Après la mythique exposition Picasso à Dakar de 1972, le musée des Civilisations Noires de Dakar revisite, avec le concours d'institutions françaises et sénégalaises, les rapports passionnants entre le maître catalan et l'art africain.

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Nul n’incarne mieux que Pablo Picasso la vitalité d’un imaginaire commun entre l’Afrique et la France. On le sait, les liens de cet artiste génial avec l’art africain étaient profonds et anciens. Il vivait et travaillait entouré d’objets d’art extra-occidental, notamment africains : masques, statuettes, instruments de musique… Il les jugeait « plus que beaux », les regardant comme des objets animés d’une puissance exceptionnelle, par laquelle ils entraient en dialogue avec ses propres facultés créatrices.

Dès 1907, au musée d’ethnographie du Trocadéro, il fut confronté à la fonction magique de l’art. Plus qu’aucun des artistes d’avant-garde de son époque, il sut s’en emparer, notamment à travers un magistral – et inaugural – coup de maître qui fit de lui le chef de file du cubisme : Les Demoiselles d’Avignon. C’est sans doute pourquoi le chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor, choisit de lui consacrer une grande exposition, en 1972, au musée Dynamique, dont le retentissement et la portée symbolique furent immenses. Senghor, alors président de la République du Sénégal, prononça un discours d’inauguration devenu légendaire : « Picasso en Nigritie ».

Une histoire de l’art partagée

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Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, le musée des Civilisations noires de Dakar revisite cette histoire féconde jusqu’au 30 juin, à l’aune d’œuvres, archives et documents qui apportent un éclairage inédit. Parti du musée national Picasso-Paris, qui suscite des relectures sans cesse renouvelées autour de la réception des œuvres du maître, rejoint par le musée du Quai Branly - Jacques Chirac, lui-même séduit par cette nouvelle collaboration culturelle qui favorise la circulation des œuvres en Afrique, le projet a été accueilli et puissamment réinvesti par le musée des Civilisations noires, qui l’accueille dans ses espaces d’exposition, et le musée Théodore Monod d’art africain.

Forts de leurs héritages propres, ces deux musées écrivent avec les deux institutions françaises, une histoire de l’art partagée, autour d’œuvres, de connaissances et d’idées mises en commun, qui font de cette collaboration un événement exemplaire du nouveau partenariat culturel entre la France et l’Afrique.

La fonction rituelle de l'art

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L’exposition, à la fois commémorative et prospective, met en correspondance une quarantaine d’œuvres issues des collections de Paris et de Dakar. Elle les fait dialoguer sous l’angle des formes, des techniques, de l’imaginaire (souvent anthropo-zoomorphe) ou du culturel (la magie, l’exorcisme…). On s’intéresse d’abord aux ateliers de Picasso, à son univers quotidien peuplé d’objets animés, très loin d’un regard ethnologique.

L’exposition se penche également sur l’univers formel de Picasso. Et la proximité, sensible dès les premières toiles cubistes, plus nettement encore dans son œuvre de sculpteur, avec les objets d’Afrique, pour produire un jeu d’assemblages de matériaux hétéroclites, métamorphose créatrice que Senghor nommait en 1972 la « structuration totalisante ». Dans une dernière section, l’exposition aborde la fonction magique de l’art : quand la peinture « donne forme à nos terreurs et à nos désirs », en s’appuyant sur les mythes, notamment ceux de la Grèce antique – que l’on songe seulement à la magistrale réinterprétation du mythe du Minotaure par le génial Catalan – autant que sur les objets africains dont Picasso saisit intuitivement la fonction rituelle.

 

Picasso à Dakar, l'événement

« Picasso à Dakar 1972-2022 », jusqu'au au 30 juin 2022 au musée des Civilisations noires, à Dakar (Sénégal). commissaires de l'exposition : Guillaume de Sardes (musée Picasso), Hélène Joubert (Musée du Quai Branly – Jacques Chirac), El Hadji Malick Ndiaye (musée Théodore Monod, Dakar), Ousseynou Wade (musée des Civilisations Noires, Dakar).

Au même moment, dans la Galerie du manège, à l’Institut français de Dakar, se tient aussi jusqu’au 30 juin un Picasso remix, qui explore cette fois le dialogue d’artistes africains contemporains avec Picasso.

Enfin, cette saison placée sous le signe de l'art moderne s'avère particulièrement riche avec un événement très attendu, la 14e édition de la Biennale d’art contemporain de Dakar, Dak’Art 2022, qui se tient jusqu'au 21 juin.