Dès les premiers mots d'Emmanuelle Jouan, on ressent aussitôt cette osmose impressionnante et souveraine pour la danse, les artistes, la "belle équipe du Théâtre Louis Aragon", les habitants, la jeunesse, le lieu. Elle les aime. Ils sont ses racines. La volonté et l'énergie accompagnent avec force ses missions et donnent corps à ses engagements. Son pragmatisme est sa résistance. Un pragmatisme généreux. Rencontre avec la directrice du Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France (93) pour qui : "S’adapter en permanence fait partie de l’ADN du TLA."
TLA 3D Danse Dehors Dedans 2017 © Valérie Frossard
Au Théâtre Louis Aragon nous avons été bénéficiaire du dispositif de l’"été culturel" au printemps 2020. Dès l’annonce de l’annulation d’Avignon, où nous devions présenter la nouvelle formule 100% danse de "La belle scène saint-denis" (un temps de visibilité professionnelle et publique des créations et travaux des artistes associés au TLA, en juillet au festival d’Avignon, qui avait été initié il y a 10 ans), nous avons proposé une programmation sur l’esplanade du TLA.
Par ailleurs, nous avons bénéficié pour la Seine-Saint-Denis d’une résidence spécifique en direction de la jeunesse (avec La Belle Jeunesse, une association composée de jeunes issus du territoire qui développe un projet d’émancipation par l’art en étroite collaboration avec le TLA et son équipe) dans le cadre de La Beauté du Geste (un collectif de 8 scènes labellisées de Seine-Saint-Denis, la MC93, les 3 Centres dramatiques nationaux, les 3 scènes conventionnées et le CND).
En 2021 nous espérons vraiment prolonger nos actions en faveur de la jeunesse et de la jeune génération d’artistes, particulièrement éprouvées par cette crise.
Enfin nous interpellons sur la question de la mise aux normes de nos établissements du point de vue de la rénovation énergétique et de la conversion écologique, sur laquelle nous avons beaucoup de travail pour envisager l’avenir plus sereinement et éthiquement.
TLA 3D Danse Dehors Dedans 2016 © Valérie Frossard
Demeurez-vous confiante et optimiste en dépit de la situation inédite que vous avez dû affronter ?
Je suis surtout pragmatique et nous mettons tout en œuvre avec l’équipe pour imaginer tout ce qu’il est possible de faire, tant avec les artistes qu’en lien avec les habitants. Même si nous vivons très joyeusement les instants de partages retrouvés depuis le 19 mai, je suis aussi très concentrée pour que tout le monde continue à tenir bon, et garde le sentiment de faire partie d’un collectif créatif, inventif… Il faut que le lien soit tenu entre artistes, habitants, partenaires, élus… Notre mission c’est de se tenir prêt, et réunir les conditions pour que les retrouvailles, partout où elles peuvent avoir lieu, puissent advenir.
Comment avez-vous affronté cette crise sanitaire qui a tout chamboulé ? Et comment a-t-elle été vécue par les artistes et les compagnies (chorégraphes, danseurs, techniciens et tous ceux qui exercent les métiers indispensables et inhérents à votre structure) ?
Je me souviens qu’au premier confinement, quand l’expression "distanciation sociale" est arrivée dans notre vocabulaire, les équipes artistiques étaient assez déstabilisées, car c’est complètement antinomique à leur pratique. De plus, les annulations ont engagé beaucoup de questions sur la prise en charge ou non des cessions, des contrats etc.
"Dès le départ, nous nous sommes inscrits dans une solidarité, une attention, tant auprès des artistes qu’auprès de l’équipe"
Nous avons notamment mis en place, dès le départ, une solidarité en échangeant avec les équipes artistiques sur les conditions d’annulations et de reports, et en honorant les contrats que nous avions engagés (les cessions des spectacles mais aussi les contrats des techniciens intermittents, les prestataires graphistes, photographes, catering…). Nous avons ensuite travaillé âprement à la définition de protocoles sanitaires qui permettaient aux équipes de reprendre le travail au plateau en toute sécurité. Nous nous sommes aussi inscrits dans le dispositif "StudioD" initié par l’Atelier de Paris, une plateforme solidaire de mise à disposition de studios de danse, pour permettre aux artistes de pouvoir travailler – des artistes associés comme Mellina Boubetra, Dominique Brun, mais aussi d’autres équipes.
Dès que cela a été possible nous avons pu accueillir des représentations professionnelles (Amala Dianor, Mellina Boubetra, Sylvain Prunenec…) pour que les créations puissent exister et leur donner une visibilité malgré les annulations des dates.
Comment avez-vous fait pour faire vivre et faire "marcher" un théâtre comme le Théâtre Louis Aragon ? Des moments de solitude ?
S’adapter en permanence fait partie de l’ADN du TLA. Comme tout projet artistique situé il implique de prendre en compte les réalités du territoire. C’est une démarche que nous portons depuis de nombreuses années, notamment avec notre projet d’artistes associés "Territoire(s) de la danse"
Avec l’équipe de direction nous étions d’abord préoccupés par la situation de l’équipe : éviter l’isolement, maintenir l’emploi et penser, malgré tout, des projets qui maintiennent un collectif au travail.
Une fois gérée l’urgence des premières semaines, l’équipe s’est mobilisée pour trouver les moyens de garder le lien, avec les partenaires, les équipes artistiques et les habitants. L’équipe a régulièrement pris des nouvelles de personnes attachées à la vie du TLA car nous étions très inquiets de la situation des personnes sur le territoire, le nord-est de la Seine-Saint-Denis ayant été massivement touché par la pandémie.
Avez-vous été très inquiète ou plutôt confiante en dépit de ce contexte anxiogène et avez-vous décidé de demeurer résolument optimiste face à cette situation inédite ?
