du 12 octobre 2017 au 21 janvier 2018

Le musée des Avelines, musée d'art et d'histoire de la ville de Saint-Cloud, présente l'exposition "Lino Ventura - Une gueule de cinéma", sous le parrainage de Jean Dujardin, du 12 octobre 2017 au 21 janvier 2018. A l'occasion du trentième anniversaire de la disparition de l’acteur, le musée a souhaité rendre un vibrant hommage à cette grande figure emblématique du 7e art. Son jeu si naturel révélait un talent immense, un sourire tendre, une personnalité pudique et une humilité réelle. Ventura était sincèrement aimé et respecté du public. Aujourd’hui encore, son nom évoque aussitôt une belle émotion et tout un pan de l’histoire du cinéma français populaire, drôle et intelligent. Affiches, photographies, documents d'archives, témoignages, musiques de films, objets, scénarios, projections d'extraits... composent le parcours de l'exposition évoquant la carrière de ce monstre sacré du cinéma français. Lino Ventura (né le 14 juillet 1919 en Italie et décédé le 22 octobre 1987), a vécu près de trois décennies à Saint-Cloud.

La force et la loyauté de Lino Ventura ont marqué des générations d’acteurs et de spectateurs

Les quelque trois cents œuvres et documents réunis dans l’exposition témoignent de la trajectoire exceptionnelle de cette gueule de cinéma, dont la force et la loyauté ont marqué des générations d’acteurs et de spectateurs.

Différentes salles du musée sont consacrées à ses amitiés avec des comédiens (Gabin notamment), et les réalisateurs avec lesquels il a tourné, de Becker à Verneuil, de Miller à Lelouch, de Pinoteau à Melville, de Malle à Lautner, de Deray à Hossein, ou encore de Sautet à La Patellière...passant ainsi du polar à la comédie pure, du film d'aventures au drame. Est ainsi retracée la carrière de Lino Ventura, qui a joué dans plus de 70 films, dont nombre de chefs d'œuvre et d'immenses succès publics.

L'homme de Saint-Cloud

ventura

photo © Etienne George

En septembre 1959, Lino Ventura s’établit, dans une grande villa du parc de Montretout, avec sa femme Odette et leurs enfants. Le comédien a alors 40 ans et déjà plusieurs films à son actif. Il est désormais un acteur populaire.

À Saint-Cloud, loin des plateaux et de l’agitation parisienne, l’homme discret qu’il est peut vivre sans crainte d’être dérangé.

C’est dans son bureau, au sous-sol de sa maison, que Lino s’installe tous les matins pour choisir consciencieusement ses rôles. Il y lit tous les scénarios qu’il reçoit et écoute attentivement les réalisateurs qui viennent le convaincre de participer à leur prochain film. Mais à Montretout, Lino travaille aussi dans sa cuisine. Il invite régulièrement ses amis à partager ses fameuses pâtes à l’ail, et c’est autour de la table familiale que s’est affiné le projet des Tontons flingueurs (1963), en compagnie de Michel Audiard, Alain Poiré et Albert Simonin.

Lino s’adonne aussi au sport. L’ancien lutteur se rend tous les week-ends au Stade Français pour jouer au tennis ou au foot, avec sa bande de copains, qu’il pleuve ou qu’il neige !
C’est également depuis sa maison de Saint-Cloud que l’acteur lance, sur les écrans de l’ORTF, son célèbre appel à la création de centres d’accueil pour soutenir les enfants handicapés et leurs parents, le 6 décembre 1965.

Après près de trente ans passés à Saint-Cloud, Lino Ventura meurt subitement d’une crise cardiaque le 22 octobre 1987, dans sa maison de Montretout.
Visuel

Des rings aux projecteurs

stcloud

Lino Ventura devant sa maison à Saint-Cloud, avec son chien Muck Collection particulière © DR

Photographie de Lino Ventura prise sur le tournage d'Adieu poulet, film de Pierre Granier-Deferre, 1975. Saint-Cloud, Musée des Avelines © Étienne George

Lino Ventura, né en 1919 à Parme, quitte l’Italie avec sa mère en 1926. Ils s’installent à Montreuil, dans le quartier des Italiens, où Lino espère retrouver son père déjà immigré qui a disparu. Sa mère travaille alors comme femme de chambre dans un hôtel du XIXe arrondissement. De son côté, Lino grandit et fait ses "humanités dans la rue". S’il se rend souvent au cinéma, c’est d’abord à une carrière de lutteur professionnel qu’il se destine. Il devient champion de lutte gréco-romaine sous le nom de Lino Borrini.

