Plus ludique et dynamique que jamais, la 30e édition du Salon du livre et de la presse Jeunesse de Montreuil - le premier du genre en Europe - a été inaugurée le 26 novembre par Fleur Pellerin. Sylvie Vassallo, sa directrice, dessine pour nous les contours de cette littérature protéiforme. 

Tablettes numériques, phénomène Harry Potter... Comment la littérature de jeunesse a-t-elle intégré les bouleversements de ces trente dernières années ?

Elle a beaucoup changé... tout en restant la même. On a vu exploser des genres littéraires comme la littérature adolescente. Dans le secteur de la petite enfance, les albums sont devenus des objets à la fois ludiques et créatifs. La littérature jeunesse a intégré une relation forte au cinéma, aux séries TV, au cinéma d'animation. Elle touche au livre d'art et au documentaire. En même temps, elle reste ancrée sur ce qui fait son fondement : raconter des histoires universelles à travers les genres phares que sont les contes de fées ou le fantastique. 

A quoi ressemblent les contes d'aujourd'hui ?

Les contes sont un patrimoine travaillé en permanence par les artistes. C'est vrai de toutes les thématiques de la littérature jeunesse. En recourant aux codes d'aujourd'hui, les artistes permettent aux contes une meilleure imprégnation de la société. Les auteurs qui ont grandi avec cette littérature, jouent avec elle. Ils s'amusent à détourner les contes, à les mélanger à la manière de Shrek. Le loup, personnage jadis inquiétant, est maltraité par les enfants, placé en situation grotesque.  

La littérature jeunesse, genre littéraire à part entière, sera-t-elle bientôt reconnue comme le « 10e art » ?

L'édition jeunesse occupe la deuxième place sur le marché de l'édition, juste après la littérature générale. C'est un secteur prolixe qui se porte plutôt bien d'un point de vue économique. Dans le domaine des arts, c'est un art singulier qui ouvre la porte aux autres arts. Le livre est souvent le premier objet culturel qui est mis dans les mains de l'enfant. L'histoire de l'art répertorie neuf disciplines, depuis la sculpture jusqu'à la BD. Revendiquer le rang de « 10e art » pour la littérature jeunesse, comme le fait le Salon, c'est rappeler la singularité d'un art bien souvent associé à d'autres arts pour s'exprimer.  Dans cette langue hybride, complice et complexe, l'illustration ne vient pas répéter le texte, mais offrir une autre interprétation. Et de cette double interprétation naît un espace imaginaire qui est celui de l'enfant.

La littérature jeunesse souffrirait d'un manque de reconnaissance ?

Notre ambition est que cet art soit pris au sérieux, et considéré à l'échelle de son exigence artistique. C'est le cas du côté du public, mais pas forcément du côté du monde des arts et du monde des médias : il existe peu de critiques littéraires spécialisés dans la littérature jeunesse. A la télévision, pas une seule émission ne lui est dédiée pendant l'année. C'est le seul domaine artistique qui soit aussi mal loti. L'une des missions du salon est de faire parler de cette littérature. 

Les jeunes lisent plus que les adultes ?

La légende veut que les jeunes ne lisent pas : rien de plus faux ! Même si on peut noter un fléchissement de la lecture au moment du collège, nos enquêtes montrent que les jeunes sont de très grands lecteurs : 66% lisent au moins deux livres dans la semaine ; 93% choisissent leur livre eux-mêmes. Bien que la place de l'écran numérique soit plus forte qu'hier, il n'y a pas forcément remplacement d'un média par un autre.

Quel est l'impact du numérique sur ce secteur ?

Dès la fin des années 1990, le Salon a su se saisir des dernières innovations numériques pour susciter l'envie de lire. Nous restons curieux des passerelles qui peuvent se bâtir entre le papier et les écrans. Ainsi avons-nous créé de multiples objets multimédias comme la Tablette XXL, le portail Popapp, le Juke Boxe Ado. Notre Biblio-connexion permet de rééditer des titres sous forme numérique pour les hôpitaux, les enfants dits « faiblement lecteurs » ou handicapés. Pour stimuler la création chez les auteurs et les éditeurs, nous avons créé des bourses numériques et ouvert, il y a trois ans, en marge du salon, un Marché international et interprofessionnel de la création pour enfants qui accompagne tous les acteurs du livre sur le chemin de l'internationalisation et de la numérisation. 

Le Salon est une vraie locomotive pour l'ensemble de la chaîne...

Le dernier-né de nos projets, « Transbook » (2014-2018), mené avec sept pays européens dont la Slovaquie, vise à dynamiser les carrières des créateurs, renforcer leur mobilité, les former aux nouveaux modes de création. Avec une attention particulière portée aux maillons les plus fragiles de la chaîne : petits éditeurs, jeunes créateurs et libraires indépendants. La même volonté anime l'association dont le Salon s'est doté en 2011, l'Ecole du livre de jeunesse. Dédiée à tous les professionnels qui interviennent auprès des enfants, elle a formé mille personnes en 2013, et prévoit une centaine de formations en 2014-2015. Cette année, avec la réforme des rythmes scolaires, une attention plus forte sera portée aux animateurs d'accueil de loisirs. De même, le programme « Des livres à soi » qui accompagne les parents dans les quartiers défavorisés, rayonnera sur toute l'Ile-de-France. Nous travaillons aussi sur la prévention de l'illettrisme en préparant, en amont, la visite de 30 000 élèves pendant le salon. 

Le 18 novembre, les prix littéraires Jeunesse du Salon ont été rendus publics. Présentez-nous la « cuvée » 2014.

Ces prix ou "Pépites" couronnent les oeuvres d'auteurs, illustrateurs et créateurs dans six catégories : roman européen pour adolescents, album, BD/manga, documentaire, livre d'art, création numérique. Cette année, les parrains en sont Marie Desplechin, journaliste et écrivain, et Gilles Bachelet, auteur et illustrateur. Pour les plus jeunes, je citerai "Hilda et le Chien noir" de Luke Pearson, traduit de l'anglais (pépite BD). Pour les plus grands, "Le Livre de Perle" de Timothée de Fombelle (pépite du Roman) ; "Botanicula", concept, design et animation de Jaromír Plachy (pépite Création numérique) ; "Tous les Ponts sont dans la nature" de Didier Cornille (pépite Livre d'art). N'oubliez pas que les jurys de nos prix littéraires sont composés d'enfants de huit à douze ans !

Fleur Pellerin : « En 2015, une grande fête pour la littérature jeunesse »

Une grande fête nationale de la littérature jeunesse, destinée à promouvoir la lecture auprès des jeunes, sera lancée du 15 au 31 juillet, a annoncé Fleur Pellerin, mercredi 26 novembre, en visitant le 30e Salon du livre et de la presse jeunesse. « Elle vise à transmettre le plaisir de lire et déculpabiliser le rapport au livre », a précisé la ministre. Organisée par le Centre national du livre, cette initiative repose sur trois idées fortes : la date retenue est celle du temps libre et des loisirs en famille ; le livre et la lecture vont à la rencontre du public, et non l’inverse ; la lecture à haute voix des textes et un cadre pluri-artistique irriguent la manifestation. « Cette fête permettra d'amener des livres sur les lieux de vacances », mais les enfants qui ne partent pas en vacances et « pour lesquels la présence de livres est d'autant plus importante, ne seront pas oubliés », a promis Fleur Pellerin.