Ni confiante, ni très inquiète. Nous avons voulu rester concentrés et au travail pour poursuivre dans tous les interstices possibles nos missions avec l’équipe, les artistes, auprès des habitants et des partenaires.
Qu'est-ce qui a été fait au théâtre depuis 14 mois : y a-t-il eu des naissances de projets, des actions avec les scolaires, des préparations de programmations futures… ?
Nous sommes en permanence en train de développer des projets. Nous avons donc mis en sourdine les projets que nous ne pouvions pas tenir et en parallèle nous avons pu en faire grandir d’autres.
TLA 3D Danse Dehors Dedans 2016 © Valérie Frossard
"Une manière de maintenir une cohésion et une motivation de l’équipe du TLA"
A titre d’exemple, nous avons déployé Radio TLA, qui était au départ, un RDV entre les artistes et le public, à l’issue des représentations, en un nouvel outil de lien en proposant une émission quotidienne tous les soirs à 19h de novembre à décembre 2020, puis hebdomadaire à compter de janvier 2021. Chaque édition a été l’occasion d’une part de développer une thématique propre au domaine des arts et de la culture en conviant des artistes, des chercheurs… sur des sujets aussi divers que l’égalité femme-homme, les projets artistiques situés, les danses traditionnelles et les danses d’aujourd’hui ou encore les métiers techniques du spectacle et d’autre part de relayer l’actualité des actions qui ont continué de se dérouler sur le territoire, comme les actions artistiques en milieu scolaire ou encore les résidences artistiques.
Cette expérience de Radio TLA a également été une occasion de rebattre les cartes au sein de l’équipe du TLA, puisque tous se retrouvaient chaque matin pour un comité de rédaction où chacun prenait sa part dans l’élaboration des éditions à venir. Une manière de maintenir une cohésion et une motivation de l’équipe du TLA.
A l’été 2020, fort de notre longue expérience de spectacles en extérieur, nous avons mis en place une programmation estivale hebdomadaire sur le parvis du Théâtre, pour permettre aux habitants, de se retrouver autour d’une proposition artistique et de diverses propositions (Yes We Dance !, Radio TLA, présentation de saison, visite technique…).
"Nous avons imaginé collectivement un principe de résidences artistiques, en direction de la jeunesse"
Dans le cadre du collectif "La Beauté du Geste" et avec le soutien de la DRAC Île-de-France, nous avons enfin imaginé collectivement un principe de résidences artistiques, en direction de la jeunesse, chacun d’entre nous portant sa résidence propre, mais que nous mettions en partage et en lien. Pour le TLA, c’est avec La Belle Jeunesse, que nous avons ainsi pu poursuivre un travail entamé depuis 2 ans, dans un objectif d’émancipation par l’art, s’appuyant sur un travail de création, avec des artistes invités.
Enfin, nous avons maintenus toutes les activités qui demeuraient possibles : les ateliers artistiques en milieu scolaire ou encore dans les conservatoires ont pu se tenir. Et en ce mois de mai, nous présentons les restitutions de ces travaux, en plein-air, sur le plateau du théâtre ou encore en mode numérique à partir de captations sonores et vidéo (événement "CQFD – Ce Qu’il Faut Découvrir").
Tout au long de cette saison, nous avons ouverts nos espaces aux artistes en résidence en leur proposant des temps de plateau et de répétitions et leur avons proposé d’organiser des représentations professionnelles pour leur permettre de présenter leur travail.
Comment avez-vous géré les missions des artistes en résidence ?
Nous avons porté une attention toute particulière aux endroits où nous avons constaté des difficultés, tant dans les échanges sur leurs situations, les besoins, la projection sur la saison à venir.
En leur permettant d’accéder encore plus largement et plus longuement au plateau. En leur proposant de montrer leur travail en cours ou les créations abouties, à un public professionnel. En proposant des reports sur la saison à venir. En maintenant avec ces équipes toutes les actions artistiques sur le territoire et en conservant ainsi tous les liens entre les artistes, les habitants et les partenaires.
Et bien sûr, en maintenant nos engagements contractuels en matière de coproduction, d’achat de spectacles ou d’aide à la résidence. Et en les indemnisant pour toutes les annulations. Il s’agissait à cet endroit de marquer une solidarité professionnelle, à l’égard des compagnies, pour leur permettre de passer le cap de cette crise a été d’envisager la suite et au niveau individuel, de garantir les rémunérations des artistes et des techniciens des compagnies. Car au bout du compte ce sont les compagnies qui auront le plus subi les conséquences de cette crise par le manque de débouché pour les spectacles existants et l’absence de visibilité de leurs créations en cours.
Et les fameux et précieux "3D Danse Dehors Dedans", sont-ils plus que jamais d'actualité ?
Avant 3D, qui est le parcours chorégraphique dedans-dehors qui ouvre traditionnellement la saison, nous avions la projection de "La belle scène saint-denis" à Avignon. Cette année 2020 marquait une nouvelle étape puisque nous y proposions une édition 100% danse préparée, programmée et assurée par le TLA, en collaboration avec Danse Dense, Pôle d'accompagnement pour l'émergence chorégraphique.
"3D a pu être un moment très fédérateur, et joyeux..."
Nous avons donc beaucoup misé sur la rentrée de la saison 2020-2021 dès l’annulation de La belle scène saint-denis. 3D a pu être un moment très fédérateur, et joyeux, avec à la fois un projet artistique fort proposé aux habitants tout en tenant les nécessaires mesures sanitaires que nous imposaient la situation.
Malgré tout cette édition de 3D a pu être un beau moment de retrouvailles, avec Dominique Brun, la Compagnie C’hoari, les danses traditionnelles connectées au projet Danse Le Monde de Filipe Lourenço, Jean-Baptiste André et Dimitri Jourde et la Compagnie Massala. Malgré la pluie nous avons pu terminer la journée avec une grande et belle danse partagée, une Yes We Dance !
