Plusieurs sites industriels désaffectés ont su se réinventer pour devenir aujourd’hui lieux de culture et de vie tournés vers les habitants.

Ce sont d’anciennes imprimeries, d’anciennes entreprises, d’anciennes chaufferies ou encore d’anciennes usines. Fermés lorsque l’activité industrielle ne fonctionnait plus, ces sites délaissés sont peu à peu sortis de leur torpeur pour retrouver une seconde vie.

Cette résilience s’inscrit également dans l’idée d’un patrimoine durable qui traverse les siècles pour trouver de nouvelles fonctions adaptées à la configuration des lieux, sans avoir besoin de modifications profondes. Ainsi, les nouveaux occupants, dans une démarche de développement durable, multiplient les actions de réemploi pour limiter l’empreinte écologique de ces sites.

À l’occasion des Journées européennes du patrimoine, certains de ces lieux ouvrent leurs portes au public, parfois pour la première fois. L’occasion de faire revivre le passé de ces sites et de montrer des projets innovants.

Île-de-France : La Chaufferie, lieu de création chorégraphique

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Architecte et urbaniste en chef de la ville de Saint-Denis, André Lurçat a conçu en 1952 l’usine qui servait à alimenter la commune en chauffage. Le lieu, devenu inoccupé, a été proposé au chorégraphe Philippe Decouflé et sa compagnie DCA en 1993 et investi deux ans plus tard. A l’époque, l’artiste sort des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville pour lesquels il a imaginé la cérémonie d'ouverture. « Il cherchait un endroit pour implanter ses créations car il joue avec beaucoup de décors, de costumes et fait beaucoup d’expérimentation avec la lumière », explique Frank Piquard, directeur délégué de la compagnie.

Du passé fonctionnel de cette chaufferie subsiste aujourd’hui sa cheminée. La compagnie a gardé la coque extérieure de béton typique de l’architecture des années 50 et a surtout aménagé l’intérieur par tranches successives afin de créer un espace scénique de 200m2, une grande boîte de neuf mètres de hauteur pour y installer le grill technique et des passerelles et enfin une scène de 15x15 mètres. Aujourd’hui, le tout fait 700 m2 de superficie dont un studio de danse de 80m2, un entrepôt construit en 2012 pour les décors et les accessoires ainsi que des bureaux pour l'administration. « Nous avons également gardé quelques éléments comme d’anciens de compteurs de pression qui laissent une trace du passé », souligne Frank Piquard.

Ce précieux outil de travail s’est mis, depuis plusieurs années, au service d’autres compagnies et la compagnie DCA se mue en accompagnateur de jeunes artistes avec des accueils-studio pour des essais techniques et des répétitions régulièrement ouvertes aux professionnels et au public. « Le lieu devient plus ouvert qu’il ne l’a jamais été et la Chaufferie est en train de devenir un lieu de fabrique de la danse, poursuit Frank Piquard. C’est un endroit entre studio et théâtre et une compagnie peut venir ici dès que la danse est écrite mais qu’il faut un espace pour répéter. Ce qui est formidable, c’est que cet accompagnement peut durer jusqu’à la date de la première. »

Déjà partenaire d’événements comme les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, la compagnie DCA a choisi de mettre un coup d’accélérateur sur cette politique d’accueil et son implantation locale à travers également des actions d’éducation artistique et culturelle. Les Journées européennes du patrimoine arrivent donc pour solidifier ce lien avec l’extérieur, et notamment le grand public. « Il est important de communiquer avec le public, de montrer comment se monte un spectacle et d’insister sur le fait que les artistes ont besoin de temps pour travailler », constate Frank Piquard. Des cours de danse seront notamment proposés avec des professionnels et des projections de films réalisés par Philippe Decouflé suivis d’échanges avec les acteurs. 

Normandie : le Hangar Zéro, un tiers-lieu « zéro exclu »

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Petit à petit, le port du Havre s’est déplacé vers le sud-est de la ville, laissant le populaire quartier de l’Eure avec les vestiges de son passé industriel. Depuis une dizaine d’années, le lieu est engagé dans un processus de reconversion avec des friches progressivement transformées en halls d’exposition, salle de spectacles, pôle commercial et même le nouveau Centre des Congrès, inauguré en 2016.

Parmi ces lieux, le Hangar Zéro s’affiche comme un tiers-lieu de la transition écologique et citoyenne fait par et pour les habitants. Tout est parti de l’appel à projets « Réinventer la Seine » qui proposait d’imaginer des nouvelles manières de vivre le long de l’axe du fleuve. Parmi les lieux sélectionnés pour des réhabilitations, celui de cet ancien hangar de stockage tout en briques. L’association LH-zéro, composée d’une dizaine de membres dont deux architectes, décide de présenter un projet de village alternatif. « Nous voulions garder la valeur patrimoniale du bâtiment et avoir un projet plus ancré sur les habitants, avec une certaine simplicité dans le rendu. Cette ambition a plu », se souvient Steven Lemercier, l’un des membres de la SCIC, (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), mode d’organisation retenu pour gérer le lieu. Aujourd’hui, près de 350 sociétaires se partagent la gouvernance du hangar.

