amoureux prodigue de la Capitale
Cette rétrospective invite ainsi à découvrir une autre attache de l’artiste car si chacun connaît sa passion pour Le Havre ou la Côte d'azur, la Ville Lumière est une véritable source d'inspiration pour ce peintre animé par la couleur du monde. Il aime croquer Paris et ses alentours. Près de deux-cents œuvres et documents sont réunis pour cette exposition, soutenue par la Drac Île-de-France, et qui révèle au public l'amoureux prodigue qu'il fut pour la Capitale.
Peintures, dessins, aquarelles, lithographies, céramiques, tapisseries, mobilier, objets et photographies, tous représentatifs du Paris qui a inspiré Raoul Dufy, sont réunis ici et composent ce nouvel éclairage présenté au public. Cette invitation au voyage vu de la Butte Montmartre en compagnie de l'artiste est aussi un hommage à celui qui vécut d'abord dans l’un des ateliers du 12 rue Cortot - où se trouve aujourd’hui le Musée de Montmartre - puis à partir de 1911, dans l'atelier situé au 5 impasse Guelma qu'il gardera toute sa vie.
Paris, argument majeur de l'exposition
Vue de Paris depuis Montmartre, 1902 Huile sur toile, dim. 45 cm × 55 cm Collection particulière © Adagp, Paris 2021
Paris se dessine comme l'argument majeur de cette exposition organisée selon un parcours thématique en dix sections. Il accompagne l'artiste dans ses plus ambitieuses et ses plus expérimentales réalisations. L’Atelier Maciej Fiszer qui réalise la scénographie, a choisi les tonalités de bleu, si cher à l’artiste, pour présenter les sections.
Les œuvres, datées de 1898 à 1953, ont été sélectionnées parmi les collections du :
MNAM, Centre Pompidou et des musées dépositaires - Château-Musée Grimaldi-Cagnes sur mer, Musée d’Art moderne André Malraux – MuMa, Le Havre, Musée National de la Céramique-Sèvres, Musée des Tissus-Lyon, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Musée d’Arts de Nantes, Musée des Beaux-Arts Jules Chéret - Nice ; le Musée d’art Moderne de Paris, Palais Galliera - Musée de la Mode de Paris, Musée Calvet-Avignon, le Musée de Grenoble.
celles-ci s’ajoutent, les prêts précieux de mobiliers consentis par : Le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie. Des prêts d’importantes collections privées et de galeries couronnent l’ensemble.
Commissariat de l’exposition : Didier Schulmann, Ancien Conservateur au Musée national d'art moderne/CCI – Centre Pompidou et Saskia OOMS, responsable de la conservation du Musée de Montmartre.
Parcours thématique de l'exposition
A partir de 1935, l’atelier de l’impasse Guelma a inspiré trois tableaux, parmi les plus importants de cette période des années 30-40 : L’Atelier de l’impasse Guelma, 1935 1952, conservé au musée national d’Art moderne (MNAM) - présent dans l’exposition - L’Atelier, 1940 au musée d’Art moderne de Troyes, collection Pierre et Denise Lévy, ainsi que L’Atelier de l’impasse Guelma, 1944 que l’on peut admirer en visitant la prestigieuse Phillips Collection à Washington.
Vue de l'exposition © Julien KNAUB/Musée de Montmartre
Le peintre occupe ce lieu dès 1911. Il peint les murs d’un bleu vif. L’atelier se prête en effet à l’allégorie du lieu de création de l’artiste : un espace fermé symbolisant l’autoportrait comme métaphore pour un espace mental où s’accomplit la genèse de l’œuvre. Comme Matisse et Corot, il peint cet espace sans maître, telle une allégorie de la peinture. Ses peintures d’atelier lui permettent aussi de développer le motif de la fenêtre qui forme une interprétation privilégiée de la fusion entre l’intérieur et l’extérieur.