En 1942, il épouse Odette Lecomte. Enrôlé dans l’armée mussolinienne en 1943, il profite d’une permission pour déserter et rentrer à Paris. Après la guerre, il poursuit sa carrière sportive et est nommé champion d’Europe poids moyen de catch, sa nouvelle discipline, en 1950. Mais, lorsque son ami Henri Cogan lui brise la jambe lors d’un combat la même année, Lino doit renoncer aux rings et devient alors organisateur de combats.

"Touchez pas au Grisbi" de Jacques Becker, 1954. Lino Ventura et Jean Gabin. Photographie de plateau / Collection Musée Jean Gabin (Mériel) © DR

"Un jour, Gabin m'a dit : "Écoute-moi bien, le secret je vais te le dire : tu n'as qu'à te laisser aller". Alors, je me laisse aller."

C’est pourtant grâce à sa carrure de catcheur que Lino est choisi pour incarner un chef de gang dans "Touchez pas au grisbi" de Jacques Becker (1954) qui cherchait "une gueule de tueur, très musclé" pour son film. Dans ce film noir à la française, Lino, alias Angelo Fraiser, fait face à Max le Menteur, chef de gang joué par Gabin. Celui-ci est impressionné par la présence et le naturel de Lino : "J'peux vous dire un truc, moi, quand je l'ai vu, j'en ai baillé", dit-il en présentant son nouvel ami aux journalistes. Il le prend sous son aile et lui offre de nouveaux rôles de gangsters dans "Razzia sur la chnouf" d'Henri Decoin (1955), puis "Le rouge est mis" (1957), où leurs personnages s'entretuent.

Si Gabin et Ventura ne se croisent plus à l'écran, leur amitié bat son plein. Il faut attendre 1969 pour qu'Henri Verneuil les réunisse à nouveau dans "Le Clan des Siciliens", aux côtés d'Alain Delon. Jusqu'à la mort de Jean Gabin le 15 novembre 1976, les deux hommes, qui partagent la même force et la même droiture, restent très liés. "Un jour, il y a Gabin qui m'a dit : "Écoute-moi bien, le secret je vais te le dire : tu n'as qu'à te laisser aller". Alors, je me laisse aller." Lino Ventura

Devenu populaire, Lino peut ensuite voler de ses propres ailes : "Le Gorille vous salue bien"(1958) et "Les Tontons flingueurs"(1963) font de lui une vedette. Lino Ventura joue les durs. L’ancien lutteur, entré au cinéma par accident, devient populaire pour ses rôles de brute. Tout au long de sa carrière cinématographique, Lino va chercher à affiner ses personnages pour se défaire de cette image de gorille, devenant tour à tour le célèbre Tonton, le copain, le flic désabusé, le père ou l’amoureux. En incarnant le résistant Gerbier dans "L’Armée des ombres" (1969) puis Jean Valjean dans "Les Misérables"(1982), cet italien né un 14 juillet est promu au rang de symbole national français.

photo

"Le Bateau d’Émile" de Denys de La Patellière, 1962.
Lino Ventura et Annie Girardot /Photographie de plateau /Collection La Cinémathèque française © Marcel Dole

"Classe tous risques" de Claude Sautet, 1960. Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo / Photographie de plateau Saint-Cloud, Musée des Avelines © Paul Apoteker

le triumvirat Ventura – Audiard – La Patellière

En 1960, son vedettariat naissant permet à Lino Ventura d’aider Claude Sautet à réaliser son premier film, "Classe tous risques". Il insiste alors pour avoir comme partenaire un jeune homme plein d’avenir : Jean-Paul Belmondo. Le film est, à sa sortie, un échec public mais il sera ensuite réhabilité par les cinéphiles du cinéma Mac-Mahon qui l’érigeront en classique du film noir.

En 1961, le réalisateur Denys de La Patellière offre à Lino Ventura l’un de ses plus beaux rôles avec "Un taxi pour Tobrouk". Dans ce grand film humaniste déguisé en divertissement populaire, l’acteur donne une profondeur nouvelle à son personnage de dur. Il est aidé dans cette entreprise par les dialogues inoubliables de Michel Audiard.

Un an plus tard, le triumvirat Ventura – Audiard – La Patellière se reforme pour "Le Bateau d’Émile". Dans cette adaptation émouvante et drôle de Georges Simenon, l’acteur va plus loin encore dans le processus d’humanisation de son personnage. Face à Annie Girardot, il est tour à tour séduisant, veule, émouvant…

"Travaille avec des gens que tu aimes"

Depuis ses débuts, Lino Ventura a en tête les conseils de Jean Gabin. Il en est un qu’il érige en leitmotiv : "Travaille avec des gens que tu aimes."