Le projet sélectionné, reste maintenant à rendre concret ce tiers-lieu. Après une période de recherche de financement, les travaux ont démarré en 2019 avec trois mots d’ordre : zéro déchets, zéro carbone et zéro exclu. « Nous sommes dans une démarche de construction avec des matériaux géo et bio-sourcés. Nous privilégions le réemploi en récupérant des matériaux et en les utilisant soit pour leur usage premier soit en les détournant », poursuit Steven Lemercier. Par exemple, la structure se compose de containers « dernier voyage » et près de cent fenêtres double vitrage ont été récupérées à Dieppe et réinstallées avec un nouveau cadre en métal.

Pendant toute la durée des travaux, le Hangar Zéro a fait le choix de l’horizontalité, l’inclusion et la bienveillance dans son chantier. « Le sociétariat permet à chaque personne de participer au projet en aidant à faire la cuisine ou en travaillant sur le chantier. Chaque personne qui veut venir est la bienvenue », poursuit Manon Niel, une autre sociétaire.

Premiers espaces à ouvrir dans le Hangar Zéro, ceux de la boutique de créateurs locaux et de revendeurs. « Elle est représentative de notre modèle de mutualisation : les créateurs se regroupent pour avoir un magasin et s’organisent entre eux pour gérer cette boutique », explique Steven Lemercier. Le restaurant, lui aussi ouvert, propose chaque jour un menu responsable, local et très peu producteur de déchets.

À terme, les 2 800 m2 de surface seront partagés entre des salles de réunion et des fablab au rez-de-chaussée et une pépinière d’entreprises partageant les valeurs du lieu à l’étage. Le tout est entouré de 1200 m2 d’espaces extérieurs qui seront de futurs jardins partagés et cultivés selon les principes de la permaculture. D’ici peu, l’aquaponie, une méthode de culture avec poissons et plantes dans le même système, complètera son fonctionnement avec l’arrivée des serres. Mais tout se fera progressivement puisqu’ici, même la construction est utile au public. « L’ouverture se fera au fur et à mesure afin de garder le lien avec le quartier. Ensuite, notre ambition est de transmettre ce lieu de génération en génération », prévient Steven Lemercier.

Ce lien est amené à se consolider lors des Journées européennes du patrimoine avec des visites du lieu ancrées sur le passé du bâtiment et une présentation du futur projet. La date coïncidera avec celle de la fête des saisons, organisée quatre fois par an. Celle consacrée à l’automne aura pour thème l’alimentation.

Provence-Alpes-Côte d'Azur: les 8 Pillards, une communauté de travail expérimentale

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C’est un site centenaire témoin de l’aventure industrielle de Marseille. L’entreprise Pillard, spécialisée dans les systèmes industriels de combustion, a fermé ses portes en 2017, laissant libre un espace vaste de près de 4 000 m2 et de 11 mètres de hauteur sous plafond.

Une véritable cathédrale industrielle dont se sont emparés en 2019 les 8 Pillards, association collégiale formée de six associations et deux artistes*. « Il n’y avait ni eau ni électricité, les fenêtres étaient toutes cassées et la tour des ouvriers étaient devenue un pigeonnier, se souvient Emilie Rossi, artiste plasticienne et membre du collectif À Plomb’. Il a fallu faire de gros travaux sur la base du réemploi. » Le groupe a par exemple récupéré des plaques de verre auprès d’une concession automobile et composé avec ce qui était déjà présent sur place et selon les savoir-faire de chacun. En tout, près de 80 000 heures de travail bénévoles ont été nécessaires.

Aujourd’hui, près de 75 personnes des domaines des arts visuels, plastiques, scéniques, de l’architecture, du design ou encore de l’urbanisme co-travaillent dans ce tiers-lieu dans un esprit d’horizontalité : pas de président mais un membre de chaque structure faisant partie de l’instance décisionnelle. « Ce mode de fonctionnement s’est mis en place tout naturellement, souligne Tiphaine Dubois, graphiste et membre du F.A.I.R.E (Fabrique Artisanale et Imaginative de Réalisations Eclectiques). Il se passe beaucoup de choses pendant nos plénières avec les membres actifs, l’émulation est très forte. Nous avons eu envie d’être inclusifs et de partager nos savoir-faire. » Chaque collectif possède son propre espace dédié mais « 50% des locaux sont avant tout communs », poursuit Emilie Rossi. Ainsi, la Grande Nef est restée libre et sert de voie de circulation et d’espace de présentation tandis que les étages servent de bureaux et les sous-sols de lieux de construction métal ou bois. En tout, 13 ateliers de création et de production sont présents sur le site pour 15 disciplines d’arts, de design, d’artisanat et d’architecture.