30 ans ou la vie en rose, titre attribué : 1901, 30 ans ou la vie en rose Huile sur toile, dim. 98 cm x 128 cm Paris, Musée d’art Moderne de Paris, donation de Mme Mathilde Amos, 1955 © Adagp, Paris 2021
Quatre toiles rappelle l’inclination de Dufy pour la musique et son admiration pour les musiciens : le violon rouge, 1948, Blue Quintet, 1946, Hommage à Bach, 1952, le Grand Concert, 1948. Né dans une famille de musiciens, Dufy aime, écoute la musique et suit assidûment, vers 1930, les répétitions de différents orchestres. Il tente à travers ses séries qu’il réalise d’exprimer une synesthésie entre musique et peinture.
Dès son arrivée à Paris, Dufy loge au 12 rue Cortot, à Montmartre. c’est donc non loin de son domicile qu’il peint cette Vue de Paris depuis Montmartre en 1902. Il a planté son chevalet en contrebas de l’actuelle place Jean-Baptiste Clément, d’où il domine la silhouette du Bateau-Lavoir, qui entame tout juste sa carrière d’ateliers d’artistes. On y devine la silhouette de la tour Eiffel rapidement esquissée. Ce tableau a été offert par Dufy à Paul Jamot, alors jeune conservateur au Département des Antiquités grecques et romaine du Louvre, qui fut l’un des premiers critiques à avoir mentionné le peintre dans un compte rendu d’exposition.
Vue de Paris depuis Montmartre, 1902 Huile sur toile, dim. 45 cm × 55 cm Collection particulière © Adagp, Paris 2021
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le petit monde bohème de Paris se retrouve tous les dimanches après-midi au Moulin de la Galette. Nombreux sont les peintres qui ont immortalisé ce haut-lieu de la vie parisienne, Van Dongen, Renoir, Van Gogh… Raoul Dufy ne pouvait que se laisser séduire.
Le Moulin de la Galette, 1939, Aquarelle et gouache sur papier vélin d’Arches, dim. 50 cm x 65,5 cm, Paris, Musée d’art Moderne de la ville de Paris, legs de Mme Berthe Reysz , 1975 © Adagp, Paris 2021
Plusieurs versions du Moulin de la Galette ont été réalisées, celle de 1939 et l’étude sur isorel de 1943 sont présentes dans l’exposition. De la célèbre aquarelle de 1939, conservée dans les collections du Musée d’art Moderne de Paris, se dégage une impression de fraicheur et de gaîté soulignée par l’association des touches claires de bleu et rose pour sublimer le mouvement des robes des élégantes. Ce fut à Perpignan que, de souvenir ou presque, une simple reproduction en couleurs lui servant d'aide-mémoire, Raoul Dufy se plut non pas à copier, mais à traduire dans sa langue particulière le célèbre chef-d’œuvre de Renoir Bal du Moulin de la Galettede 1876.
L’exposition se poursuit par la présentation de gravures représentant des scènes de rues parisiennes et tout un ensemble de bois gravés qui montre les places et les monuments les plus emblématiques de la capitale : Saint-Sulpice, la Place de la Concorde, les Invalides, la place du Panthéon….
Pour subvenir à ses besoins, Dufy va très tôt, vers 1903 expérimenter la gravure et particulièrement la gravure sur bois. Cette discipline lui permet de travailler la lumière en créant de larges traits noirs qui accentueront l’effet de clarté et de mouvement. Il sera initié à la gravure médiévale par le peintre-graveur Maurice Delcourt (1877-1916) et se formera aussi à la xylographie, procédé de reproduction multiple d'une image sur un support papier ou tissu, en utilisant la technique de la gravure sur bois.
Raoul Dufy bois gravé, Paris, 1917 © Adagp, Paris 2021
Aux côtés des bois gravés, sont présentées les lithographies du Poète assassiné, célèbre conte autobiographique d’Apollinaire (1880-1918). En hommage posthume au poète et ami décédé en 1918, Dufy réédite en 1926 "Le poète assassiné", qu’il illustre de 36 lithographies, dont 8 figurent dans l’exposition ainsi que deux exemplaires du livre. Plus qu’une traduction littérale du texte, Dufy choisit de créer en illustration des décors (la Basilique du Sacré Cœur, le Panthéon…) aux étapes successives de l’action, ce qui lui permet de refléter l’imagination, le lyrisme et la fantaisie de son ami. Dufy exécuta ses planches à l’encre lithographique sur pierre, technique qui lui permit de jouer avec son pinceau pour des effets de matière proches de la technique picturale.
