Omniprésents dans notre vie quotidienne, les messages publicitaires contribuent à façonner notre rapport à la langue française. Leur inventivité a été interrogée lors du rendez-vous « Publicité & langue française », organisé mercredi 26 septembre 2018 au ministère de la Culture. Compte rendu.

L’exposition Hergé, qui s’est tenue du 28 septembre 2016 au 15 janvier 2017 au Grand Palais, l’avait déjà prouvé en dévoilant les affiches publicitaires conçues par le père de Tintin : au-delà de leurs visées promotionnelles, les publicités peuvent avoir une portée culturelle.

Ancrées dans leur époque, elles témoignent d’une mémoire collective et d’un rapport au monde en constante mutation. En organisant, mercredi 26 septembre 2018, un rendez-vous thématique dédié aux liens existant entre publicité et langue française, le ministère de la Culture a souhaité mettre en avant la manière dont les messages publicitaires font vivre le français aujourd’hui.

Promouvoir un environnement en français

« La loi du 4 août 1994, dite ‘loi Toubon’, n’est pas destinée à combattre une langue par une autre, mais bien à promouvoir un environnement en français », a précisé d'emblée Loïc Depecker. « Elle fournit, certes, un cadre légal en matière d’emploi de la langue française, puisqu'elle impose l’usage du français dans les messages publicitaires et, à cette fin, requiert que tout contenu en langue étrangère soit accompagné d’une traduction en français qui soit lisible, audible et intelligible », a-t-il rappelé. « Mais finalement cette contrainte ne serait-elle pas, à la manière d’une règle poétique, source d’inspiration pour les publicitaires ? ».

La contrainte légale ne serait-elle pas, à la manière d’une règle poétique, une source d’inspiration pour les publicitaires ?

C’est bien ce que semblent suggérer les conclusions de la nouvelle grille d'analyse de la place du français dans la publicité, issues de la collaboration du ministère de la Culture et de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Car s’il existe parmi les publicitaires de mauvais élèves qui omettent de traduire des termes étrangers, proposent une traduction peu lisible (caractères trop petits, mal contrastés, placés à la verticale, noyés dans un bloc de mention…) ou font un usage incorrect du français, d’autres, en revanche, respectent les usages tout en faisant preuve d’une inventivité surprenante.

Une politesse de forme, une poésie du langage et une inventivité bienvenues

La marque « Innocent », par exemple, tend à prendre quelques libertés avec son devoir de traduction afin de mieux poursuivre sa conversation avec son public grâce à ses astérisques iconiques. « La langue française est notre premier outil, notre premier levier pour mettre en place une relation chaleureuse avec le client », a analysé une représentante de la marque. « C’est un moyen pour nous de créer la surprise, d’aller un peu plus loin dans l’échange », a-t-elle conclu.

En dressant un inventaire non exhaustif des nombreuses figures de styles employées, l’étude  témoigne de l’importance du travail que les publicitaires effectuent avec la langue française. « Le français est une langue qui se prête tout particulièrement au jeu. Nous nous amusons beaucoup avec la multiplicité de niveaux de lecture que la langue nous offre, le champ des possibles est presque infini », a commenté Philippe Coen, directeur juridique de Disney. « La richesse de la langue est propice à la créativité, tout particulièrement dans le contact avec les enfants », a ajouté, Claire Matignon, de la même société. Ce potentiel, largement exploité par Disney, donne notamment lieu à des affiches promotionnelles cocasses, telles que le fameux « puisqu’on Woody qu’il revient » annonçant la sortie de Toy Story 3, le « prêt pour un nouveau Guépard ? » accolé au film Zootopia ou encore le « un cheval, des cheveux » associé à Raiponce.

« Communiquer en jouant avec les mots est un formidable moyen, pour une marque, de se lier émotionnellement à son public », a observé Jean Patrick-Chiquiar. Outre l’ambitieuse campagne « que personne ne comprend » pour Kiloutou, le cofondateur de l’agence de publicité ROSAPARK est à l’origine, avec ses équipes, de l’identité visuelle du supermarché Monoprix.  Celle-ci repose sur un concept à la fois simple et révolutionnaire : des mots, des bandes-colorés, et une interaction constante avec le public. « A partir d’une esthétique visuelle Pop Art nous cherchons à entretenir une relation quotidienne avec les clients. Cela paraît simple, mais derrière, il y a un énorme travail », a-t-il précisé.

Chaque produit est customisé avec « de jolis mots, de jolies histoires » pour le plus grand plaisir du consommateur. « Nous faisons en sorte de créer des moments où la marque rentre en contact avec son public de façon souriante et élégante », a expliqué Jean-Patrick Chiquiar. « Pour cela, nous nous appuyons notamment sur l’agilité de la langue française, qui nous permet de réagir en permanence à l’actualité et de nous adapter à ce qui se passe dans la vie des gens ». Le cinquantenaire de Mai 68 a ainsi été l’occasion de sortir des paquets de céréales sous le slogan « Rêver céréaliste » tandis que la coupe du monde de football a inspiré des boîtes de petits pois estampillées « Impossible n’est pois français ». Les références culturelles populaires ne sont pas en reste puisque Monoprix a malicieusement repris à son compte le succès de la série « Game of Thrones », en apposant un discret « Un lannister paye toujours ses dattes » sur les baies concernées.

Pour Nicolas Bordas, vice-président de TBWA \ Worldwide et enseignant à Sciences Po, la campagne de Monoprix est un indéniable succès. « Cette opération permet d’instaurer, au travers d’une phrase, une connivence avec les clients. Dans ce cadre, le langage est source de plaisir et la créativité linguistique sert l’entreprise de communication », a-t-il conclu. Une politesse de forme, une poésie du langage et une inventivité bienvenues, qui contribuent à faire vivre un français vivant et moderne.