Depuis quelques années, le mécénat des particuliers sur Internet ou les réseaux sociaux – appelé aussi crowfunding – a le vent en poupe. Après avoir permis l'acquisition de chefs-d'oeuvre comme les Trois Grâces de Cranach ( par le musée du Louvre) ou du Chêne de Flagey de Courbet (par celui d'Ornans), il poursuit son chemin avec trois initiatives récentes : le financement de la restauration de la Victoire de Samothrace (Louvre) et du Cyclop de Tinguely (Cnap), mais aussi d'un projet patrimonial porté par le musée Guimet.
« Le Japon se mobilise pour la restauration de la Victoire de Samothrace
Christophe Monin, directeur du développement et du mécénat au musée du Louvre
« Il s'agit de réunir un million d'euros de dons avant la fin de l'année pour rendre son éclat à cette icône de la sculpture classique grecque découverte à Samothrace en 1863. Soit le quart de la somme totale nécessaire à la restauration de la statue et de son socle. De plus, nous allons profiter de son déplacement dans une salle voisine, pour redonner tout son lustre à l'une des mises en scène les plus réussies du Louvre en restaurant l'escalier qui sert d'écrin au monument. Le Louvre a l'expérience de ces campagnes au don, il est même pionnier en France. En 2010, les Trois Grâces de Cranach, un tableau peu connu du grand public classé Trésor national, avait mobilisé 7000 donateurs. Pour la Victoire de Samothrace, après les dix premiers jours de campagne, 17% de la somme étaient déjà collectés. Un résultat qui s'explique par l'ambition du projet, mais aussi par la campagne elle-même, qui est menée pour la première fois auprès du public japonais, grand admirateur de la Victoire. D'ailleurs, le mécène principal est une télévision japonaise, la Nippon Television Holdings, qui relaie une version japonaise du site d'appel au dons. Parmi les autres nouveautés testées par le Louvre, un dispositif invitant les internautes à être les ambassadeurs de la campagne auprès de leurs proches et amis. Ils peuvent créer leur propre page de collecte en ligne et sur Facebook. Toujours en ligne, ils suivront les avancées de la restauration de « leur » statue, dérobée aux regards des visiteurs jusqu'à l'été 2014 ».
Quelles sont les motivations des donateurs ? « Nos campagnes Tous mécènes s'inscrivent dans une stratégie globale du Louvre visant à approfondir les liens avec notre public. Le public, nombreux à s'abonner et à suivre les activités complémentaires que nous lui proposons, est attaché à cette maison qui porte d'ambitieux projets comme la restauration de la Victoire de Samothrace. En aidant à les financer, il joue un rôle actif à l'intérieur de son musée, s'approprie les oeuvres qui lui tiennent à coeur. En chaque donateur, il y a l'envie de se faire plaisir, de faire un don qui ajoute quelque chose au patrimoine national et donc à soi-même. Les commentaires le disent bien : Je suis jeune, je n'ai pas beaucoup de revenus mais je veux participer... Je fais un don au nom de mon petit-fils qui vient de naître. Son nom doit figurer sur la bannière ».
« Le musée Guimet invite les internautes à participer à un projet d'exposition »
Anaïs Del Bono, chargée du mécénat au musée national des arts asiatiques Guimet
« Depuis le 6 juin dernier, le musée Guimet, en partenariat avec la plateforme numérique de financement participatif MyMajorCompany, a lancé une grande collecte de e-dons. C’est une première pour nous. Un des moteurs de ce projet a été de proposer aux internautes et aux publics du musée la possibilité de devenir mécènes et ainsi consomm’acteurs de ce projet patrimonial. Nous avons choisi de présenter la grande exposition de rentrée, « Angkor : Naissance d’un mythe, Louis Delaporte et le Cambodge » (16 octobre 2013 -14 janvier2014). Cette exposition spectaculaire nécessitait en amont une vaste campagne de restauration des moulages que Louis Delaporte réalisa sur place à la fin du XIXe siècle et qui n’ont pas été présentés au public depuis 1927. Avec les commissaires de l’exposition, il nous a semblé alors riche de sens de proposer la restauration et la présentation d’un de ces moulages : la « Porte Ouest des entrées occidentales » d’un des temples majeurs d’Angkor, chef d’œuvre de la civilisation khmère. Afin de rendre ce don plus concret, des paliers de financement ont été définis : décontamination (5 000 euros), restauration (5 000 euros), transport (10 000 euros), soclage et installation dans les salles de l’exposition (10 000 euros). La campagne de dons a été un véritable succès puisqu’en trois jours, nous avions atteint le seuil des 5 000 euros. Aujourd’hui, 242 mécènes ont contribué à hauteur de plus de 22 000 euros ».