Dans ses jardins et paysages, Dufy reprend des pratiques du cubisme, par géométrisation et abstraction, et de son expérience de décorateur avec arcades et balustrades qui rythment les espaces. Il travaille ainsi sur un espace redressé à la verticale proche de la planéité, et surtout utilise la juxtaposition de motifs : l’échelle des différents motifs ne correspond pas à leur éloignement.
Bords de Marne, les canotiers, vers 1925 Huile sur toile, dim. 59,5 cm x 72,5 cm Paris, Musée d’art Moderne de Paris, legs du Docteur Maurice Girardin, 1953 © Adagp, Paris 2021
En 1919, le thème des canotiers apparaît dans les compositions à un moment où ce loisir devient à la mode. Ce type de sujet, traité en série, lui permet de travailler sur la lumière et la couleur grâce à la présence de l’eau, un des thèmes favoris de l’artiste. Très vite un cadrage s’impose, souvent avec un pavillon situé au cœur du tableau, une façade, rappelant un décor de théâtre. Ces plaisirs fluviaux que documente l’artiste se fondent dans une matière picturale fluide, où alternent effets de transparence et d’opacité.
Au bois de Boulogne, 1920 Huile sur toile, dim. 46 cm x 55 cm Paris, Musée d’art Moderne de Paris, donation de Henry-Thomas, 1976 © Adagp, Paris 2021
Il aime peindre Paris et ses alentours, insistant sur l’élégance des grilles, des allées et des jardins, révélant les architectures au milieu de la verdure. Il y place différentes petites scènes d’une vie insouciante et légère et c’est ainsi qu’il représente le bois de Boulogne, dans des compositions généralement très équilibrées qui se voient troublées par quelque élément en mouvement, comme un oiseau ou un fiacre.
Le salon de Paris, les sièges de la manufacture de Beauvais
La participation exceptionnelle du Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie permet la présentation d’un ensemble de mobilier ainsi que le paravent, Panorama de Paris.
IN SITU 2 - fauteuils, canapé avec les monuments de Paris © Julien KNAUB - Musée de Montmartre
Dans les années 1920, quand Dufy commence à s’intéresser à la tapisserie, le médium connaît dans les manufactures françaises – en l’occurrence Beauvais et Aubusson – l’une de ses nombreuses renaissances. Souhaitant unir arts "majeurs" et arts "mineurs", Raoul Dufy va chercher à apporter à la création textile un aspect esthétique émanant d’une sensibilité d’artiste. Il a ainsi créé différents tissus d’ameublement à partir desquels des ébénistes de grand talent ont réalisé des meubles et des salons entiers.
Adoubé par ses pairs suite à la consultation lancée en 1922 par Jean Ajalbert – directeur de la manufacture de Beauvais depuis 1917 – Raoul Dufy se lance dans un projet de tissus d’ameublement qui va l’occuper une décennie durant : le salon de Paris. Considéré par 52 artistes et critiques, comme parmi les plus aptes à renouveler l’art de la tapisserie d’une manufacture nationale Dufy s’empare de la commande et décide de rendre hommage aux monuments de la capitale.
Des premières esquisses, en 1923, aux derniers tissages, en 1933, Dufy et l’ébéniste André Groult (1884-1966), créent cet ensemble (quatre chaises, un canapé deux fauteuils et deux bergères) avec humour et impertinence. Dans son allure de mobilier Louis XVI, le traitement et la densité du décor, ravive l’horror vacui des anciennes tapisseries, tout en parvenant à restituer par le tissage, la modernité du style de Dufy. Jean Ajalbert exprime sa satisfaction pour "la qualité de cet ensemble d’accent inédit, dans sa grâce de coloris, dans sa fantaisie décorative dans son clair et fin équilibre".