La tâche et les missions qui accompagnent une directrice de théâtre au quotidien sont immenses. Comment vous êtes-vous "débrouillée" avec cette crise sanitaire, comment lui avez-vous tenu tête pour continuer d'exister auprès du public ?
Comme tout le monde j’ai été très affectée par la crise et son impact sur nos vies et notre secteur d’activité. Malgré tout j’ai dû garder mon sang-froid pour soutenir et accompagner l’équipe et anticiper les réactions à tenir à tous les endroits du projet.
En tant que directrice je me suis efforcée à maintenir les liens avec mes pairs afin de participer à la réflexion et à l’élaboration des différentes mesures pour la reprise, en ayant toujours à cœur de maintenir nos missions autour de la création artistique et du lien avec nos publics et nos partenaires.
TLA 3D Danse Dehors Dedans 2020 © Valérie Frossard
Même, si elles ne sont pas une fin en soi, parce que rien ne remplace la scène, la salle, le beau silence ou le doux murmure du public et les applaudissements - les nouvelles technologies ont-elles été un vrai soutien essentiel et incontournable pour les diffusions de spectacles et les interventions ? Y avez-vous eu recours ?
Nous avons fait le choix de ne pas diffuser de spectacle en live. Premièrement parce qu’une vaste discussion s’est imposée très rapidement sur la question des droits des auteurs et des interprètes. De plus le TLA n’est pas équipé pour restituer de manière respectueuse les œuvres des artistes. Et enfin parce que jusqu’au bout il nous semblait essentiel de conserver la dimension vivante de ces expériences artistiques.
En revanche les nouvelles technologies ont permis de toujours faire entendre la parole des artistes, à travers Radio TLA notamment.
Pour finir les moments où nous avons pu nous retrouver en salle, avec les artistes et les spectateurs à la rentrée de la saison 2020-2021, ont été des moments intenses de joie et de retrouvailles.
Comment s'annonce l'été culturel 2021 du Théâtre Louis Aragon ? Les activités qui l'animeront ? Et déjà en ce printemps ? Les projets ? Quels seront les temps forts de la programmation ?
Dès l’annonce d’une réouverture au 19 mai, nous nous sommes mobilisés pour proposer l’ensemble des événements que nous pouvions tenir. Nous avons commencé dès le 19 mai au soir pour proposer, avec le danseur et chorégraphe Amala Dianor complice de longue date du TLA, un événement sur le parvis et en salle que nous avions pensé comme de "Belles retrouvailles". Nous enchainons ensuite avec les rendez-vous au Parc de la Poudrerie pour La belle saison à la Poudrerie. Nous proposons aussi un week-end cirque les 11 et 12 juin avec un spectacle sous chapiteau… Avignon.
"les artistes associés amènent un souffle nouveau et une programmation inédite"
Nous avons pu en parallèle initier les premiers rendez-vous avec les artistes en résidence afin de pouvoir engager la saison 21-22.
Enfin, cette saison 2021-2022 sera très complète mais assez singulière dans sa programmation. Nous avons un certain nombre de spectacle que nous avons reprogrammé mais les artistes associés amènent un souffle nouveau et une programmation inédite.
Cette saison sera traversée par des temps forts importants : 3D bien sûr, une rencontre des projets jeunesse de La Beauté Du Geste, le lancement de l’Équipe de France de Danse Contemporaine avec la Compagnie La Grive, un focus autour de l'évolution du hip-hop sur ces 20 dernières années. Nous pensons encore plus de présence en extérieur, notamment dans un nouveau parc réhabilité au Centre-ville de Tremblay, à deux pas du TLA.
En quoi et dans quelle mesure, cette crise a pu questionner votre métier de directrice/programmatrice ? Avez-vous envisagé de nouvelles pistes ?
Le TLA est depuis longtemps un projet artistique situé dans son territoire. La question de la présence artistique dans les murs mais aussi à l’extérieur sont des éléments qui constituent le projet du Théâtre mais de nouveaux usages viennent s’ajouter. Nous réfléchissons à modifier les espaces à l’intérieur de la maison de façon à élargir encore nos capacités d’accueil et de prendre en compte les nouveaux usages au service de la rencontre.
Que faisiez-vous hier, et que peut-être vous n'envisagez plus de faire demain ?
Je n’aborde pas les questions dans cet esprit. Je cherche plutôt les indices qui, chaque jour, viennent résonner avec le projet artistique situé dans le territoire de Tremblay et des alentours que nous défendons. Les soubresauts du corps social, les échanges avec les artistes et les nouvelles formes artistiques, les mouvements dans la société, les idées de l’équipe… Toutes ces matières sont précieuses et importantes afin d’inventer demain.
Justement DEMAIN ? Une directrice de théâtre et une artiste vivent-elles toujours demain ?
Je remercie infiniment les collectivités partenaires pour leur solidarité et leur soutien constant au projet du TLA.
"Demain je souhaite un service public de l’art toujours plus fort"
Je veux les citer ici : la Ville de Tremblay-en-France, le Département de la Seine-Saint-Denis, la Région Île-de-France et la DRAC Île-de-France. Ils ont cru avec nous au service public de l’art et de la culture.
Demain je souhaite donc un service public de l’art toujours plus fort, qui s’établit sur le temps long, qui permettra le plus possible d’inscrire la présence au long cours des artistes dans notre projet et donc dans la vie.
Lionel Massetat, directeur de la scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines, propose un théâtre qui s’adresse à tous les sens. Son vœu : "rendre les théâtres vivants au quotidien car cette crise nous dit que les publics ont besoin de théâtres accueillants. Soyons généreux !"
Photo © Céline Delavaud
Tout d'abord, demeurez-vous confiant et optimiste face à la situation nouvelle que vous avez dû affronter ?
