Le musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ) présente l'exposition "Lore Kruger une photographe en exil, 1934-1944"du 30 mars au 17 juillet 2016. Connue en Allemagne pour ses traductions de littérature anglo-saxonne, Lore Krüger pratiqua la photographie, entre 1934 et 1944, avec un talent que l’on ne découvre qu’aujourd’hui. Son œuvre aurait pu rester dans l’oubli. Conservées dans une simple valise, quelque cent tirages d’époque résument, hélas de façon trop lacunaire, le travail d’une décennie ; découvrant l’ensemble chez l’artiste en 2008, deux chercheuses berlinoises, Cornelia Bästlein et Irja Krätke, décident de le faire connaître. Lore Krüger, décédée en 2009, ne pourra voir l’exposition finalement présentée à Berlin en 2015 à la galerie C/O.
"L’art était au cœur de mes préoccupations, tout tournait autour de lui, mais la politique occupait une place de plus en plus importante dans ma vie. La vie ne tenait qu'à un bout de papier."Lore Krüger
Lore Krüger, Autoportrait vers 1935 © Succession Lore Krüger La pratique de la photographie chez Lore Krüger emprunte les chemins de l’exil. Née Lore Heinemann à Magdebourg (Saxe-Anhalt) en 1914, elle a 19 ans lors de la prise de pouvoir par Hitler en 1933, et c’est à Londres, puis à Barcelone et à Palma de Majorque, qu’elle commence à photographier. |
Venue vivre en 1935 à Paris pour suivre l’enseignement de Florence Henri (1893-1982), Lore Krüger est inspirée par l’esthétique du Bauhaus et de la "nouvelle vision" dans ses nombreux portraits, ses natures mortes et paysages. En 1940, elle est internée quelques mois dans le camp de Gurs, avant de fuir à New York, où elle s’installe. En 1946, elle revient vivre à Berlin-Est. Abandonnant la photographie pour des raisons de santé, elle se consacre désormais à la traduction de grands auteurs de la littérature anglo-saxonne. Son œuvre aurait pu rester dans l’oubli. Conservées dans une simple valise, quelque cent tirages d’époque résument, hélas de façon trop lacunaire, le travail d’une décennie ; découvrant l’ensemble chez l’artiste en 2008, deux chercheuses berlinoises, Cornelia Bästlein et Irja Krätke, décident de le faire connaître. Lore Krüger, décédée en 2009, ne pourra voir l’exposition finalement présentée à Berlin en 2015 à la galerie C/O. Les tirages révèlent une photographe originale, à la palette variée : scènes de rue et paysages savamment construits, portraits dynamiques et vivants, reportages à l’humanité profonde – telle sa description du pèlerinage gitan aux Saintes-Maries-de-la-Mer en 1936 – et riches explorations formelles révélées dans des natures mortes et des photogrammes, qui la hissent au niveau des grands photographes de l’entre-deux-guerres. L’exil est aussi pour Lore Krüger le moment d’un engagement politique résolu, au sein de la communauté des réfugiés allemands installés en France après 1933, artistes ou intellectuels, qu’ils soient juifs ou opposants politiques. Lore Krüger milite activement contre le franquisme et le nazisme, et son autobiographie, publiée après sa mort, illustre d’abord le désir de témoigner, qui l’occupa après la guerre. |
Parcours de l’exposition
De 1934 à 1939, Lore séjourne régulièrement à Palma de Majorque, où ses parents, fuyant le nazisme, se sont installés en 1933. C’est dans les clichés qu’elle réalise sur l’île que l’on peut observer l’évolution de son oeil de photographe, des portraits humanistes aux scènes de pêcheurs avec leurs filets, où la dynamique des lignes et des aplats forment de puissantes et surprenantes compositions. Mais Lore eut aussi l’occasion à Majorque de témoigner par la photographie de l’actualité la plus brutale, comme les massacres opérés par l’armée franquiste lors d’un assaut de troupes républicaines en août 1936 à Porto Cristo, dont elle donnera la description dans son autobiographie. Si l’expérience fut intense et douloureuse pour la photographe, les tirages n’ont malheureusement pas subsisté à la guerre. Lore Krüger, Sans titre [Pêcheurs et filets] Palma de Majorque, 1935 © Succession Lore Krüger |
Florence Henri, Portrait de Lore Krüger Paris, 1937 © Galleria Martini & Ronchetti À l’automne 1935, Lore Krüger arrive à Paris pour y suivre l’enseignement de Florence Henri (1893-1982). |
Celle-ci est une figure de l’avant-garde parisienne, qui pratique la photographie dans l’esprit du Bauhaus. Lore Krüger montre vite sa sensibilité à cette nouvelle esthétique. Dans ses natures mortes, un jeu savant de lumières et de formes aiguise la perception des matières et des volumes. Les Variations sur un masque constituent, autour d’une sculpture africaine, emblématique du "primitivisme" cher à l’avant-garde artistique de ces années, un aboutissement de ces explorations formelles. Lore Krüger montre aussi une grande inventivité dans le portrait, jouant des cadrages et des textures. Mais l’artiste est aussi sensible à la misère criante des rues de Paris, et au cours de ses pérégrinations urbaines, elle capture l’image de chômeurs endormis sur les quais de la Seine. En juin 1940, des affiches enjoignent aux Allemandes et aux Autrichiennes "indésirables" de se rendre au Vel’d’Hiv. Lore Krüger y est internée, avant d’être déportée au camp de Gurs dans les Basses-Pyrénées. Après quelques mois de captivité, elle peut sortir et, accompagnée de sa sœur Gisela et de son futur mari Ernst, entame une longue errance clandestine, qui les mènera de Toulouse jusqu’à Marseille, en quête d’un bateau pour les Amériques. |