IN SITU 5 - fauteuils avec les monuments de Paris © Julien KNAUB - Musée de Montmartre
Les dossiers des chaises s’ornent de monuments qui se dressent sur un fond bleu semé de petits nuages blancs. Pour les dossiers des fauteuils, les monuments – chevaux de Marly, obélisque de la Concorde avec soit le Palais du Louvre, soit l’avenue des Champs-Élysées - sont dominés par l’arc de Triomphe de l’Étoile, la tour Eiffel, un moulin de Montmartre, le théâtre de l’Opéra pavoisée aux couleurs nationales.
La Fée Électricité
La Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité commande à Raoul Dufy une vaste fresque pour décorer le Pavillon de l’Électricité à l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937. L’artiste va alors réaliser une œuvre gigantesque peinte sur un assemblage de 250 panneaux en contreplaqué. A noter que son exécution fut précédée d’une ample et minutieuse campagne de documentation. Dufy utilisera ses contacts avec des hommes de science et des spécialistes de la physique, des chimistes, et visitera des centrales électriques. Avec la collaboration de son ami le chimiste Jacques Maroger, Raoul Dufy met au point une peinture à l’huile conservant transparence et matité et qui a la particularité de sécher rapidement.
la plus grande peinture du monde
La Fée Electricité, 1952-1953, Lithographie rehaussée de gouache sur papier, gravée par Charles Sorliet chez Mourlot, éditée par Pierre Berès. Dim. 105 cm x 65, 3 cm, Dim. 102,5 x 64,5 cm, Dim. 102,5 x 65,7 cm Paris, musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, don de la Société des Amis du musée national d'art moderne, 1957 © Adagp, Paris 2021
C’est encore aujourd’hui la plus grande peinture du monde, qu’il réalise en 4 mois avec l’aide de son frère Jean et de son assistant André Robert. Œuvre éphémère, elle fut démontée et conservée dans un hangar de la rue Bergère à Paris. Ce n’est qu’en 1964 que les 250 panneaux sont exposés au Musée d’Art Moderne de Paris. Cette composition monumentale célèbre l’union de la nature et de la technique, confrontant les dieux de la mythologie aux cent dix savants et inventeurs qui, de l’Antiquité à nos jours, ont participé à la naissance de l’électricité.
La série complète des dix lithographies exposée !
Vues de l'exposition © Julien KNAUB/Musée de Montmartre
une œuvre de plus de 6 m²
En 1951, Gabriel Dessus, devenu responsable du service commercial de l’entreprise EDF, commande à l’éditeur Pierre Berès (1913-2008) une série de lithographies du tableau. Ce dernier en imagine une version réduite et multiple. En 1951, il en confie la réalisation au meilleur atelier lithographique parisien : celui des frères Mourlot. Une fois vaincues les réticences de Dufy, c’est le lithographe Charles Sorlier (1921-1990) qui presse les 10 feuilles tirées à 350 exemplaires. Installé dans les remises de la rue Bergère, le lithographe reporte les couleurs sur les tirages en noir revus par Dufy. Mais la reproduction finale en couleur ne satisfait pas Dufy qui repeint près des deux tiers de la lithographie comme Bernard Dorival en a été le témoin "couvrant de gouache les sept dixièmes de la lithographie, agrandissant ou diminuant tel personnage, supprimant tel détail, en ajoutant tel autre, donnant un contour nouveau ou une nouvelle couleur à tel morceau, créant, en un mot, une nouvelle version du thème qu’il avait donné quinze ans auparavant." Le projet est achevé peu avant la mort de l’artiste, donnant lieu à une œuvre de plus de 6 m².
En 1925, Raoul Dufy peint Paris à vol d’oiseau pour une tenture pour Paul Poiret. Il en reprend le concept et l’adapte pour le paravent commandé par l’État. Cette composition inventée par "un Dufy en lévitation au-dessus du paysage urbain parisien" renoue avec Les Panoramas : genre qui a ponctué la seconde moitié du XIXe siècle irrémédiablement passé de mode dans les années 1920-1930.
Raoul Dufy et André Groult (1884 –1966) Panorama de Paris, 1933 Bois de hêtre, tapisserie de Beauvais, dim. 227 cm x 264 cm Paris, mobilier national et manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie © Adagp, Paris 2021
"A travers mes esquisses plates et maladroites de métier, c’est cette belle matière de la tapisserie que je visais".
