière, il faut renforcer ses financements. La publicité en fait partie.
Une large consultation sur l’évolution des règles a été menée.
Les chiffres sont clairs : le marché a été siphonné par les acteurs numériques ces dernières années. Et les pertes de la télévision sont lourdes : entre 2000 et 2017, les investissements publicitaires en télévision ont baissé de 15%, passant de 3,9 à 3,3 milliards d’euros.
C’est donc avec une oreille attentive que j’entends les demandes des diffuseurs. J’entends aussi les craintes de certains acteurs.
Une partie d’entre eux souhaite une expérimentation d’élargissement des secteurs autorisés et a fait des propositions en ce sens. Nous sommes en train de les examiner.
Toujours, nous veillerons à ne pas porter une atteinte excessive aux équilibres avec les autres médias, et notamment la presse.
Enfin, pour renforcer la filière, il faut la protéger du piratage. La bataille doit être relancée. Le financement de la création française en dépend.
Le piratage détruit la valeur que vous créez. Il détruit notre modèle tout entier.
Vous connaissez l’importance que j’attache à ce sujet et l’implication qui a toujours été la mienne. Le sujet s’est enlisé depuis plusieurs années, en particulier parce que c’est un thème pas toujours très porteur en politique ; je suis bien placé pour le savoir.
Mais entretemps, les technologies ont évolué et la destruction de valeur s’est accélérée. L’essentiel de notre arsenal s’attaque au téléchargement pair à pair, alors que le piratage se fait désormais à 80% par diffusion en flux – le streaming, en bon français – ou en téléchargement direct.
C’est sur ces terrains que nous devons prioritairement mener la bataille.
Ce chantier est désormais rouvert depuis plusieurs mois. Il est indispensable, d’une part, de rendre la riposte graduée plus efficace. Sur ce sujet, les discussions ont bien avancé. Il faut aussi et surtout s’attaquer à la lutte contre les sites pirates. Je pense notamment aux services de diffusion en flux, qui sont de plus en plus populaires. Tout doit être mis en œuvre pour les assécher de toute ressource, en lien avec les intermédiaires de paiement et les annonceurs ; cela passera par la création de « listes noires » des sites pirates, et la lutte contre la réapparition des sites miroirs.
Mesdames et messieurs,
Nous nous battons pour préserver les principes fondateurs qui ont façonné notre modèle de diversité culturelle, dans un environnement qui les remet en cause et qui les fragilise. Nous engageons des « transformations » profondes, dans la régulation et dans le service public : des transformations qui doivent permettre à notre politique audiovisuelle de placer la France au premier rang. Et de faire prévaloir, toujours, la diversité de la création.
Mon engagement à vos côtés sera total. Vous pouvez en être assurés.