Ça tombe bien, le précepte est celui que suivent, à la lettre, Michel Audiard et Georges Lautner. Le scénariste et le jeune réalisateur réunissent en 1963 une joyeuse bande sur un étrange film qui s’appelle à l’origine "Le Terminus des prétentieux"et qui deviendra, sur le tournage, "Les Tontons flingueurs". C’est un pastiche du film noir où l’on parle argot et musique concrète, où l’on "défouraille" et "colle des bourre-pifs". Une comédie policière dans laquelle des truands se remémorent leur jeunesse en buvant de l’alcool de contrebande dans la cuisine pendant la surprise-partie de leur nièce. Lino Ventura est le chef naturel d’un groupe formé de Bernard Blier, Francis Blanche, Robert Dalban, Venantino Venantini… "Les Tontons" est un film de copains. Il deviendra un classique. Une partie du groupe se reforme ensuite, enrichi de la délicieuse Mireille Darc et d’autres seconds rôles (Michel Constantin, Jess Hahn, Charles Millot…) et fait ensemble deux autres comédies aussi débridées, "Les Barbouzes"(en 1964) et "Ne nous fâchons pas" (en 1966). Ces trois grandes réussites prouvent que Lino Ventura peut être un immense acteur de comédie, bien qu’il ne cesse d’en douter.

Lelouch, Denner, Maccione, Gérard et Brel...

Claude Lelouch, cinéaste oscarisé (pour "Un homme et une femme") propose à Lino Ventura de "mettre sa force au service de la connerie" dans un film inclassable et irracontable, "L’aventure c’est l’aventure". En chef d’une bande de Pieds Nickelés qui drape sa crapulerie dans de fallacieuses motivations politiques, l'acteur est extraordinaire. Ses complices s’appellent cette fois-ci Charles Denner, Aldo Maccione, Charles Gérard et, surtout, Jacques Brel. Entre Lino et lui, l’amitié est immédiate et indéfectible. Et c’est avec Brel que Lino accepte de jouer en 1973 dans ce qui sera sa dernière comédie : "L’Emmerdeur".

Le père et l’amoureux

Le cinéma de Lino Ventura, c’est un cinéma d’hommes. Les femmes n’en sont pas absentes mais elles n’en sont pas la pierre angulaire. Même lorsque les relations hommes-femmes sont l’une des thématiques – comme dans "Le Bateau d’Émile" – c’est dans un traitement bien chaste. N’allez pas imaginer l’acteur dans un lit ! Et pourtant, Claude Lelouch a réussi à l’y glisser, dans "La Bonne Année", en 1973. Dans cette comédie romantique et policière sur "le dernier des machos", le cinéaste a prévu une scène où Lino Ventura est au lit et Françoise Fabian en peignoir avec lui dans la chambre. La séquence n’a été tournée qu’à la fin du tournage, après que l’acteur a été convaincu lui-même qu’elle était utile au film. À raison : "La Bonne Année" est l’une des grandes réussites de sa filmographie.

"La Gifle" de Claude Pinoteau, 1974. Claude Pinoteau, Isabelle Adjani et Lino Ventura. Photographie de tournage / Collection particulière © André Perlstein

Il est un autre rôle que Lino Ventura aura peu joué au cinéma, c’est celui de père. Lui qui régnait avec fierté sur sa tribu de quatre enfants à Montretout est un solitaire à l’écran. Le tuteur dépassé des "Tontons flingueurs" laisse pourtant présager que le conflit des générations peut donner, avec une telle personnalité, de beaux moments de cinéma. C’est ce qui se passe avec "La Gifle". Son ami Claude Pinoteau offre à Lino Ventura l’un de ses personnages les plus originaux et, pourtant, les plus évidents. Dans le rôle du père désarçonné par l’émancipation de sa fille, il est d’un naturel confondant. Et le duo qu’il forme avec la merveilleuse Isabelle Adjani reste aujourd’hui encore dans les mémoires.

Ventura crée à l’écran un rôle à sa mesure : celui d’un homme juste et droit

À partir du début des années 1970, Lino Ventura crée à l’écran un rôle à sa mesure. Celui d’un homme juste et droit qui découvre la corruption, la violence et l’absurdité du monde moderne. Cette découverte se fait d’abord avec horreur, indignation, puis, la lassitude venant, avec écœurement. Mais bien que le combat soit perdu d’avance, ce personnage – qui est souvent un policier – se bat avec le panache d’un Cyrano fatigué et l’amertume d’un Don Quichotte lucide contre la pourriture générale.

