L’esthétique sonore de l’orgue des frères Abbey
La complexité de cet orgue symphonique est exceptionnelle.
Doté d’un tirage de jeux assisté pneumatiquement, d’une alimentation à pressions multiples très sophistiquée, l’orgue intègre une quantité exceptionnelle de pièces d’étanchéité en peau d’agneau : boursettes, soufflets relais, réservoirs…, sujets à crevaison ou fuites.
Sa sonorité ne peut être comparée à aucun autre. En effet, si l’on peut identifier quelques caractéristiques sonores propres aux orgues d'Aristide Cavaillé-Coll, Joseph Merklin ou encore Louis Debierre, la chose n’est pas possible pour les frères Abbey, qui n’ont pas eu l’opportunité de signer suffisamment d’instruments significatifs qui nous soient parvenus bien conservés.
Les jeux de fonds présentent une grande variété de couleur.
Les jeux d’anches sont traités avec force et une clarté correspondant à une coupe plutôt courte. La boîte expressive est d’un effet stupéfiant, permettant une plage de dynamique rarement atteinte ailleurs.
Certains jeux de détails présentent une transparence qui ne se rencontre pas habituellement dans l’esthétique symphonique française et ils évoquent déjà le courant néo-classique des années 30.
Cette «typicité» sonore contribue à donner à cet instrument une place d’exception au sein du patrimoine organistique français de type symphonique.
Le programme de restauration
Entreprises Menoret/Lacorre et Robert (2000-2006)
L’orgue fonctionnera de façon correcte jusqu’au milieu des années 1970, avant de connaître des problèmes d’alimentation et de devenir progressivement aphone : les nombreux soufflets ne lèvent plus en raison des fuites considérables. Un mauvais état dû en en grande partie à l’état de la peausserie, qui n’avait pas été remplacée lors d'une précédente restauration, en 1957, et à l’usure des mécanismes depuis presque 100 ans.
La Commission Supérieure des Monuments Historiques a retenu le programme de restauration suivant :
- restitution de l’état John et Eugène Abbey de 1898, portant sur la reconstitution des quelques jeux supprimés ou transformés en 1957,
- retour à l’harmonie des fils Abbey (modifiée par lors de la restauration de 1957),
- restauration approfondie à l’identique de l’ensemble de la partie instrumentale,
- complément de six grands tuyaux au 1er UT de la Flûte 32 de John Abbey : disposition souhaitée par J & E Abbey, mais jamais réalisée faute de moyens.
La maîtrise d’ouvrage des travaux a été assurée par la Direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne. Les travaux, qui ont débuté en février 2000, ont tout d’abord été confiés aux établissements Renaud-Menoret (Nantes). La partie instrumentale a été complètement déposée. Le buffet a été restauré sur place.
L’entreprise Menoret ayant déposé le bilan, c’est l’entreprise Lacorre & Robert (en partie constituée d’anciens ouvriers de l’entreprise Renaud-Menoret), qui a poursuivi la restauration. Les travaux se sont achevés en décembre 2006.
Détail de la restauration
La complexité de cet orgue de 54 jeux, mais dont la structure mécanique très complexe équivaut à celle d’un orgue de 100 jeux, a généré un travail considérable au plan de la réfection des pièces mécaniques et surtout de la peausserie.
Les travaux ont consisté en une grande restauration à l’identique, avec récupération de l’harmonie adoucie par Roethinger et restitution de quelques jeux disparus.
Il a fallu 47 peaux d’agneau pour restaurer la machine pneumatique du grand orgue, et plus de 360 peaux pour l’ensemble de l’orgue, alimenté par 11 réservoirs, 20 anti-secousses, 8 gosiers à plis.
L’instrument a été démonté, le buffet étant maintenu sur place et restauré, les éléments de sculpture manquants restitués. Les sommiers ont été entièrement restaurés, leur peausserie remplacée, les gravures ré-encollées.
Toute la tuyauterie a été redressée, vérifiée. Les innombrables moteurs pneumatiques ont été remis en peaux. Les tuyaux de bois ont été vérifiés en étanchéité et repeints. Les tuyaux de façade qui étaient ternes ont été déposés, débosselés et polis.
Chaque pièce mécanique a été réparée, leurs jeux, accrus par l’usure, ont été re-calibrés. Un travail considérable proche de l’horlogerie effectué sur plusieurs milliers de pièces vérifiées une à une.
La phase de remontage et de réglage des mécanismes a duré plusieurs mois, tandis que la phase de mise en harmonie s'est étalée sur plus de six mois.
Composition de l’instrument restauré
Cette composition est conforme au plan réalisé en 1898 à deux exceptions près :
1- Le principal 32 a été complété de 6 basses ouvertes au premier DO, conformément aux propositions des facteurs ;
2- Le Cor anglais à anches libres du récit qui avait disparu laissé en place par les Frères à la demande de l’organiste n’a pas été reconstitué au profit d’une quinte que les frères Abbey avaient personnellement suggéré.
Entreprises
Relevés préalables du buffet : cabinet Art Graphique et Patrimoine.
Plans internes et relevés techniques : Eric Brottier.
Recherches et analyses historiques préalables : Sylvain Mikus
Buffet et instrument : Atelier Robert Frères
Restauration des 600 équerres de la mécanique : Yves Bourdillat
Harmonisation : Atelier Robert frères (Olivier Robert), avec la participation de l'atelier DLFO
Maîtrise d’ouvrage : Direction régionale des affaires culturelles
Maîtrise d’oeuvre : Eric Brottier, technicien-conseil agréé par le ministère de la Culture
Montant global de l’opération : 969 000 € TTC
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