Les musées sont d'étonnants laboratoires où s'élaborent en continu des médiations pour le jeune public. D'où, sans doute, le succès immédiat de « La classe, l’œuvre! », un dispositif éducatif lancé l'année dernière par le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de l’Éducation nationale dans le cadre de la Nuit des musées. Succès croissant, aussi, puisque le dispositif mobilise cette année 250 musées (le double de l'an dernier), 470 établissements (contre 70), 541 classes – rejointes cette année par une dizaine de classes CLIS et ULIS.
Des productions à travers toute la France. La démarche tient en deux mots : s'approprier, restituer. Dans un musée de leur territoire, les élèves de tous niveaux scolaires étudient et interprètent librement une œuvre. Ils l'exposent ensuite eux-mêmes, publiquement, la nuit du 17 mai, à côté de l'original. Les productions de ces jeunes « passeurs » sont très variées. Productions plastiques (musée des beaux-arts de Carcassonne), vidéos (musée Lalique à Wingen sur Moder), restitutions théâtralisées (musée Fabre à Montpellier), poèmes (château-musée de Dieppe), lettres (musée Massey à Tarbes), créations chorégraphiques (musée des beaux-arts de Brest), émissions de radio (musée d'art moderne de Céret), jeux de piste (musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon).
Des jeunes Nantais très engagés. Le projet porté cette année par le musée du château des ducs de Bretagne, a créé une véritable mobilisation dans la population scolaire autour de l'exposition « En guerres ». A travers tout le territoire de Nantes-Saint-Nazaire, vingt classes de primaire et quinze classes de lycées ont réalisé un travail impressionnant. Avec sensibilité, les élèves se sont approprié les faits vécus en région nantaise : les bombardements de Nantes en 1943, l'exécution de cinquante otages, la déportation d'une famille juive... « On n'a pas vu le sujet du seul point de vue historique, prévient Laurence Dhaene, chargée de la politique des publics au musée. On a ouvert largement vers l'éducation artistique et culturelle. D'où des expressions très différentes qui vont des créations plastiques aux écrits, en passant par le chant choral ». La création la plus étonnante est sans doute « Historic Animatik », une série de petits films d'animation inspirés par la vie des soldats français. Ils sont créés entièrement par trois classes du lycée saint Jean-Baptiste de la Salle. Pendant une semaine, par petits groupes placés sous la houlette de la réalisatrice Marie-Pierre Groud, ces élèves de première et terminale ont découvert les diverses techniques d'animation (collage, pâte à modeler, incrustation numérique, marionnettes, dessins...). Ils ont tout réalisé eux-mêmes : écriture du scénario, storyboard, tournage et montage. « L'objectif était de favoriser l'expression personnelle des élèves et de les initier à l'écriture audiovisuelle. D'eux-mêmes, très vite, ils ont souhaité aborder la guerre dans une dimension citoyenne, pour inviter à ne pas oublier ». Chez les plus jeunes, signalons le colloque pour enfants, toujours en rapport avec la Première guerre mondiale. « C'est un colloque à hauteur d'enfant. Il est né de la rencontre entre cinq classes de primaire qui ont appris à maîtriser aussi bien les méthodes de recherche et de rédaction, que la prise de parole ».
A Cagnes sur Mer, des lycéens à l'imagination débridée. Autre lieu, autre ambiance. Est-ce le climat qui a incité ces élèves de Première du lycée Renoir à Cagnes sur Mer, à s'approprier le Déjeuner sur l'herbe d'Alain Jacquet avec la complicité du musée d'art moderne et art contemporain de Nice (le MAMAC) ? Pas du tout. En faisant la visite de l'exposition Matisse avec leur professeur, ils ont découvert avec enthousiasme le principe du syncrétisme et de la « citation ». Le tableau de John Baldessari « Double Vision » (2011) l'explique à merveille en « mélangeant » le bocal à poisson de Matisse et la soupe Campbell d'Andy Warhol. Les lycéens ont donc choisi ce principe pour détourner le Déjeuner sur l'herbe d'Alain Jacquet (1964), qui lui-même détournait le chef d’œuvre de Manet en plaçant ses propres « acteurs » et un paquet de pain industriel Jacquet parmi les éléments du pique-nique. Chaque élève réalisant son propre « mélange », il en résulte trente-deux visions différentes du tableau de Jacquet, explique Laura Pippi-Detrey, chargée de médiation et d'expositions au MAMAC. « Un élève a mélangé Jacquet et le tableau de Gauguin, « Naféa Faaipoipo ». Un autre, l'a mélangé avec le tableau de Warhol, « Mao, camouflage » (1972). Un dernier l'a mélangé avec le tableau de Jean-Michel Basquiat, L'Ange déchu (1981). Il a su exploiter un geste tremblé pour donner force à sa réalisation, à l’instar de Claude Monet qui, vers la fin de sa vie, mit en valeur sa vision floue pour ses magnifiques peintures des nymphéas.
Le 17 mai, ils présenteront leur travail au public dans l'atelier du musée. Cinq d'entre eux joueront à être Zola, Manet, un couple de bourgeois et un plombier, dans une courte pièce pour et contre le Déjeuner, si controversé à l'époque.