Oeuvre de l’architecte Emile Maigrot (1880-1961) et de l’ingénieur Eugène Freyssinet (1879-1962), les Halles du Boulingrin (1927-1929) sont représentatives d’un savoir faire technique, allié à une puissance plastique remarquable, et remarquée à l’époque, car novatrice. Ce monument, d'une surface de dimensions 6456 mètres carrés, a été progressivement abandonné puis sauvé de la destruction, à la fin des années 1980, par un classement d'office au titre des monuments historiques.
Aujourd'hui restaurées, les halles vont être le lieu, pour leur réouverture, d'un programme de manifestations et d'événements : une exposition sur l'histoire des halles, un colloque sur la restauration du patrimoine en béton, l'édition d'un ouvrage et une fête d'inauguration qui, durant trois jours, animera l'édifice et l'ensemble du quartier, le lancement des festivités a été confié à Stéphanie Aubin, directrice du Manège - Scène nationale de Reims.
Le chantier des halles a mobilisé des crédits importants de la part de l'Etat. Le ministère de la Culture a ainsi financé le Projet architectural et technique à hauteur de 232 000 €.
Le coût des travaux s'élève à 22 042 794 € HT avec une participation de la DRAC de l'ordre de 8 334 333 €.
Après trois années de travaux, la Ville de Reims et la DRAC se mobilisent pour faire de cette fin de chantier un événement à part entière.
L'inauguration, lors des journées européennes du patrimoine, sera marquée par la présentation d'une exposition temporaire dans les halles sur l'histoire du bâtiment, réalisée par la ville de Reims.
Le même week end, la ville propose un programme complet de manifestations artistiques qui vont animer l'ensemble du quartier (programme sur site internet de la ville).
Cette inauguration est aussi l'occasion de parler de l'importance de ce monument et de toute la variété du patrimoine du XXe siècle. Ainsi, le 18 septembre, la DRAC organise un colloque à Reims pour évoquer la problématique de la réhabilitation de ce nouveau patrimoine à partir de ce chantier exemplaire (programme disponible ici). À cette occasion, la ville présentera l'ouvrage sur l'histoire des halles et sur leur restauration qui sera publié en partenariat avec la DRAC à la fin de l'année 2012.
Les halles du Boulingrin, un symbole de la modernité architecturale
La construction des halles centrales est prévue dès le plan de reconstruction de Reims en 1920 après les ravages de la guerre. La procédure d'appel d'offre est lancée en 1922.
Emile Maigrot (1880-1961) est parmi les finalistes avec un projet en béton armé. Architecte établi à Reims, il a déjà réalisé de nombreux édifices comme des abattoirs. Maigrot est lauréat mais le changement de municipalité en 1925 amène du retard et le lancement de nouvelles études visant à en faire baisser les coûts. La société Limousin remporte le marché de mise en oeuvre des bétons, société qui compte parmi ses employés Eugène Freyssinet (1879-1962). Elle propose un procédé largement moins coûteux qui amène l'architecte à faire évoluer profondément son projet.
Les travaux sont réalisés en 1928 et la collaboration Maigrot-Freyssinet est alors très étroite : "Ingénieurs et architectes se sont confondus. Ce n’était plus que des collaborateurs travaillant au même idéal, essayant de construire une œuvre moderne dont le coût était réduit au minimum » déclara le maître d'oeuvre, ajoutant que "les conceptions nouvelles et extrêmement pratiques" de son ingénieur "ont facilité la tâche" .
De fait, les Halles du Boulingrin apparaissent bien plus comme la réalisation de Freyssinet que comme celle de Maigrot, ce qui n'est vrai qu'en partie.
Il est certain que l'ingénieur a apporté de nombreuses idées qui ont modifié l'économie du chantier mais aussi l'aspect final du bâtiment, à un moment où les techniques de mise en oeuvre du béton sont mures. En s'inspirant de ses travaux sur les hangars d'Orly, Freyssinet met en oeuvre un voûtement que l'architecte en chef des Monuments historiques décrit comme un "monolithe articulé" : " À l’intérieur, aucune ligne de tension, aucune poutre, aucun arc n’affirme la structure." L’espace est libre et unifié, résultat d'une mise en oeuvre standardisée avec un cintre coffrage qui effectue une translation (ce qui nécessite de rejeter à l'extérieur tous les éléments saillants).