Mais nous ne sommes pas tirés d’affaire ! Avant d’oser l’optimisme, je tente le mieux que je peux d’être lucide face à une crise dont nous sommes loin de connaître à ce jour toutes les conséquences. Mais quand, après des années de mise en production, des centaines de créations n’ont pu voir le jour et que des programmations sont reportées à deux saisons, quand des secteurs artistiques comme les musiques actuelles peinent à se relever, ou quand dans les arts de la rue, les contraintes sanitaires s’ajoutent aux contraintes sécuritaires, l’inquiétude est le sentiment qui domine. Beaucoup d’artistes et des techniciens ne peuvent exercer leur métier depuis plus d’une année avec des conséquences tant psychologiques que matérielles. Donc le temps de l’optimisme n’est pas encore venu. Et pourtant, nous avons la grande chance que l’Etat et les collectivités territoriales mettent en place des filets de sécurité. Il en va très différemment au-delà de nos frontières, y compris chez des voisins proches, où la puissance publique est carrément absente. Si je me réjouis bien évidemment de la réouverture et de revoir enfin des artistes sur scène face à un vrai public, je suis aussi pleinement conscient de la situation du secteur dans son ensemble.
Que pensez-vous du volet culturel du plan de relance ?
Le plan de relance pour la culture est rassurant, parce qu’il est global. Il est à la fois un plan de soutien aux artistes, un plan de reprise de l’activité, un outil d’accompagnement des entrants dans les métiers du spectacle. La déconcentration des crédits doit absolument permettre de bien identifier celles et ceux qui paient le plus lourd tribut à la crise. Si je parle de plan global, c’est aussi qu’il pointe le besoin des lieux de création et de diffusion artistique d’entamer leur transition écologique. La notion d’écologie doit être entendue au sens le plus large du terme. Il ne s’agit pas seulement d’une évolution d’ordre technique. Il doit aussi être question de l’évolution de nos pratiques de programmation et de production. L’ensemble des acteurs doivent être plus attentifs à la durabilité des productions, à la mutualisation des tournées et à nos responsabilités territoriales. Le soutien financier de l’État ne sera pas efficace sans un engagement profond de notre part.
Comment avez-vous affronté cette crise sanitaire qui a tout chamboulé et comment a-t-elle été vécue non seulement par les artistes et les compagnies mais par tous ceux qui exercent les métiers indispensables et inhérents à votre structure (comédiens, danseurs, metteurs en scène, techniciens, ouvriers... ?
Alors que nous nous targuions de nos facultés d’anticipation et d’adaptation, la fermeture brutale nous a appelé à plus de modestie. Il a rapidement fallu cerner les priorités dans une situation d’urgence impliquant artistes, spectateurs, partenaires, personnel permanent et intermittent. Nous avons rapidement vu que les spectateurs étaient compréhensifs et les partenaires rassurants. Les équipes étaient inquiètes car nous n’étions pas préparés à un travail distant.
"Ce qui nous réunit au quotidien et donne un sens à notre travail c’est le lieu lui-même, les artistes qui y travaillent et les publics qui le fréquentent"
Photo © Jeanne Roualet
Quand un théâtre ferme du jour au lendemain, comment parvenir à conserver ce sens ? Nous avons eu besoin d’un temps d’adaptation. Mais les plus fragilisés étaient les artistes, ils étaient notre priorité. Les échanges avec les équipes déprogrammées ont logiquement occupé la majeure partie de notre temps. Les artistes ont aussi été au centre de l’attention dans le dialogue avec nos partenaires publics et dans les échanges entre les théâtres, qui ont d’ailleurs trouvé une vigueur nouvelle. Lorsque des artistes ont enfin pu recommencer à répéter sur nos scènes, si la joie de travailler était palpable, il fallait que les corps retrouvent des automatismes, de l’endurance. Un artiste, quelle que soit la discipline, a besoin d’une pratique au quotidien, pour preuve l’augmentation du nombre de blessures chez les danseurs et les circassiens après le premier confinement.
Comment avez-vous fait pour faire vivre le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ces 16 derniers mois ?
Lors de la seconde fermeture, plus souple que la première, nous sommes mieux parvenus à nous organiser face à la situation. Les tournées décentralisées et les projets d’éducation artistique pouvaient se poursuivre ou se réinventer, même si s’adapter aux protocoles était chaque jour un nouveau casse-tête. Certains spectacles, prévus en salle, ont même été adaptés pour jouer hors les murs, dans des lieux non équipés. Jusqu’à la veille de la réouverture, nous avons ouvert les plateaux aux artistes qui avaient besoin de répéter. Comme beaucoup d’autres lieux, nous avons maintenu des représentations ouvertes aux programmateurs et aux journalistes. Enfin, nous avons fait le choix d’organiser des captations et des diffusions, en nombre limité (une douzaine tout de même) pour privilégier la qualité des réalisations. Certains spectacles ont même été réécrits pour mieux entrer dans ce format filmé. Mais pour les publics habitués à venir en salle, avons-nous vraiment continué d’exister à travers les diffusions de captations et les newsletters régulières ? Ou bien la perspective de la réouverture leur a-t-elle simplement permis de patienter ? C’est à eux qu’il faut poser la question.
Bien sûr cette période a permis de travailler sur l’été culturel 2021. Dès l’été 2020 nous avions décidé, en ignorant alors que les lieux culturels seraient fermés pendant 6 mois, de pérenniser cette manifestation au cours des saisons suivantes. Le projet du TSQY a d’ailleurs été réécrit en ce sens dès le mois d’août dernier.
"Un théâtre doit s'adresser à tous les sens"
Le temps de la fermeture a aussi été propice à une réflexion sur notre responsabilité environnementale, sur la simplification de la politique tarifaire et l’assouplissement des modalités de réservation et sur l’évolution des outils de communication.