Pourquoi avoir choisi Angkor pour expérimenter cette première campagne de dons ? « Le thème de l’exposition, Angkor, autrefois gigantesque métropole, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a fait rêver les voyageurs et les amoureux de l’Asie, comme Louis Delaporte en son temps et nombre de nos visiteurs. Proposer la restauration de ce moulage permet de contribuer à la sauvegarde du patrimoine, et par là-même de jeter un pont culturel entre les civilisations d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. De plus, nous aimions l’idée que les donateurs puissent, cinq mois après la collecte, découvrir l’œuvre pour laquelle ils avaient participé dans le cadre d’une exposition temporaire qui raconte l’histoire de cet homme hors du commun et de ses moulages. »
« Avec la restauration du Cyclop, les internautes se portent au secours de l'art contemporain »
Richard Lagrange, directeur du Centre national des arts plastiques (Cnap)
« C'est notre toute première expérience de campagne au don, et pourtant nous sommes déjà au-dessus de l'objectif assigné : trouver 10 000 euros pour le 30 octobre sur la plateforme de My Major Company pour un projet cher au Cnap : la Face aux miroirs du Cyclop. Il était devenu urgent de restaurer cette sculpture de plein air de Jean Tinguély et Niki de Saint Phalle, au coeur de la forêt de Milly, près de Fontainebleau, en remplaçant les 400 m2 de miroirs qui la composent par des miroirs plus résistants. Dans le budget total de cette restauration : 700 000 euros dont 350 000 euros en mécénat et mécénat de compétence, l'apport des internautes peut sembler modeste. Pourtant, il est riche d'espérance. Cette campagne fait en effet émerger une catégorie nouvelle de donateurs qui, grâce aux réseaux sociaux, s'intéressent assez à une oeuvre d'art contemporain pour désirer la financer. Spontanément, ils ont envie de laisser une toute petite trace pour l'avenir. Grâce à l'accès direct que ces réseaux permettent à l'art, à la multitude des informations en simultané, l'art contemporain dispose d'une visibilité inespérée. Le rapport à l'oeuvre d'art et à l'exposition s'en trouve dédramatisé. On les partage avec ses amis. Nous rééditerons sûrement l'appel à un micro mécénat de ce type, car dans la collection des oeuvres de l'Etat que le Cnap gère, beaucoup d'oeuvres monumentales sont à réactiver dans l'espace public ».
Le choix du Cyclop est-il pour quelque chose dans le succès de votre campagne ? « Comme elle, le Cyclop est une aventure collaborative et collective. Pendant 25 ans, de 1969 à 1994, Tinguely et sa femme Niki de Saint Phalle ont travaillé à cette sculpture de 22 mètres et 300 tonnes, en invitant leurs amis artistes proches du Nouveau Réalisme à collaborer : César, Arman, Philippe Bouveret... Le résultat est une oeuvre hors norme, touchante, un bel exemple de mécénat sur un projet ancré dans notre territoire. Après avoir lu un article sur ce sujet dans La Tribune de Genève , un avocat genevoix nous a envoyé un chèque cette semaine... sans attendre la moindre contrepartie fiscale ! »