De cette vision imaginaire et enjouée de la capitale, sans aucune exactitude topographique, on retrouve les traces de la cartographie primitive du Moyen âge et de la Renaissance ainsi que les images photographiques "vues du ciel" prises par Nadar en ballon. La haute stature de la tour Eiffel domine la représentation des monuments. Sur le registre inférieur s’épanouissent de larges fleurs, référence aux "tapisseries aux mille fleurs" médiévales. De nombreuses études ont précédé la réalisation du carton pour ce paravent, à travers des gouaches, parfois soulignées de contours à l’encre, qui témoignent d’une spontanéité et d’une grande liberté.
Dans une lettre qu’il adresse à Jean Ajalbert, Dufy écrit : "Je suis allé ce matin chez Groult, qui m’a montré les quatre feuilles de mon paravent, "Paris" terminées. Je veux vous dire tout de suite ma joie complète devant la réussite de notre entreprise, … A travers mes esquisses plates et maladroites de métier, c’est cette belle matière de la tapisserie que je visais".
Rappelons-le, dès les premières années de sa carrière, en 1910 et 1911, Dufy a dessiné des tissus pour des fabricants célèbres. Son premier dessin textile est mis en fabrication par le prestigieux soyeux lyonnais Atuyer-Bianchini-Ferrier au début de l’année 1910. Il reprend pour motifs certaines de ses illustrations gravées, différents dessins animaliers qui donnent un caractère plutôt exotique à ses créations, à une époque où l’art oriental attire bon nombre d’artistes. Le végétal luxuriant et décoratif devient bientôt un thème pictural.
Robe de la maison Poiret, 1920 Gouache sur papier, dim. 32,6 cm x 25 cm Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, legs de Mme Raoul Dufy, 1963, © Adagp, Paris 2021
C’est l’année suivante qu’il entame une collaboration décisive pour son travail dans les arts décoratifs avec Paul Poiret. Familier des peintres, collectionneur d’arts premiers le grand styliste de mode parisien s’enthousiasme pour le charme et la fantaisie ornementale des gravures de Dufy.
L’avant dernière section est consacrée à la production graphique de Raoul Dufy. Sont ainsi montrées plusieurs études de la Seine, des dessins de réceptions officielles, où l’on retrouve avec plaisir ce qui fit la renommée et le succès de Dufy : l’équilibre et la légèreté des formes, la fluidité des couleurs et la souplesse du trait. Dufy eut une intense production graphique.
La réception, 1931-1935 Aquarelle et gouache sur papier vélin d’Arches, 50,3 x 69,5 cm, Paris, Musée d’art Moderne de Paris, Legs de Mme Berthe Reysz,1975
Il disait ne pas passer une journée sans dessiner, et pouvait se lever en plein milieu de la nuit pour noircir des carnets de croquis. Afin d’élaborer ses œuvres, il passait généralement par de multiples dessins. Quand ils ne sont pas crayonnés pour des études, la plupart de ses dessins sont exécutés à la plume et à l’encre de Chine, parfois accompagnés de lavis.
De la lumineuse et juvénile Vue de Paris depuis Montmartre de 1902 à la crépusculaire pochade de 1952 pour labrochure touristique de Thérèse Bonney, c’est bien un Parisvu d’en haut, et ses monuments vus de face, qui traversenttoute l’œuvre de Dufy, sur quelque support qu’il lesinscrive.
Deux commandes, celle de la Manufacture de Beauvais en 1923 puis en 1934 celle de Marie Cuttoli (1879-1973) célèbre mécène de la tapisserie moderne lui ont permis de ponctuer dans un registre monumental ses visions successives de la capitale.
En 1934, Marie Cuttoli qui souhaitait par une collaboration avec des artistes contemporains renouveler la tapisserie d’Aubusson (depuis 1929), propose à Raoul Dufy de créer de nouveaux cartons de tapisseries sur le thème de Paris.