Un système de voûte centrale contrebutée par des voûtains perpendiculaires, complétée pour assurer la répartition des forces par des articulations en pied de poteaux et par un découpage de la voûte centrale en trois parties dans le sens longitudinal.
L'innovation est également patente dans le second oeuvre. La structure des verrières est ainsi réalisée entièrement en béton et non pas en métal, comme il est d'usage courant à cette époque. Il faut souligner également l'apport de Maigrot qui "a su accompagner l'acte de bravoure de la voûte par une écriture architecturale tout en finesse".
Les halles pour quoi faire ?
Peu après le classement d'office, La DRAC commande à Pierre-Antoine Gatier une première étude rendue en juillet 1991. En 1995, le maire réélu, Jean Falala l'inscrit dans son programme électoral la restauration des Halles pour une nouvelle utilisation en marché couvert. Après son élection, il accepte la proposition de la DRAC de donner une suite aux études préalables et de commander un projet architectural et technique. Ce projet est commandé au printemps 1996.
Parallèlement, la Ville lance en collaboration avec la chambre de commerce et les marchands forains, une étude en vue de cerner les besoins concernant ce futur équipement commercial. En 1997, l'étude de la Ville et de la chambre de commerce démontre que l'idée de marché couvert n'est pas viable
Entre temps la DRAC Champagne-Ardenne reste active et intervient régulièrement auprès de la ville propriétaire pour rechercher une solution. Elles évoquent à plusieurs reprises les modalités d'une réutilisation, fondée pour une part importante sur une vocation culturelle au sens large du terme, sans que soient négligés les impératifs de conservation et de restauration liés aux qualités intrinsèques du monument historique. Des ouvertures sont faites : possibilités notamment d'implanter à l'intérieur des « boîtes » (salle de cinéma ou salle de collections muséales) qui pourraient accueillir certaines activités, sans échapper à l'impératif essentiel de ne pas chauffer l'intérieur de l'édifice. Ces réflexions n'aboutissent pas mais permettent de consolider la nécessité d'une vocation multi-disciplinaires du lieu, condition sine qua none de sa renaissance.
En 2008, la nouvelle équipe municipale relance le projet. Elle a fait de la restauration des Halles en marché couvert une composante importante de son programme électoral. Le programme défintif de réutilisation des Halles prévoit de rétablir le marché couvert dans son intégrité originelle avec néanmoins quelques adaptations nécessaires, eu égard à la réglementation relative à l'accessibilité des établissements recevant du public, des établissements commerciaux et aux nouvelles contingences commerciales. Par ailleurs l'édifice devra pouvoir accueillir différents types de manifestation (sportive, culturelle, commerciale) augmentant notablement son utilisation.
La DRAC assure alors la maîtrise d'ouvrage des études qui réactualisent et complètent celles réalisées 10 ans plus tôt.
La maîtrise d'oeuvre de la restauration est confiée à l'ACMH François Chatillon. La ville de Reims assure elle-même la maîtrise d'ouvrage sur les travaux.
Le projet de restauration
La question de la restauration des bétons s'est posée de manière très concrète dans le chantier des Halles. Le matériau était en effet soumise à un phénomène bien connu de carbonatation. Le béton armé est un matériau hétérogène formé de béton (ciment + agrégats + eau) qui enrobe des barres en acier de diverses sections. En principe, les aciers sont protégés de la rouille par le béton, mais lorsque l’humidité pénètre dans les bétons du fait de sa porosité, les aciers perdent leur protection, rouillent, grossissent et font éclater les bétons, qui de fait, se retrouvent encore plus exposés à l’humidité. Pour assurer l'étanchéité de la voûte et protéger les aciers afin d’éviter leur dégradation, plusieurs procédés ont été testés sur des voûtains tests traités par chaque entreprise ayant candidatée à l'appel d'offre.