© Lore Krüger, Gitans Saintes-Maries-de-la-Mer, 1936 En 1936, Lore Krüger reçoit une commande pour un reportage sur le pèlerinage des Gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer de la part d’une agence américaine. Ce travail révèle une autre face du talent de l’artiste, loin des recherches formelles réalisées en studio, et plus proche de cette observation de la vie à laquelle elle aspire. De cette expérience, elle gardera un souvenir ému, et ses images expriment l’empathie qu’elle éprouvait pour cette manifestation festive. |
© Lore Krüger, Recall New York, vers 1942 |
Pour beaucoup de communistes et d’anciens combattants des brigades internationales en Espagne, le Mexique était en 1940-1941 la destination de fuite obligée, et c’est celle qu’avait choisie Lore, accompagnée de Gisela et Ernst, avant que l’interception de leur bateau par les Hollandais, et leur internement sur l’île de la Trinité ne les conduisent à New York. Ils s’y installent et, sans attendre, poursuivent leur combat contre le nazisme en participant à la fondation de The German American, une revue à laquelle participent des écrivains et intellectuels antinazis. Lore Krüger vit de son activité de portraitiste, qu’elle met au service de la revue. Mais elle poursuit aussi ses recherches avec une nouvelle et riche série de photogrammes (images obtenues sans appareil photographique, par la disposition directe d’objets divers sur le papier photographique, avant son exposition à la lumière puis son développement comme une épreuve classique). |
Lore Krüger, Sans titre [Béatrice, portrait-photogramme] New York, 1943 © Succession Lore Krüger 6 mai 1941. Munis de visas américains et mexicains, Lore, Gisela et Ernst quittent la France à bord du cargo Winnipeg à destination du Mexique, mais celui-ci est arraisonné le 26 mai 1941 par un aviso hollandais avant sa destination, et tous les passagers sont internés dans un camp anglais sur l’île de La Trinité. Le Winnipeg est resté célèbre pour avoir été affrété par Pablo Neruda, mandaté par le gouvernement chilien, pour faire venir 2500 réfugiés espagnols à Valparaíso. À son bord aussi le 6 mai, le photographe surréaliste allemand Josef Breitenbach (1896 – 1984), les militants et politiciens Lothar Popp et Gerhart Eisler. Le 13 juin, Lore, Gisela et Ernst arrivent finalement à New York. Un décret récent interdit de quitter les États-Unis, ils ne peuvent se rendre au Mexique, où ils comptaient s’installer. |
Lore Krüger, Variations sur un masque Paris, 1935 © Succession Lore Krüger En 1942, Lore et Ernst Krüger se marient ; leur fille Susan naît le 20 février. Ils œuvrent pour la German American Emergency Conference, une organisation antifasciste allemande et sa revue, The German American, dont le premier numéro paraît le 1er mai. Des auteurs comme Heinrich Mann, Anna Seghers, Bertold Brecht ou Lion Feuchtwanger y sont publiés. Lore réalise de nombreux portraits et des traductions pour la revue. Fin 1946, Lore et son mari décident de revenir s’installer à Berlin-Est. Affaiblie à la suite de la naissance de son fils, elle abandonne la photographie, achevant ainsi son exil et clôturant son œuvre artistique. Quand, à la fin de sa vie, elle couchera par écrit ses souvenirs, ce sera essentiellement pour évoquer cette période et son "itinéraire de juive persécutée". |
Autour de l’exposition
Conférences et tables rondes
- "Lore Krüger : une photographe en exil, 1934-1944", mercredi 13 avril 2016, 19h30 par Nathalie Neumann, historienne de l’art.
- "Rebelles et poétesses : une histoire de la photographie", mercredi 11 mai 2016, 19h30 Par Marta Gili, directrice du Jeu de Paume.
- "Les réfugiés juifs allemands en France, 1933-1944. Un double exil ?" dimanche 5 juin 2016, 16h.
Lecture-rencontre
- "Lore Krüger et Anna Seghers, convergences de deux parcours", mercredi 25 mai 2016, 19h30 par Hélène Roussel, germaniste, chercheuse sur l’exil allemand des années 1933-1945, avec la participation de Pierre Radvanyi, physicien, fils d’Anna Seghers et de László Radvány.
Visites guidées
- Par Cécile Petit, conférencière du MAHJ, mercredi 13 avril 2016, 19h ; mardi 3 mai 2016, 14h30 samedi 21 mai 2016, 22h (dans le cadre de la Nuit des musées) jeudi 9 juin 2016, 14h30 ; dimanche 3 juillet 2016, 11h.
Activité jeune public
- "L’apprenti photographe : en studio avec Lore Krüger", mardi 19 avril 2016, 14h et mercredi 6 juillet 2016, 14h.
Informations pratiques
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) Hôtel de Saint-Aignan 71, rue du Temple 75003 Paris. Horaires d’ouverture de l’exposition Lundi, mardi, jeudi, vendredi de 11 h à 18 h Mercredi de 11 h à 21 h Dimanche de 10 h à 18 h.
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