© Jeanne Roualet
Enfin, un travail important a été mené sur le programme de rénovation du TSQY. Tous les partenaires sont conscients qu’un bâtiment aussi emblématique que le TSQY n’entrera de plain-pied dans le 21e siècle qu’en repensant ses conditions d’accueil des publics. Comment le rendre moins intimidant ? Comment mieux le connecter à son environnement urbain ? Comment le penser comme un outil de connexions sociales, avant et après la représentation ? La question de la restauration me semble également essentielle. On peut dans un même lieu être exigeant quand il s’agit de nourriture de l’esprit et ne pas l’être pour les nourritures terrestres ! Un théâtre doit s’adresser à tous les sens.
Même si les nouvelles technologies ne remplacent pas les spectacles vivants, ont-elles été utiles pour les diffusions de spectacles et les interventions ?
Nous faisons en sorte dans une salle de théâtre de créer les conditions pour que se réunissent au même moment, dans un même lieu et devant une même œuvre des personnes de générations, d’origines sociales, géographiques et culturelles les plus diverses possible. Des personnes dissemblables, sans affinités électives et qui pourtant ont toutes choisi de se déplacer et d’accepter les contraintes propres à la représentation. On ne parle pas, on ne se lève pas, on ne rentre pas en salle avec son verre de vin ! Nous sommes loin de la liberté que semblent offrir nos écrans.
"la captation/diffusion ce n'est pas du spectacle vivant"
Nous avons réalisé et diffusé une douzaine de captations. Mais la captation/diffusion ce n’est pas du spectacle vivant. C’est un autre exercice, tout à fait intéressant au demeurant, qui a certainement permis de donner de la visibilité à des spectacles et de montrer qu’il se passait beaucoup de choses dans ces théâtres fermés ! Cependant les mauvaises captations (et il y en a eu beaucoup !) desservent les spectacles. Quant aux captations réussies, elles ne sont pas du spectacle vivant mais des œuvres cinématographiques ou documentaires. C’est aussi pour cela que nous avons voulu en limiter le nombre et nous appuyer uniquement sur des réalisateurs capables de transformer un spectacle en film et non en simple témoignage. Les captations existaient au TSQY avant la fermeture et existeront après. Elles sont aussi la mémoire d’un spectacle, d’un lieu, d’une époque, mémoire que nous voulons conserver. Et comme vous le pointez dans votre question, ce sont des outils fort utiles dans certains projets d’EAC. Cependant, lorsque la Préfecture des Yvelines nous a autorisés au mois de mars à ouvrir en temps scolaire avec un protocole sanitaire particulièrement strict, nous avons eu le sentiment que ce qu’offrait le spectacle vivant "en vrai" aux spectateurs, les écrans ne l’offraient pas forcément, quelle que soient la qualité des captations.
Comment s'annonce l'été culturel du Théâtre ? Les activités qui l'animeront ? Et déjà en ce printemps ?
La crise a été un révélateur de ce que nous faisions bien et de ce que nous devions améliorer. Nous avons eu un peu plus le temps pour réfléchir à la façon dont nous menions nos missions : le travail en équipe, la relation aux artistes, la relation aux publics, la relation au territoire. L’ensemble est bien sûr intimement lié. En ce qui concerne l’équipe, depuis des années nous faisons sans cesse plus à moyens constants. Ce sont donc les équipes qui absorbent la charge supplémentaire, au détriment d’indispensables temps de réflexion et de dialogue. La suractivité favorise un fonctionnement vertical des théâtres, l’horizontalité exigeant, en revanche, un temps de réflexion collective dont nous ne disposons plus guère. Paradoxalement, alors que nous en avons pleinement conscience, la saison à venir sera une saison très chargée, destinée en partie à absorber les multiples reports.
En ce qui concerne les artistes, nous avons encore mieux pris conscience de ce que j’appellerai la crise de la surproduction, à laquelle nous avons notre part de responsabilité. Il devient urgent d’agir, de conserve avec le Ministère certainement, pour que les spectacles soient mieux produits, mieux accompagnés et que leur durée d’exploitation soit plus longue, en ne cédant plus à la quête perpétuelle de la nouveauté.
"rendre les théâtres vivants au quotidien"
Quant à la relation aux publics, en ouvrant l’été dernier, nous avons pris conscience que les temps de programmation se ramassaient sur environ 7 mois chaque saison. Il devient urgent de mieux étaler la programmation pour être ouverts aux spectateurs au moins 10 mois par an. Nous devons rendre les théâtres vivants au quotidien car cette crise nous dit que les publics ont besoin de théâtres accueillants. Soyons généreux !
Photo © Jeanne Roualet
Cette crise pose la question de notre présence sur le territoire auprès des multiples partenaires. C’est une question à laquelle nous sommes déjà très sensible. Le TSQY développe un volet conséquent d’éducation artistique dans tout le département. Il propose chaque saison une cinquantaine de représentations en décentralisation dans les Yvelines. Il co-accueille de nombreux spectacles chaque saison avec d’autres structures. La période estivale doit nous conduire à développer encore de nouveaux types de partenariats pour aller différemment, et avec d’autres propositions artistiques, à la rencontre de nouveaux publics. Le rôle d’une scène nationale est d’être moteur de cette mise en commun et de ces dialogues féconds.
Photo © Jeanne Roualet
Je rajouterai que la crise interroge enfin la place du débat d’idée dans les théâtres. Je suis attaché à ce que la programmation aborde des thématiques sociales, sociétales, environnementales, bref, aborde des questions politiques et je pense qu’il est essentiel dans des lieux de circulation des idées d’accompagner, d’éclairer, voire parfois de contredire le geste artistique avec la parole des chercheurs et des acteurs de terrain.
Que faisiez-vous hier, et que peut-être, vous allez abandonner ou revoir demain ?
Comme je vous le disais, il nous faut en finir progressivement avec ces saisons tronquées, qui débutent en octobre pour s’achever fin mai. Les théâtres doivent être beaucoup plus ouverts.
