Depuis 1921, date de la première émission radiophonique, la radio a fait couler beaucoup d'encre. Petite plongée dans les archives de ce média pas comme les autres.

De Maurice Chevalier à Coluche, en passant par Antonin Artaud, Jean Yanne, Bourvil ou... Fantômas, ils ont été, chacun à sa place, des acteurs-clés de l’histoire d’un média à la popularité inentamée : la radio. Et si ce média, depuis le lancement de Radio Tour Eiffel, il y cent ans, a fait couler beaucoup d’encre, pour le meilleur (souvent), mais aussi pour le pire (parfois), ils y sont forcément pour quelque chose. Petite exploration de cinq de ses métamorphoses puisées dans ses archives.

La radio, porte-voix des « monstres sacrés » : Pierre Dac, Jean Yanne, Coluche…

Au départ, ils n’étaient pas des hommes de radio, mais, sans cela, leur destin aurait été bien différent.

Au micro, ils ont lancé des formules qui traversent encore notre mémoire. Pierre Dac et Jean Yanne dans un registre résolument politique. Le premier, pendant l’Occupation : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand », sur l’air de la Cucaracha. Le second : « Il est interdit d’interdire », dans une chronique de RTL, dont il n’avait pas imaginé qu’elle serait aussitôt reprise dans la rue (on était en mai 1968). Quant à Coluche, on retiendra sa gouaille inimitable et ses blagues de comptoir, politiquement incorrectes, irrésistibles et peu appréciées des pouvoirs en place.

La radio est un média populaire, elle opère parfois une véritable rencontre entre la sensibilité d’un « speaker » et son auditoire. Elle peut être aussi un organe de propagande et d’agit prop’ (« la voix de son maître »), mais, le plus souvent, le public ne s’y trompe pas. C’est que certaines personnalités comme Pierre Dac, Jean Yanne, Coluche et quelques autres, trouvent « les mots pour le dire » et savent être différents. Une façon de parler vrai.

Extrait de l'émission de Jean Yanne en 1968 avec Daniel Prévost, "appariteur musclé".

Les poètes surréalistes, le producteur visionnaire, l'homme d'affaires et la création radiophonique...

La création radiophonique, « œuvre artistique sonore diffusée sur les ondes », apparaît dès les années 1920. Parmi les pionniers, Paul Deharme (1898-1934) cherche à créer une discipline artistique nouvelle, qui adresse les effets sonores de la voix, du langage, du bruitage et de la musique à l’inconscient même de l’auditeur. Il explique tout cela dans un essai : Pour un art radiophonique. Il n’en fallait pas plus pour attirer les Surréalistes, mais aussi les agences de publicité.

Paul Deharme, lorsqu’il n’est pas visionnaire, est un habile homme d’affaires qui fournit à Radio Paris et Radio Luxembourg des campagnes publicitaires. Il monte un programme sponsorisé par Le Petit Journal, pour « faire la réclame » d’un roman qui va y paraître en feuilleton : Si c’était Fantômas ? de Marcel Allain. Ce n’est alors ni plus ni moins que Robert Desnos qui écrira cette Grande Complainte de Fantômas, promise à un grand succès. Antonin Artaud dirigeait les comédiens.

Exceptionnel : la voix de Desnos dans le récit radiophonique d'un rêve

Quel destin tragique pour ces deux poètes ! Desnos ne revint pas de déportation. Quant à Antonin Artaud, de retour à Paris après neuf années d’internement, il donna, l’année même de sa mort, (1948) une des créations radiophoniques les plus célèbres, qui ne fut jamais diffusée tant elle fit peur au directeur de la Radiodiffusion française : Pour en finir avec le jugement de dieu. Écoutez cette conférence-performance à nulle autre pareille, c’est saisissant.

De la « réclame » à la publicité : l’âge d’or de la radio

Il faut voir ou revoir Radio days, le film de Woody Allen, pour comprendre la place énorme que la radio occupait dans la vie des familles des années 1940 et 1950, avant l’arrivée progressive des postes de télévision. Les journalistes, artistes, producteurs et agences de publicité dominaient ce média dans une ambiance de fièvre comparable à celle des réseaux sociaux d’aujourd’hui. Une vedette de music-hall, en passant à la radio, décuplait sa notoriété. Si elle pouvait, comme Maurice Chevalier, y ajouter une carrière au cinéma, elle s’enracinait dans le paysage médiatique.

