Depuis la fin de la restauration de sa façade ouest, la basilique Saint-Denis, premier chef-d’œuvre monumental de l’art gothique, entame une nouvelle vie. Les explications de Jean-Pascal Lanuit, directeur régional adjoint des affaires culturelles d'Ile-de-France, et Dominique Cerclet, conservateur régional des monuments historiques en Ile-de-France.

Le 18 septembre, un grand chantier s’est achevé, qui rend tout son éclat à la façade occidentale de la basilique de Saint-Denis. À quels impératifs cette campagne répondait-elle ?

Dominique Cerclet : Cette opération de restauration devait rendre à la façade de la basilique toute sa beauté dans toute la complexité de lecture des différentes époques de réalisation. Elle va donc permettre une meilleure lisibilité de cet édifice majeur de l’histoire de France.

Jean-Pascal Lanuit : Depuis 2009, un travail de requalification de la place [de la Légion d’honneur, où se situe la basilique] avait également été réalisé. Cette restauration de la façade occidentale permettait également de donner un visage rénové à l'ensemble du quartier et d'accompagner les efforts des collectivités. Cela justifiait un effort budgétaire et technique important que l'on a pu mettre en place à partir de 2012 [le montant total des travaux a été de 3,5 millions d'euros].

Ensemble architectural, statuaire, éléments de décor... cette restauration exemplaire a permis de remettre en lumière des aspects méconnus ou occultés de la basilique.

DC : En s’appuyant sur des documents d’archives et des traces archéologiques avérées, l’intervention a permis la remise en évidence de la galerie des Rois ainsi que la restitution de la rose et son horloge, des inscriptions épigraphiques de l’abbé Suger rétablies par l’architecte François Debret, des dimensions de la grande baie de façade centrale, etc.

Ce chantier a-t-il permis d'apporter des connaissances nouvelles dans le domaine scientifique ou la recherche archéologique ?

DC : Une des originalités de ce chantier a été l’intervention de Michael Wyss, archéologue à l’unité d’archéologie de la ville de Saint-Denis, et de Jean-Pierre Gely, géologue. Leur intervention a permis de déterminer très précisément la nature des pierres de construction et de mettre ainsi en évidence les différentes périodes de construction. Le nettoyage des sculptures des portails va par ailleurs permettre une meilleure réévaluation de l’apport des interventions médiévales et de celles du XIXe siècle.

JPL : L'ensemble de l'intervention a été encadrée par un conseil scientifique. Il est bien entendu délicat de travailler sur bâtiment médiéval ; c'est toujours une occasion pour faire progresser la recherche. Ici, il s'agissait aussi de se confronter aux traces d'une restauration du XIXe, très probablement une des premières restaurations françaises, certes bien documentée dès sa réalisation, mais pour laquelle précisément l'étude matérielle apporte des éléments très nouveaux.

Mise en valeur de l'écrin architectural et sécurisation du patrimoine de la basilique – en particulier les fameux gisants – telles sont deux des missions principales de l’État à Saint-Denis. Comment comptez-vous enrayer la dégradation du sous-sol de la basilique ?

DC : La mise en valeur de la crypte archéologique en y réinstallant tous les sarcophages découverts au cours des nombreuses fouilles du siècle passé est une première réponse à cette question.

La basilique de Saint-Denis attire – numériquement – moins de visiteurs que le Sacré Cœur ou Notre-Dame de Paris, alors qu'elle occupe une place à part dans le cœur des Français. Comment expliquez-vous ce paradoxe et comment comptez-vous donner à ce monument la place qu'il mérite en France et dans le monde?

JPL : L'analyse de la fréquentation d'un monument réclame des études précises des publics. Le travail méthodologique est encore plus complexe pour analyser une fréquentation relativement faible. Nous partageons cependant le sentiment du Centre des monuments nationaux que la Basilique reste sous-fréquentée par rapport à son importance dans l'histoire politique et l'histoire des arts de la Nation. Il s'agit d'une contribution majeure pour comprendre l'histoire européenne ; sa reconnaissance par l'Unesco a d'ailleurs été envisagée. Mais il faut prendre en compte des éléments plus prosaïques : la facilité d'accès par les transports, l'inscription du site dans les parcours des opérateurs touristiques, la capacité hôtelière, etc. Il faudrait concevoir les projets dans un cadre interministériel et s'appuyer sur les dynamiques locales.

Saint-Denis, la plus ancienne commune de France, accueille aujourd'hui 130 nationalités différentes. Comment la basilique rénovée peut-elle servir de lieu d'unité et de fierté nationales, en particulier auprès des plus jeunes ?

DC : Le Centre des monuments nationaux continue d’assurer ce rôle essentiel de médiation au travers de visites auprès des scolaires, et d’expositions comme celle qui va bientôt débuter - à partir du 9 octobre, précisément - sur "les Grandes robes royales".

JPL : Notre mission est de permettre aux générations futures de pouvoir à leur tour disposer comme nous de ces merveilleux réservoirs à rêves et à réflexions que sont les monuments. La basilique Saint-Denis rénovée permet cette lecture. Sa restauration illustre le respect et la passion que les hommes d'aujourd'hui ont pour l’œuvre de leurs lointains prédécesseurs. Elle invite à un voyage dans le temps et dans l'art qui rapproche les cultures et les hommes. Elle est un élément de fierté et d'identité du territoire mais aussi de tous ses habitants, qui se construisent avec elle. Tous, et notamment les plus jeunes, sont invités à réinvestir ce patrimoine. En invitant l'Académie Fratellini à participer à l'inauguration par un spectacle réalisé par ses apprentis, nous avons aussi voulu souligner, sur ce territoire parfois mal jugé, la force de sa jeunesse culturelle et sa capacité à apporter à son tour sa contribution à la culture.

Quel est le message que ce monument si symbolique est appelé à porter au XXIe siècle ?

JPL : Peut-être celui que le génie des hommes peut traverser les âges, les techniques, les régimes politiques non pas dans une opposition à l'expression culturelle du présent, mais comme une contribution fructueuse. Au pied de cette Basilique est née une nouvelle façon de concevoir l'art, l'architecture et ce mouvement a rayonné bien au-delà des frontières de la France ou de l'Europe de l'époque. C'est pour le XXIe siècle une invitation à la fois à l'humilité et à l'ambition pour et dans la Culture.

Après cette restauration, le temps des grandes rénovations est-il terminé pour la basilique ?

JPL : Prolonger la vie d'un monument, le conserver, rend nécessaire sa rénovation. Il faudra continuer les restaurations, d'autant que le succès de la façade restaurée encourage à poursuivre la mise en valeur de la Basilique. Certaines parties nécessitent des efforts très importants et très visibles. Le temps des chantiers est donc loin de s'achever, mais celui de l'engouement populaire pourrait bien commencer.