Pierre Paul Prud'hon, Portrait de Marie Françoise Constance Mayer-Lamartinière, vers 1804, Paris, musée du Louvre

Constance Mayer (Chauny, Aisne, 1774 – Paris, 1821)

Exposé au Salon de 1819 sous le nom de son auteur, «Mademoiselle Mayer», Le Rêve du bonheur, acquis sous Louis XVIII, figura dès 1820 au tout récent musée du Luxembourg – le musée d’Art moderne de l’époque – avant d’entrer au Louvre. Les critiques du temps - tous hommes et souvent misogynes -, persuadés qu’une femme ne devait peindre que des tableaux de fleurs ou de genre, ne manquèrent pas de souligner, pour le déplorer, combien son art dépendait de celui de son maître, Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823).
Née le 9 mars 1774 à Chauny près de Noyon dans un milieu aisé et cultivé, Constance Mayer se consacra à la peinture, encouragée par son père. Entrée dans l’atelier de Joseph-Benoît Suvée (1743-1807), rival de celui de David, elle devint élève de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) et participa avec d’autres jeunes femmes à une intense production de figures dans le style du maître.
Bourguignon comme Greuze et comme lui mal marié, Prud’hon, père de cinq enfants, se sépara de son épouse en 1803. Constance devint alors pour lui une « élève, amie, maîtresse de maison, chargée des enfants et amante » : le couple, non marié, peignait côte à côte et recevait chez Constance. Elle mit aussi sa fortune personnelle au service de leur vie commune, de la réputation de Prud’hon et de l’éducation de ses enfants, hostiles à cette mère de substitution, qui n’eut elle-même pas de descendance.

Constance Mayer, Le Rêve du bonheur, 1819, Paris, musée du Louvre

Leur collaboration a souvent été mal comprise et les critiques contemporains considérèrent que Constance Mayer n’était qu’une imitatrice de Prud’hon. Or ses premières œuvres personnelles révèlent un vrai talent et témoignent de ses ambitions de peintre d’histoire. Alors qu’elle admire et aime Prud’hon, elle lui apporte une aide précieuse en exécutant dans le style du maître, déjà surnommé « le Corrège français », des compositions ambitieuses (dont les dessins et esquisses préparatoires sont de la main du maître) qu’il n’eût sans doute jamais menées à terme seul, étant réputé pour sa lenteur à peindre.
Le Rêve du bonheur est une oeuvre emblématique des espérances déçues de Constance : montrant un jeune couple étendu sur une barque conduite par l’Amour et la Fortune sur le fleuve de la vie, la composition n’est-elle pas une allégorie du couple vieillissant si intimement uni dans la vie et dans l’art ?
En 1821, aux soucis familiaux et économiques vint s’ajouter la perspective angoissante de déménager l’atelier de la Sorbonne que Constance occupait : célibataire, vivant avec un homme marié, son statut devenait critique. Le 26 mai, Madame Prud’hon est malade et Constance demande soudainement à l’artiste s’il se remarierait en cas de veuvage : la réponse négative du peintre causa sa perte : elle se trancha la gorge avec le rasoir de Prud’hon.

Sylvain Laveissière

Sélection des oeuvres de Constance Mayer disponibles sur l'agence photo de la Réunion des Musées Nationaux

Bibliographie
Laveissière Sylvain, Prud’hon ou le rêve du bonheur, catalogue d’exposition, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, septembre 1997 – janvier 1998, New York, The Metropolitan Museum of Art, mars-juin 1998, Paris, Réunion des musées nationaux, 1997