Située dans le quartier Bon Secours, prolongement de celui de Belle de Mai, l’usine Pillard et ses nouveaux occupants veulent désormais s’ouvrir à près de 11 000 habitants. « C’est un quartier délaissé de Marseille et il est difficile d’inclure la population vers l’art contemporain », explique Emilie Rossi. Les membres ont donc organisé plusieurs événements comme des vide-greniers, des projections de films ainsi que des événements plus informels et prévoit l’organisation d’un festival de danse en novembre. « Avant nous, les voisins ne se connaissaient pas bien, nous avons contribué à retisser un lien », constate Emilie Rossi. Pour les Journées du Patrimoine, des membres des 8 Pillards ainsi qu’un ancien dessinateur industriel viendront témoigner du passé et du futur de ce site.

*9 collectifs et entités aujourd’hui : À Plomb’, Le Bureau des Guides du GR13 et Francis Ruggirello, Cabanon Vertical, La Cale, Collectif ETC, F.A.I.R.E, Groupe Artistique Les Pas Perdus, Jérémy Laffon et Ahram Lee, Angela Frères et Catherine Melin

Île-de-France : les Laboratoires Éclair, nouveau quartier culturel

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C’était, pendant le XXe siècle, une institution phare dans le monde du septième art. Les établissements cinématographiques Éclair, fondés en 1907 à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), ont accueilli pendant plus de cent ans studios de tournage et ateliers de tirage des pellicules. « Près de huit cents salariés ont travaillé sur ce site de plus de quatre hectares, implanté au cœur de la ville », rappelle Ingrid Gabarrot-Viallet, directrice générale adjointe à la Culture et la vie de la cité à la ville d’Épinay-sur-Seine.

Confrontés à des difficultés financières suite à l’évolution des pratiques cinématographiques vers le numérique, ces laboratoires ont fermé en 2015 et fait place à une immense friche que la ville a racheté en 2018 pour six millions d’euros avec la volonté de préserver ce patrimoine historique. « Si lors de l’acquisition nous n’avions pas de projet précis concernant la reconversion de ce lieu assez fermé, qui accueillait des personnalités du monde du cinéma, nous avions en revanche décelé rapidement son potentiel et avons fait le choix de rendre le site accessible aux habitants de la ville. Avec 18 000 m² de bâtiments et un grand espace végétalisé, le champ des possibles est vaste », décrit Ingrid Gabarrot-Viallet

Pour monter son projet, la ville fait appel à des artistes, architectes, paysagistes, urbanistes pour structurer et concrétiser son projet avant de rentrer dans une phase pré-opérationnelle en 2021, avec l’aide et l’expertise du groupement Une Fabrique de la Ville et du Centquatre-Paris. « Nous avons structuré le projet autour de trois grands axes. On retrouvera des ateliers de travail, dédiés aux artistes et artisans d'art afin de favoriser la création, un restaurant et une programmation culturelle qui sera ouverte au grand public », explique Ingrid Gabarrot-Viallet. En tout, sept des huit bâtiments ont été gardés. La configuration des lieux est intacte, seuls des travaux de toiture, de remise aux normes d’isolation et électrique et le raccordement à l’eau ont été effectués, le reste étant aménagé par les futurs gestionnaires.

Parmi eux, l’Abominable qui amarrera en 2024 à Epinay son « Navire Argo ». Cette association née en 1996 vise à préserver les savoir-faire du cinéma argentique, pratique qui entre en résonnance avec les anciennes vocations des lieux. « C’est un heureux hasard, confie Nicolas Rey, l’un des membres du collectif. C’est finalement assez beau de revenir ici, dans cette grosse industrie créée en 1907. » Le projet Navire Argo accueillera des cinéastes qui viendront travailler les techniques de l’argentique, formera des professionnels au métier de projectionniste et recevra du public pour des projections en 16, 35 mm ou Super-8. Passée par Asnières puis La Courneuve, L’Abominable est installée provisoirement à Epinay, dans des locaux de 850 m2. Cette surface va pratiquement doubler pour atteindre 1 400 m2 sur le site Eclair. « Mais il y aura des fonctions supplémentaires et notre salle de projection va passer de 49 à environ 70 places et pourra accueillir du public. » Le projet s’inscrit là encore dans une logique de réemploi puisque le bâtiment investi possède encore quelques machines d’époque qui va rejoindre le riche patrimoine de l’association. « On essaie de maintenir au maximum ces équipements ; les machines sont récupérées et réparées pour être maintenues en état de marche », poursuit Julia Gouin, autre membre du collectif.

En attendant l’ouverture progressive qui s’étalera jusqu’en 2023, le premier temps inaugural aura lieu cette année avec les Journées européennes du patrimoine, occasion idéale de lever le voile sur ce lieu longtemps resté fermé avec des visites des futurs locaux du Navire Argo et une projection en format 35 mm du film Le Havre d’Aki Kaurismaki, post-produit chez Éclair en 2011.