Paris, la nuit 1934-1935, Tapisserie, laine et soie, lissier atelier André Delarbre, Dim. 191 cm x 161 cm Paris, musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, don du Dr Barnes, 1936. © Adagp, Paris 2021
Le traitement graphique répétitif qu’invente Dufy pour évoquer le moutonnement "cubisant" des toits de Paris se prête tout particulièrement à l’orthogonalité des points de tapisserie. Le ciel de Paris, qui était léger et riant jusque dans les années 30, s’assombrit et se charge après-guerre, tandis que la Seine qui s’écoulait benoîtement, transperce le panorama telle une vitale artère, comme si un dernier regard, suivant son cours depuis le sommet de la tour Eiffel, permettait de plonger jusqu’au Havre …
Vues de l'exposition © Julien KNAUB/Musée de Montmartre
De même que pour le paravent du Mobilier national, Dufy ordonne sa composition dans une perspective aérienne où les édifices parisiens sont représentés par raccourcis. Il crée, tel un schéma inversé, une tapisserie comme éclairée d’une lumière lunaire, dans des tons verts et bleus pour les tapisseries de Paris. Il choisit un éclairage solaire, coloré de tons chauds d’ocre et de roses.
"J’ai passé ma vie sur le pont des navires : c’est une formation idéale pour un peintre."
Autoportrait au chapeau mou, vers 1898 Huile sur toile, dim. 41cm x 33 cm Le Havre, Musée d’Arts modernes André Malraux - MuMa, dépôt du MNAM, Centre Georges Pompidou © Adagp, Paris 2021
Raoul Dufy est né le 3 juin 1877 au Havre. Il est le deuxième des neuf enfants de Léon-Marius Dufy et de Marie-Eugénie Lemonnier. Son père est comptable, musicien, maître de la chapelle Saint[1]Joseph. Il transmettra son amour de la musique à plusieurs de ses fils, Raoul jouera du piano et de l’orgue. En 1891, alors âgé de quatorze ans, le jeune Raoul qui dessine déjà beaucoup, est contraint d’aider financièrement sa famille ; il travaille au port du Havre pour une maison d’importation de cafés brésiliens et y passe cinq ans.
Après avoir obtenu une bourse de la ville du Havre, il commence son apprentissage du dessin en suivant les cours du soir de Charles Lhuillier à l’Ecole municipale des Beaux-Arts. Pour perfectionner sa formation, il quitte sa ville natale. Direction Paris. Il s’inscrit alors à l’Ecole nationale Supérieure des Beaux-Arts et est admis dans l’atelier de Léon Bonnat où il y retrouve son camarade Émile-Othon Friesz (Le Havre, 1879 – Paris, 1949) qui y travaille déjà depuis deux ans.
Captivé par Paris, il passe beaucoup de temps à arpenter ses rues et ses différents quartiers. Pour se rendre à l’École des Beaux-Arts, ill emprunte souvent la rue Laffitte où au 16, le marchand Durand-Ruel expose les impressionnistes, un peu plus loin au 37, il découvre Gauguin, Cézanne chez Ambroise Vollard. Il visite les musées, se rend régulièrement au Louvre, observe et se promène dans les jardins, croque les scènes de la vie quotidienne, dessine les monuments emblématiques, des vues de Paris depuis Montmartre ou d’autres points de vue… Peint à la manière impressionniste, il réalise des portraits et autoportraits ainsi que de nombreux paysages.
Assez rapidement, il fait la connaissance de la marchande de tableaux Berthe Weillqui sera la première à lui acheter en 1902 un pastel La rue de Norvins. Elle le convie par la suite à participer à ses expositions collectives dans sa galerie-brocante du 25 avenue Victor-Massé à Montmartre. Et c’est en 1903 que Raoul Dufy participe pour la première fois au Salon des Indépendants où il présente des plages normandes et des vues de Montmartre. Le peintre renouvellera son expérience en 1904et montrera six peintures dont trois vues de Paris.
En 1905, la visite du Salon des Indépendants est un choc pour Dufy ! Il y découvre l’œuvre d’Henri Matisse "Luxe, calme et volupté". Séduit, il adopte alors radicalement le style fauve. Mais le fauvisme n’est qu’une étape vers la découverte de son style personnel, il s’en détachera en 1907...