L'entreprise retenue a travaillé selon la méthode suivante. Après la réalisation d’un échafaudage-étais intérieur et extérieur, l'extrados de la voûte a été restaurée (démolition des parties d’enduit ciment et leur remplacement par des mortiers adaptés, mise en oeuvre d'une étanchéité liquide recouverte d'une couche de sable gris). A l’intérieur de la voûte (intrados), les parties dégradées ont été enlevées par hydrosablage jusqu’à la mise à nu des aciers. Un lavage à l’eau chaude a permis de faire ressortir les sels emprisonnés dans le béton. Après brossage de ces sels, une solution d’inhibiteur de corrosion au monofluorophosphate de sodium (MFP) a été passée sur l’ensemble de l’intrados pour pénétrer les bétons par capillarité et enrober les aciers d’une fine couche protectrice. Enfin, les parties manquantes ont été restituées avec un mortier adapté dans lequel les traces de coffrage ont été imprimées dans la continuité des parements contigus. De façon exceptionnelle, certaines parties trop dégradées ont été entièrement démolies et remplacées par des bétons neufs.
La restauration des structures des verrières, réalisée dans un béton armé à très faible enrobage et donc très altéré par le temps, n'a pas été possible. L'ACMH a fait le choix d'une restitution de ces profifs selon une méthode permettant d'en conserver l'aspect très léger tout en faisant le choix d'un matériau plus stable. La même question s’est posée pour les soubassements et dessus de porte en béton vert. Le recours au béton fibré teinté en Composite Ciment Verre (CCV) réalisé par l’entreprise Partner Engineering a permis de restituer l’aspect initial de la façade avec un matériau mince dépourvu d'armatures. La restitution des verres armés jaunes a été une autre difficulté. Ce type de fabrication étant arrêté, il a fallu faire réaliser des coulées spéciales en Pologne pour fournir le chantier.
Outre le marché hebdomadaire, le projet prévoit la possibilité d’utilisation du lieu pour d’autres types de manifestations, sportives ou culturelles. A cet effet, de nombreux équipements techniques sont prévus en sous-sol et en sous-face de la galerie. Les fonctions nécessaires à l’exploitation de l’équipement (logement de gardien, poste de sécurité, local poubelle, sanitaires, etc…) sont localisées dans les pavillons d’angle, restructurés intérieurement à cet effet. Les locaux communs des commerçants, accueil et placier, sont placés sur la rue de Mars à l’emplacement de l’ancienne poste. Ces modifications n’affectent pas les façades dont les percements initiaux sont restitués. De nouveaux étals fixes, dont la réalisation a été confiée à l’entreprise SLAM Métallerie, ont été conçus comme des adjonctions au rez-de-chaussée en périphérie de la galerie. Leur architecture contemporaine, sans équivoque avec les éléments de 1930, en reprend néanmoins certains éléments et la gamme de couleurs pour constituer un ensemble homogène.
De même, à la demande de la Ville de Reims, les espaces sous les auvents donnant sur la rue du Temple ont été adjoints aux espaces des anciennes boutiques pour permettre la création de deux grands commerces en façade, sur la nouvelle rue piétonne. Le choix de recourir à un mur de verre agrafé, le plus simple possible, s’inscrit dans la volonté de marquer clairement la limite entre la restauration et la création. Le traitement intérieur des boutiques est en partie imposé avec les matériaux initiaux : sols granito, plafonds en staff.
En matière de sécurité incendie enfin, les interventions ont pu être limitées à des ouvrages pour la plupart sans impact fort sur l’édifice. Seuls l’encloisonnement des escaliers des pavillons, la création d’un escalier supplémentaire dans l’axe de la galerie et l’implantation de tourelles de désenfumage au faîtage de la voûte, sont perceptibles.
Jonathan Truillet
Conservateur régional des monuments historiques à la DRAC Champagne-Ardenne