Il faut donc, une fois "absorbés" les multiples reports, accepter des saisons plus longues et moins denses, qui rendent les projets plus lisibles, qui permettent de mieux accompagner les publics et les artistes.
Il faut aussi en finir avec les spectacles, souvent valorisant pour les programmateurs mais irresponsables écologiquement, visant à déplacer une équipe d’un bout à l’autre du pays, voire du bout du monde au détriment des logiques de tournée. Nous nous y sommes déjà attelés puisque la saison prochaine aucune équipe extérieure à la région parisienne ne se déplacera en dehors d’une tournée mutualisée avec d’autres théâtres.
Justement DEMAIN ? Un directeur de théâtre et un artiste vivent-ils toujours demain ?
Nous vivons tous dans plusieurs temporalités ! Un spectacle se produit en deux ans, souvent plus, une saison se programme parfois jusqu’à deux saisons à l’avance et au même moment nous défendons auprès des publics un art en train de se faire, inscrit dans l’instant. Les théâtres ont aussi un horizon plus lointain, un projet, dans lequel s’inscrit tout ce qui fait la vie d’un théâtre, la programmation, les projets et chantiers divers, … C’est certainement d’ailleurs cette possibilité de se projeter qui, malgré la dureté de la crise, l’a rendue supportable.
Investie dans le secteur culturel et les musiques actuelles depuis 20 ans, Elodie GUITOT dirige la scène conventionnée d’intérêt national Les Cuizines situées à Chelles en Seine-et-Marne depuis 2016.
Portrait Elodie Guitot © dr
Depuis mars 2020, la crise sanitaire a grandement impacté le secteur culturel, comment se sont organisés vos missions ? Notamment pour garder le lien avec le public. Comment avez-vous vécu cette période au sein de votre structure ?
Aux Cuizines, nous avons eu une période très courte de sidération au moment de l’annonce du premier confinement, mais très vite et ce grâce à la formidable réactivité de l’équipe qui mène ce projet à mes côtés, nous nous sommes organisés pour maintenir le lien avec le public. Tout d’abord virtuellement, avec une série de posts nommé "Les Cuizines virtuelles" sur notre site internet ou sur les réseaux sociaux mettant en avant différents aspects des musiques actuelles dont nous parlons peu dans nos lieux qui sont avant tout tournés vers le spectacle. Puis à la sortie du premier confinement nous avons pu à nouveau accueillir des artistes en résidence, ce qui a été un moment fort pour les artistes et l’ensemble de l’équipe. Nous avons souhaité partager ces moments avec le public, grâce à de courts livestreams diffusés sur les réseaux.
Nous avons également pu maintenir l’ensemble des actions prévues en milieu scolaire grâce à nos établissements scolaires partenaires qui ont su s’adapter aux conditions sanitaires : restitutions virtuelles, travail en demi-groupes, spectacles au sein des écoles, collèges, lycées, tout a été imaginé pour terminer le travail entamé avec les élèves. L’année scolaire 2020-2021 a été perturbée de la même manière et nous avons toujours réussi à nous adapter.
A l’automne 2020, dès l’annonce des restrictions de jauge, nous avons reconfiguré la programmation en inventant le festival "La fête n’est pas finie" qui promettait d’accueillir des spectacles assis, adaptés aux conditions sanitaires alors dégradées. Ce festival a malheureusement dû s’interrompre au moment du deuxième confinement mais a pu se poursuivre en ligne avec des livestreams aux dates et heures prévues des concerts annoncés jusqu’à la fin 2020. En 2021, nous avons poursuivi ce festival en ligne avec "La fête n’est toujours pas finie" jusqu’à la réouverture annoncée le 19 mai dernier. Cela a été l’occasion d’accueillir bon nombre de groupes en création puis de mettre en avant le travail effectué grâce à nos partenaires publics qui ont maintenu leur soutien financier, mais aussi grâce à d’autres partenaires : d’autres lieux de musiques actuelles partenaires au niveau régional et national, les réseaux professionnels comme le Rif ou la Fedelima, l’association locale de réalisation vidéo Poulp’ ou encore des sociétés civiles comme la Sacem. Les publics des Cuizines ont ainsi pu faire des découvertes et nous souhaitons vivement qu’ils reviennent nombreux dès notre réouverture le 9 juin prochain.
Les lieux culturels ont pu rouvrir le 19 mai : quels sont vos projets pour cette réouverture tant attendue ?
Étant donné l’impact des restrictions de jauge sur un petit lieu comme Les Cuizines, nous avons décidé de ne rouvrir que le 9 juin avec une jauge de 50 personnes assises, dans une salle qui accueille habituellement 270 personnes debout. Nous avons décidé de reprendre les concerts chaque vendredi de juin sur une formule afterwork, gratuitement sur simple réservation, avec une fin à 22h00 laissant au public le temps de rentrer tranquillement en respectant le couvre-feu.
Cuizines Martin © Delbos
Dès le 9 juin, nous rouvrirons également nos studios de répétition, de MAO et d’enregistrement qui sont des espaces de pratique habituellement très fréquentés qui n’ont pas pu trouver d’alternative durant la crise. Nous sommes donc particulièrement heureux de retrouver les musiciens qu’ils soient professionnels ou amateurs et de les voir repeupler notre structure.
Quelles actions prévoyez-vous pour cet été ?
Le début de l’été sera marqué par une Fête de la Musique assise, un peu inédite aux Cuizines. Elle prendra la forme d’une scène ouverte en extérieur si le temps le permet, sur la terrasse des Cuizines.
"La fête ne sera jamais finie"
Le 3 juillet, nous espérons proposer le troisième et dernier volet de notre festival nommé cette fois "La fête ne sera jamais finie" avec une série de concerts professionnels en extérieur sur notre terrasse, pourquoi pas avec un public debout si les conditions sont réunies !