Marqué par la grande rétrospective que consacre le Salon d’Automne à Paul Cézanne (1839-1906), disparu l’année précédente en 1906. Dufy prend alors conscience de l’importance de la géométrie des formes.
En 1908, un voyage à l’Estaque avec Braque fait évoluer ses recherches picturales : il simplifie alors les formes, structure l’espace et adouci ses couleurs. Assez rapidement, il se débarrasse des contraintes cubistes pour se laisser aller au plaisir de la liberté du trait. Ces deux périodes stylistiques ne produisent aucune œuvre en lien avec les œuvres parisiennes.
En 1909, Dufy fait la connaissance du célèbre couturier Paul Poiret (1879-1944) et lors d’un diner, il rencontre Guillaume Apollinaire(1880-1918).
A la demande du poète, Raoul Dufy grave trente bois destinés à illustrer le recueil "Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée". Cette collaboration fructueuse incite Apollinaire à introduire Raoul Dufy dans les cercles littéraires parisiens. Quelques mois après, Paul Poiret, fasciné par les bois gravés de l’artiste, lui propose de transposer ces motifs sur textile.
L’intérêt de Dufy pour les arts décoratifs commence à s’affirmer. Au Salon des Indépendants de 1910, il présente cinq peintures dont trois "Jardins" inspirés de ses visites au Jardin des Plantes. Et c’est en 1911, qu’il s’installe avec sa jeune épouse Eugénie Émilienne Brisson au 5, impasse Guelma, à Montmartre. Cette même année, il créé avec Paul Poiret, une entreprise d’impression de tissus au 141, boulevard de Clichy, dénommée La petite Usine.
Mais c’est surtout à partir de 1912, en signant un contrat avec la firme de soieries lyonnaise Bianchini-Férier, que Raoul Dufy exprime pleinement son talent de créateur de tissus et de décorateur. Il y épanouira à la fois la stylisation ornementale de ses sujets : monuments, fleurs, animaux, personnages, et son penchant pour la couleur.
En août 1914, quelques mois après son retour d’un second voyage en Allemagne où il visite Berlin, Cologne, Düsseldorf et où il rencontre le marchand et publiciste d’art Herwarth Walden, la Première Guerre mondiale est déclarée. Pour avoir déclaré un rhumatisme articulaire aigu, il ne pourra pas être envoyé au Front. Son engagement patriotique se traduit alors à travers la diffusion de gravures de propagande issues de sa propre entreprise, Iconographie Raoul Dufy, créée en 1915. La qualité et la variété des séries qu’il fait sortir des presses d’Épinal lui valent, en janvier 1917, d’être mis à la disposition du musée de la Guerre. En février 1918, Dufy devient le conservateur adjoint, chargé de la bibliothèque. Il a la charge des documents bibliographiques et iconographiques, dont des photographies, comportant des vues aériennes qui, on le suppose, exerceront une influence sur son travail de peintre.
En 1919, sa peinture acquiert un dynamisme nouveau. La fluidité, la couleur et le mouvement deviennent les trois domaines de son travail. L'originalité du véritable "style Dufy" que l'artiste met en place et auquel il restera fidèle tient dans la dissociation de la forme et de la couleur. La forme, donnée par le dessin tracé au crayon, à l'encre de Chine, au pinceau fin, voire grattée directement dans un à-plat de couleur, structure la scène et lui apporte la vie. La couleur, étalée tantôt en larges à-plats, tantôt en zébrures nerveuses et rapides, débordant largement pour créer une ambiance faite de tons purs et rayonnants.
Cette même année, il signe un premier contrat avec les galeristes Bernheim-Jeune et Vildrac, il y exposera jusqu’en 1932. Poursuivant inlassablement ses recherches sur la lumière et la couleur, Raoul Dufy effectue, en 1922, un long voyage en Italie où il fait la connaissance du critique Pierre Courthion qui lui consacrera une monographie en 1929. Il rencontre, quelques temps après, le céramiste catalan Josep Llorens i Artigas (1892-1980), qui lui permet d’ouvrir un nouveau champ artistique. Il s’imposera quelque temps plus tard comme un exceptionnel décorateur de céramique.