Archive de Radio-Nice où Maurice Chevalier raconte ses débuts au music-hall

Cet âge d’or de la radio fait aussi de l’auditeur une proie de choix pour ce qu’on appelle à l’époque « la réclame », à savoir la publicité. Il y aurait toute une histoire du slogan à écrire. L’aspirine Usine du Rhône « n’a pas la prétention d’être au-dessus de tout autre, mais elle prétend qu’aucune autre ne lui est supérieure. ». On chante les louanges de Monsavon sur l’air de la Madelon, mais la palme va sans doute au savon Cadum, qui n’est plus un slogan mais une formule hypnotique, « Savon Cadum », martelée cinq fois avec insistance aux oreilles des jeunes mamans. Restait encore, dieu merci, dans les années 1950, Bourvil pour chanter gentiment les vertus du shampoing Dop…

Réclames radiophoniques 1930-1960

Parler au monde entier, écouter toutes les langues : un chemin vers une radio internationale

Après les débuts des années 1920, les radios de tous les pays se développent. Comme tous ceux qui ont un empire colonial, la France souhaite couvrir son territoire jusqu’au bout du monde, mais aussi parler aux peuples de l’Europe, comme aux Américains lusophones, hispanophones, anglophones… Il faut pour cela un émetteur « ondes courtes ». Les débuts sont modestes.  Même avec un orchestre de 40 musiciens et une troupe de théâtre pour animer ses émissions, le « Poste colonial », la nouvelle radio fondée en 1931, n’est pas vraiment à la hauteur de la concurrence étrangère !

Cependant, la création de l’ORTF, en 1963, initie une lente reconstruction, qui commence par le financement progressif, grâce au ministère du travail, d’émissions en langues étrangères à l’attention des travailleurs immigrés vivant en France : Espagnols, Italiens, Portugais, Arabes, Serbo-Croates, Turcs, Africains francophones, Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens. De son côté, le service des Emissions vers l’étranger (EVE) organise un sondage appelé La rose des vents, qui a pour but de tester l'efficacité des moyens techniques disponibles. L'opération est un succès car plus de 45 000 lettres et une centaine d'enregistrements sonores sont reçus en provenance de plus de 110 pays. Mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous.*

Il faudra attendre le démantèlement de l’ORTF par Valéry Giscard d’Estaing pour que naisse, en 1975, Radio France Internationale (RFI), qui va rapidement rencontrer l’adhésion des auditeurs francophones. Aujourd’hui, diffusée mondialement en 18 langues, RFI propose toutes les heures, 24 heures sur 24, un tour d'horizon de l'actualité internationale. Elle dispose de correspondants sur tous les continents. Depuis 2008 elle a rejoint TV5 Monde et France 24 dans « France Médias Monde » qui regroupe les activités de l’audiovisuel extérieur de la France.

 

La radio et le podcast : un trésor documentaire

La radio diffuse ses émissions sur les ondes, mais elle s’enregistre aussi. Elle produit des archives, qui nourrissent à leur tour d’autres émissions. Documents et documentaires se répondent les uns aux autres. Sur France Culture, par exemple, A voix nue diffuse et archive aujourd’hui des entretiens de personnalités, tandis que Les Pieds sur terre ou LSD, la série documentaire, documentent et archivent la réalité sociale et politique de notre époque.

Le succès massif des téléchargements de toutes ces émissions confirme une fonction apparue avant la radio, avec les premiers cylindres du phonographe, auxquels nous devons de pouvoir écouter aujourd’hui les voix de Guillaume Apollinaire et de quelques autres.

Parmi les archives mythiques, la série absolument unique, en 1950, des entretiens de Robert Mallet avec Paul Léautaud. Ce dernier, misanthrope jaloux de sa liberté, réfractaire à la modernité, avait près de 80 ans. Inconnu du grand public, ayant vécu, comme un Diogène du XXe siècle, d’un petit emploi au Mercure de France, « égotiste » à la manière de Stendhal, il écrivit chaque jour son Journal littéraire. Le succès de ces entretiens fut tel qu’on le força presque à éditer enfin ce Journal, qu’il se vit riche du jour au lendemain et ne voulut rien faire de son argent.