C’est à partir de "Dernier domicile connu", en 1970, qu’il apparaît. Devant la caméra de José Giovanni, épaulé par les adorables taches de rousseur de Marlène Jobert, Lino joue un policier qui se débat dans une sale affaire, dans un sale monde. Rythmé par l’entêtante musique de François de Roubaix, ce film amer marque les esprits.

"Adieu poulet" de Pierre Granier-Deferre, 1975. Victor Lanoux et Lino Ventura. Photographie de plateau / Collection particulière © Étienne George

Un an plus tard, en 1976, l’acteur creuse le sillon. Il tourne "Cadavres exquis", adaptation du roman italien "Le Contexte" de Leonardo Sciascia, mis en scène par le maître transalpin du film policier politique : Francesco Rosi. Enquête labyrinthique dénonçant les germes d’un totalitarisme insidieux, le film est une splendeur. Lino Ventura y est encore un policier, Amerigo Rogas, enquêtant suite à une série de meurtres touchant la magistrature italienne.

En 1978, voici le film le plus étrange de cette période : "Un papillon sur l’épaule", de Jacques Deray. Adapté d’un roman de John Gearon transposé à Barcelone, c’est un film où l’angoisse et l’incompréhension face au monde irradient chaque seconde.

"Garde à vue" de Claude Miller, 1981. Michel Serrault et Lino Ventura. Photographie d’exploitation / Collection La Cinémathèque française © Dominique Le Strat

Enfin, en 1981, Lino Ventura joue l’inspecteur Gallien dans "Garde à vue", de Claude Miller. Ce huis-clos oppressant dans lequel il fait face à Michel Serrault et Romy Schneider est l’apothéose de cette période "l’amertume du juste", et l’un des films majeurs de l’acteur.

Un symbole national français

Comme l’analyse Claude Lelouch, Lino Ventura fait partie de ces comédiens qui ont, à un moment donné, symbolisé la France. Lui qui refusait de demander la nationalité française pour ne pas, disait-il, "renier le pays où je suis né par une signature au bas d’une page" et qui est donc resté Italien jusqu’à la fin de sa vie, est aujourd’hui l’une des personnalités marquantes de l’histoire du cinéma français.

D’ailleurs, le monde du septième art, souvent prompt à railler les acteurs populaires, l’avait reconnu comme l’un de ses maîtres en lui demandant, en 1976, de succéder à Jean Gabin en tant que président de la cérémonie des César.

"Valjean est un rôle terrible où les plus grands se sont merveilleusement exprimés..."

Jean Gabin justement, auquel il succède quelques années plus tard dans un rôle emblématique de la culture française : Jean Valjean, personnage principal des "Misérables". Lorsqu’il propose à Lino Ventura d’incarner en 1982 le grand héros hugolien, Robert Hossein se heurte à une double hésitation de l’acteur : succéder à son ami et maître l’angoisse et, en plus, il n’aime pas tourner en costumes d’époque.

"Les Misérables" de Robert Hossein, 1982. Michel Bouquet, Frank David et Lino Ventura. Photographie d'exploitation / Collection La Cinémathèque française © Dominique Le Strat

L’enthousiasme communicatif du metteur en scène finit par avoir raison des réticences. Lino plonge. Il confiera : "Valjean est un rôle terrible où les plus grands se sont merveilleusement exprimés. Quel héritage redoutable ! J’ai abordé ce rôle avec une crainte immense, craignant de le desservir par trop d’amour. Et tandis que je mettais ma propre personnalité au vestiaire, j’essayais de devenir, d’être Valjean."

Il y parvient, comme il était parvenu en 1969 à personnifier Philippe Gerbier, le parangon des résistants français né de la plume de Joseph Kessel, devant la caméra de Jean-Pierre Melville dans « L’Armée des ombres ». Dans ce grand film d’atmosphère, Lino Ventura donne la réplique, entre autres, à Simone Signoret, Paul Meurisse et Claude Mann. Jamais il n’a été plus tragiquement beau, plus hiératique et douloureux. Enveloppé par la lumière blafarde et angoissante des petits matins hivernaux créée par le chef opérateur Pierre Lhomme, "L’Armée des ombres" est un monument du cinéma.

expo

Autour de l’exposition

Conférences 18 novembre 16h30 / "Les Tontons flingueurs" : le virage comique de Lino Ventura, par Philippe Lombard. Suivie d’une signature de ses ouvrages. Gratuit - Sans réservation - Durée : 1h. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

13 janvier 16h30 / La filiation Gabin-Ventura, par Patrick Glâtre, chargé de mission Cinéma & arts visuels au Conseil départemental du Val-d’Oise. Gratuit - Sans réservation - Durée : 1h. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Informations pratiques

Musée des Avelines / Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Cloud Jardin des Avelines 60, rue Gounod 92210 Saint-Cloud