Cher Maurizio Galante,
Vous êtes à Rome et à Paris, ce que Fortuny était à Venise. Alors que Proust décrit, chez celui que l’on surnommait alors le « magicien de Venise », la précision du plissé, la richesse des étoffes et les couleurs vives qui disent le « grouillement de la vie », on pense à l’architecture poétique de vos robes, à la noblesse et à l’éclat des matières qui évoquent la Rome antique et la narration rêvée de la cité des doges.
Très jeune, vous avez conscience que c’est l’art qui vous permettra d’exprimer le plus sûrement votre singularité et votre vision. A l’Académie de la mode et du costume de Rome, vous cultivez le talent de manier les étoffes et les couleurs. En architecture à l’université, vous développez votre goût pour la structuration des lignes et le travail sur les volumes.
Vos débuts sont couronnés de succès : après votre première collection de prêt-à-porter, un « Occhiolino d’Oro » vous consacre révélation de l’année à Milan. Avec la même aisance très remarquée, vous vous imposez dans le domaine de la haute couture pour fonder votre propre marque.
Lyne Cohen-Solal ne le démentira pas : votre réussite, en Italie puis en France, tient à la sophistication de vos silhouettes, à la précision d’un pli ou d’un froissé, à la délicatesse des superpositions et des jeux de transparence, à cette gamme colorée que vous déclinez avec éclat dans les tons de rouge, de jaune et de vert, entre turquoise et émeraude, ou avec élégance entre la pureté du blanc et le raffinement du noir. Un noir dont vous explorez la lumière et l’extrême densité pour Black in Fashion au Victoria et Albert Museum de Londres.
Mais ce sont surtout les divas qui vous inspirent, ces femmes entrées dans la légende grâce à leur voix et dont vous aimez revisiter les tenues de scène : Jenny Lind, le rossignol suédois, Sarah Bernhardt, Maria Callas, Edith Piaf mais aussi les plus grandes actrices italiennes. A travers des robes qui ont alimenté l’imaginaire collectif, la petite robe noire de Piaf, la robe de Claudia Cardinale dans la scène finale du Guépard de Visconti, vous permettez au spectateur de recréer ces personnages ou de les réinventer.
Cette fascination alimente vos créations et c’est une grande cantatrice qui présente à elle seule et en musique votre collection Printemps-Eté. Du caftan nuage à la robe vague, la célèbre soprano s’effeuille et se pare au rythme des plus grands airs d’opéra.
Votre créativité est sans limite : artiste aux multiples talents, vous vous associez à Tal Lancman, chasseur et prescripteur de tendances, pour proposer un art à la croisée de la haute couture, du design et de l’architecture. De votre collaboration émane une très grande poésie, comme dans ce Tigre nuage fait de la matière de nos rêves, ou la pluie d’or de Zeus cristallisée dans Danaé. Jouant sur les matières, vous couvrez les fauteuils en bois souple d’une soie à imprimé marbré, donnant à la raideur et la froideur du marbre une douceur inattendue.
La haute couture, dites-vous, doit faire rêver. Vous êtes de ceux qui jouent avec virtuosité des couleurs, des volumes et des matières pour conférer à leurs silhouettes une singularité qui donne à chaque mouvement, chaque pose un caractère exceptionnel.
Comme ces robes qui hantent la prose proustienne sont l’assurance du temps retrouvé, la mémoire du passé se manifeste dans votre univers à travers l’artisanat d’art et le savoir-faire traditionnel. Par l’innovation et la recherche dans les lignes et les coupes, vos créations sont résolument tournées vers l’avenir.
Cher Maurizio Galante, pour vos rouges gorgés de lumière et vibrants d’audace qui donnent à celles qui les portent une assurance inégalée, pour vos silhouettes et vos créations qui ouvrent des parenthèses oniriques et poétiques dans nos vies, pour votre virtuosité qui conjugue savoir-faire et prouesse technique, la République des arts et des Lettres, dont vous êtes un des ambassadeurs, vous adresse ses hommages.
Cher Maurizio Galante, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.