S’en suivront une dizaine de concerts professionnels hors les murs sur l’ensemble de mois de juillet dans l’espace public, au sein des accueils de loisirs, des foyers intergénérationnels, au sein d’établissements scolaires dans le cadre de l’école ouverte ou dans d’autres lieux plus atypiques. Ces diffusions déjà proposées en 2020 seront sans doute reconduites les années suivantes. Elles permettent au public local de mieux connaitre le projet des Cuizines et de faire des découvertes musicales.
Les Cuizines, vue de nuit © Anthony Saly
Quels sont les prochains projets et vos ambitions pour votre structure ?
Malgré la crise que nous traversons, le projet des Cuizines se développe de mieux en mieux sur le territoire chellois et à l’échelle de l’agglomération Paris Vallée de la Marne. Il est bien identifié des artistes, des publics et des partenaires. Nous souhaitons fêter nos vingt ans en 2022 dans des conditions qui ressembleraient à celles du monde d’avant, avec tous ceux qui ont contribué à faire de ce projet ce qu’il est aujourd’hui. Nul doute qu’il a de beaux jours devant lui, porté par une équipe solide et un projet toujours plus ouvert aux artistes émergents, aux esthétiques les plus diverses et les plus pointues, et à toutes les pratiques professionnelles et amateurs.
Marc Bembekoff a occupé plusieurs postes au cours de sa carrière : chargé de programmation cinéma au Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, chargé de la programmation d’art contemporain au Musée Rodin, curator au Palais de Tokyo ou encore directeur du Centre d’art contemporain La Halle des bouchers à Vienne (Isère). C’est finalement au printemps 2019 qu’il prend la direction de La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Parallèlement à ses activités, il développe une pratique de commissaire indépendant qui l’a notamment amené à être commissaire du Pavillon croate à la Biennale de Venise en 2015 et à co-fonder le collectif curatorial Le Bureau.
Photo © Aurélien Mole
Depuis mars 2020, la crise sanitaire a grandement impacté le secteur culturel, comment se sont organisées vos missions, notamment pour garder le lien avec le public ? Comment avez-vous vécu cette période au sein de votre structure ?
La crise sanitaire et ses répercussions nous ont contraints à décaler la programmation des expositions. Il était important pour le centre d’art de maintenir un lien avec les publics de proximité mais aussi professionnels. Nous avons rapidement éprouvé les limites du tout-numérique sur un territoire comme celui de Noisy-le-Sec.
Avec l’équipe de La Galerie, il nous a donc fallu adapter notre méthodologie : les propositions numériques (visites virtuelles, conférences en ligne…) se sont davantage adressées à un public plus averti tandis que nous avons souhaité être plus généreux auprès des habitants et habitantes, en leur envoyant par exemple une carte postale numérotée conçue par l’artiste Mathilde Geldhof. Une façon pour nous d’aller à leur rencontre.
© La Galerie
Vous avez mis en place le programme "Une œuvre au bout du fil" : est-ce que vous pouvez revenir sur cette initiative ? Comment avez-vous imaginé son évolution avec la réouverture ?
Cette initiative a été pensée par Florence Marqueyrol et l’équipe du service des publics de La Galerie pour pallier la fermeture aux publics. Des formats similaires avaient déjà été mis en œuvre par d’autres institutions et fondations, et il nous semblait particulièrement intéressant de l’adapter pour Noisy-le-Sec. Il permet aux personnes qui le souhaitent de prendre rendez-vous avec une médiatrice du centre d’art pour une visite de l’exposition par téléphone. Des visuels des œuvres peuvent être partagés en amont ou non. Ce type de médiation instaure une relation privilégiée avec le visiteur ou la visiteuse au bout du fil qui se laisse guider uniquement par la voix de la médiatrice. Les retours positifs sur ces moments nous ont conduits à pérenniser ce type de médiation après la réouverture car il permet un autre type d’approche sensible, et il est essentiel que le centre d’art puisse défricher de nouveaux usages pour partager avec les publics. C’est l’un des rares enseignements positifs de cette crise.
Vous êtes co-président de TRAM réseau art contemporain Paris / Île-de-France qui s'est restructuré en mai 2021. Pouvez-vous revenir sur ce travail ? Quelles sont les réflexions qui ont encouragé cette évolution de l'association ?
Cette année verra les 40 ans du réseau, et il nous semblait logique que TRAM reflète les mutations récentes de l’écosystème des arts visuels. Les statuts de l’association ont été modifiés en prenant en considération des valeurs qui tiennent à cœur aux différents membres : une rémunération décente pour les artistes-auteurs et de bonnes pratiques éthiques (tant dans la programmation que dans la gestion des équipes), que ce soit d’ordre écologique ou paritaire par exemple. De nombreuses initiatives collaboratives ont émergé ces dernières années, dans un souci de mutualisation et de partage, et la proposition d’une présidence tricéphale nous semblait être la mieux appropriée au contexte actuel. Avec Aude Cartier et Madeleine Mathé, mais aussi les membres du conseil d’administration, nous souhaitons porter ensemble des projets ambitieux qui accompagnent la structuration professionnelle des arts visuels en Île-de-France sur le moyen et le long terme, avec l’idée de donner une plus grande visibilité à ce secteur dans les médias généralistes. Il me semble important de rappeler que la vitalité d’un territoire tient aussi à son maillage par les arts visuels – des ateliers logements aux lieux de diffusion en passant par les structures d’enseignement en arts. Les habitants et habitantes ont toutes et tous à y gagner, et le relai politique, dans ce sens, est primordial.
Vue extérieure de La Galerie © Aurélien Mole
Les lieux culturels ont pu rouvrir le 19 mai : quels sont vos projets pour cette réouverture tant attendue ?