En 1923, Raoul Dufy est sollicité pour réaliser une série de cartons de tapisseries sur le thème de Paris et de ses monuments. Ils serviront à des garnitures de sièges, à un paravent et seront exécutés par la manufacture nationale de Beauvais. En 1925, il peint Paris à vol d’oiseau pour une tenture pour Poiret dont il reprend et adapte le concept pour le paravent commandé par l’État et réalisé en 1933.
Cette composition inventée par un Dufy en lévitation au-dessus du paysage urbain parisien renoue avec un genre passé de mode : les panoramas. Christian Zervos évoquera cette conception originale dans Sélection. Chronique de la vie artistique "Le voici s’amusant à prendre Paris comme sujet de son œuvre. Paris est représenté à vol d’oiseau ; des maisons serrées les unes contre les autres comme dans les anciennes représentations des villes qui ornent les relations de voyage. Par endroits se détachent les monuments de la capitale. Pour en donner l’aspect principal, Dufy les a tournés tous vers le spectateur. L’effet en est des plus heureux".
L’année suivante, en 1926, il réédite en hommage à son ami Guillaume Apollinaire décédé en 1918 Le poète assassiné. Ce sont des monuments emblématiques parisiens comme La Basilique du Sacré Cœur, le Panthéon… qu’il choisit comme décor des 36 lithographies.
En 1934, Marie Cuttoli, célèbre mécène de la tapisserie moderne, qui souhaitait par une collaboration avec des artistes contemporains renouveler la tapisserie d’Aubusson, propose à Raoul Dufy de créer de nouveaux cartons de tapisseries sur le thème de Paris. Les deux tapisseries réalisées respectivement en 1934 et 1937 par les lissiers de l’atelier André Delarbre sont présentes dans l’exposition et pour la première fois réunie !
En 1936, son talent d’artiste décorateur étant largement reconnu, plusieurs commandes de décors lui sont faites. Il exécute La Seine, de Paris à la mer pour parer le mur de l’hémicycle du bar-fumoir du théâtre du Palais de Chaillot.
En 1937, il réalise pour le pavillon de l’Électricité à l’Exposition internationale des arts et des techniques La Fée Électricité. Cette même année, il est invité à être membre du jury du prix Carnegie, et se rend pour la première fois aux États-Unis, à Pittsburg en Pennsylvanie.
A partir de 1938, la couleur et la lumière occupent une place prépondérante dans son œuvre, sublimant les scènes de cargos, d’ateliers et d’hommages aux musiciens qui caractérisent à cette époque sa production. Comme le dit si bien le célèbre critique d’art et fondateur du Musée national d'Art moderne de Paris Jean Cassou (1897-1986), "Coloriste unique, l'un des plus merveilleux de tous les temps, il sait de ses étonnants bleus, verts, jaunes et violets, emplir une toile, la saturer, en faire une explosion d'intensité."
De la lumineuse et juvénile Vue de Paris depuis Montmartre de 1902 à la crépusculaire pochade de 1952 pour la brochure touristique de Thérèse Bonney, c’est bien un Paris vu d’en haut, et ses monuments vus de face, qui traversent toute l’œuvre de Dufy, sur quelque support qu’il les inscrive.
1943, Dufy refuse l’invitation officielle des autorités allemandes pour une visite de l’Allemagne.
1944-1947 - Il réalise de nouveaux décors pour la Comédie-Française
1948 - Exposition de ses tapisseries en haute lisse à la galerie Louis Carré, à Paris
1950 - Il se rend aux États-Unis pour suivre un traitement contre la polyarthrite, expose à New-York avant son retour à Paris en juillet 1951, année de publication de la monographie de Courthion.
1952 - Il représente la France à la Biennale de Venise avec un ensemble de 41 tableaux, où il remporte le Grand prix de peinture.
1953 - Raoul Dufy s’installe à Forcalquier où il s’éteint le 23 mars 1953. Il est enterré le 25 mars dans le cimetière de Cimiez, à Nice.
Informations pratiques
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12 rue Cortot – 75018 Paris - Tél. : 01 49 25 89 39
Musée ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 18h en semaine et de 10h à 19h le week-end.
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