En toute logique et modestie, nous avons prolongé l’exposition personnelle de Larissa Fassler "Tissus urbains" jusqu’au 10 juillet. En effet, cette première exposition en institution de l’artiste n’avait pas pu ouvrir ses portes en janvier, et il nous semblait loyal vis-à-vis de Larissa Fassler et des publics de pouvoir la partager, d’autant plus qu’il s’agit d’un projet particulièrement lié et ancré à la ville de Noisy-le-Sec.
Quelles actions prévoyez-vous pour cet été ?
Pour l’été culturel 2021, La Galerie envisage de sortir de ses murs pour aller directement à la rencontre des habitants et habitantes de Noisy-le-Sec, notamment dans des quartiers excentrés dans lesquels l’offre culturelle n’est pas florissante. Intitulé Souvenir de Noisy-le-Sec, le projet généreux et inclusif conçu par Chalisée Naamani consiste en un stand mobile qui s’inspire des cabanes de souvenirs propres aux grands sites touristiques, sauf qu’ici, il s’agira de produits dérivés directement inspirés par la ville de Noisy-le-Sec. Avec l’artiste, nous souhaitons ainsi distribuer des goodies (t-shirts, casquettes, sacs, stylos, portes clés…) qu’elle aura conçus à l’effigie de Noisy-le-Sec : après tout, pourquoi une ville de banlieue parisienne considérée à la marge n’aurait-elle pas droit elle aussi à son propre merchandising ? Ce projet décale les présupposés, c’est assez stimulant et très valorisant pour les Noiséens et Noiséennes. Les équipes de la Ville nous accompagnent avec une très grande bienveillance dans ce projet qui s’inscrit dans les Estivales de Noisy-le-Sec.
©La Galerie
Souvenir de Noisy-le-Sec me semble tout à fait correspondre à l’équilibre que nous cherchons à mettre en place sur cette partie du territoire de Seine-Saint-Denis : un projet artistique conceptuellement et esthétiquement exigent mais néanmoins accessible au plus grand nombre. Il s’agit aussi pour La Galerie d’affirmer son soutien à la création émergente en accompagnant une jeune artiste dans la production d’un projet ambitieux.
Quels sont les prochains projets et vos ambitions pour votre structure ?
À la rentrée, nous proposerons une exposition dialogue entre le photographe Karim Kal et la peintre nigériane Nengi Omuku ; en janvier 2022, il y aura une exposition collective intitulée "Des champs de fraises pour l’éternité", dont le commissariat est confié au duo It’s Our Playground (Camille Le Houezec & Jocelyn Villemont), avant de laisser la place à la première exposition personnelle de Sabrina Belouaar au printemps 2022. À l’automne 2022, c’est une grande exposition consacrée à l’actrice hollywoodienne Hedy Lamarr, dont je suis le commissaire avec l’artiste Nina Childress, qui investira nos murs. Bien évidemment, nous continuons de développer un nombre important de projets artistiques hors-les-murs : j’aimerais que l’art contemporain et les artistes soient au cœur de la vie des habitants et habitantes de Noisy-le-Sec, à travers des initiatives de médiation artistique mais aussi des œuvres d’art dans l’espace public. L’ambition pour nous est de rendre attractif ce territoire à travers les arts visuels et les nombreuses structures qui le ponctuent. Si La Galerie peut être une figure de proue, j’en serais ravi et honoré.
Directeur de la Scène nationale de l’Essonne depuis 2013, Christophe Blandin-Estournet se définit comme un "fabricoleur de culture". Son projet à Evry se déploie en dialogue avec son environnement humain, social et géographique.
Christophe Blandin-Estournet © Mathieu Miannay
Depuis mars 2020, la crise sanitaire a grandement impacté le secteur culturel. Comment se sont organisées vos missions, notamment pour garder le lien avec le public ? Comment avez-vous vécu cette période au sein de votre structure ?
Théâtre de l'Agora - Scène nationale de l'Essonne Photo du théâtre © Scène nationale de l'Essonne
Donc, fondamentalement notre travail n’a pas été modifié par la crise sanitaire, ce sont les conditions de déploiement de nos actions qui ont été affectées, mais conceptuellement et structurellement avec notre projet situé, nous avons adapté plus que modifié l’organisation de nos missions. Depuis mars 2020, nous avons mis en priorité le maintien du lien avec le territoire, à travers plusieurs centaines de représentations ou ateliers, touchant quelques milliers de personnes, majoritairement en présentiel adapté dans l’espace public, des établissements scolaires, des maisons de quartier, des associations…
Théâtre Éphémère à Évry-Courcouronnes © BKE-Site
Les lieux culturels ont pu rouvrir le 19 mai : quels sont vos projets pour cette réouverture tant attendue ?
"Keep on truckin", comme le chantent les bluesmen ! Reprendre le cours du projet et du dialogue avec le territoire et ses habitants, dans des conditions plus habituelles.
Quelles actions prévoyez-vous pour cet été ?
En préalable je rappelle que depuis six ans, nous proposons des activités artistiques et culturelles (spectacles, ateliers, expositions, projets d‘implication…) à l’occasion des vacances intermédiaires, intégrant le constat du faible nombre d’habitants du territoire partant ailleurs en congés. Au-delà de la crise sanitaire et de réponses circonstancielles, la Scène nationale de l’Essonne a fait le choix depuis 2020, d’étendre chaque année sa programmation à la période d’été, avec différentes propositions de juin à août.
Quels sont les prochains projets et vos ambitions pour votre structure ?
Centre-culturel-Robert-Desnos © Scène nationale de l’Essonne
Reprendre notre engagement pour le droit commun et l’émancipation, y compris en contextes ou périodes extraordinaires ! Aussi importe-t-il de créer des conditions apaisées de la fréquentation de l’objet artistique ou du projet culturel. Chantier (heureusement) permanent, la question de la rencontre entre un projet artistique ou culturel et son contexte, suppose de ré interroger en permanence nos pratiques et nos certitudes. Au boulot !
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