Les 16 et 17 avril 2015, La Fémis a organisé un colloque international consacré au développement des politiques de recherche dans les écoles de cinéma.

Financé par le programme MEDIA de l’Union européenne, ce colloque a réuni une cinquantaine de participants représentant 28 écoles de cinéma européennes, ainsi que plusieurs écoles d’autres continents grâce à l’aide de l’association internationale CILECT (Centre international de liaison des écoles de cinéma et de télévision). Traçant un panorama de la recherche dans ces établissements, il a abordé les changements récents ayant affecté la conception et les orientations de cette activité, les formats, les nouveaux diplômes tels que les doctorats en art, les partenariats et la valorisation des programmes, ainsi que son rôle par rapport aux objectifs éducatifs et professionnalisants des écoles.

Ce nouvel état des lieux nous semblait précieux, car les écoles de cinéma ont jusqu’à présent peu participé aux discussions sur la recherche en école d’art. Le cinéma n’a de fait pas la même histoire que d’autres pratiques artistiques, que l’on parle de sa reconnaissance comme art à partir des années 1920, de son statut d’industrie culturelle et de son poids économique, de son enseignement relativement récent dans des écoles et à l’université, ou de son rapport à sa propre pensée. Eu égard au débat sur la recherche « par la pratique », le cinéma a pourtant l’avantage d’avoir d’abord été pensé par ceux qui le pratiquaient – des écrits de Jean Epstein ou Germaine Dulac à l’exercice de la critique pour la Nouvelle Vague, pour s’en tenir à des exemples français. Il bénéficie aussi d’une riche histoire du film d'essai, du cinéma d’avant-garde et de ce qu’on a pu appeler, au prix d’un glissement sémantique, le « cinéma de recherche ». Depuis lors, cependant, l’écriture argumentée sur le cinéma s’est peu ou prou réfugiée à l’université, si l’on excepte une critique en pleine refondation. Quels formats inventer aujourd’hui pour encourager une pratique pensante et une pensée en pratique du cinéma ? L’émergence de la question de la recherche dans les écoles est peut-être à ce titre une opportunité.

Plutôt que de partir d’un questionnement théorique, le colloque de La Fémis a mis l’accent sur la manière dont les activités de recherche sont menées aujourd’hui dans les écoles, pour nourrir en retour le débat sur les définitions et les méthodes. Pour ce faire, La Fémis a adressé en amont de la rencontre un questionnaire aux participants portant sur les politiques menées dans les établissements représentés. Si ce corpus esttrop restreint pour être considéré comme représentatif(28 écoles ont répondu, dont 25 européennes), il esquisse néanmoins des orientations éclairantes. Il donne à voir un paysage contrasté, avec des zones où la recherche dans les écoles paraît bien ancrée (depuis dix à vingt ans dans les pays scandinaves, mais aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Belgique), et d’autres où elle est encore bourgeonnante.

D’un point de vue thématique, les projets de recherche des participants recouvre des enjeux esthétiques (plusieurs projets sur le récit délinéarisé), sociaux (avec des approches marquées par les cultural studies), technologiques, ayant trait à la réception des films ou encore au patrimoine cinématographique. Ce panorama laisse voir une ouverture du champ couvert, du film de fiction vers le documentaire, les nouveaux médias et l’expérimentation technique. Pour « faire de la recherche », les écoles doivent-elles regarder du côté de l’art ou des nouveaux médias, ou revendiquer l’héritage des cinéastes critiques ou du film essai ? Ce point mérite d’être soulevé à l’heure où se pose de manière toujours plus pressante la question de la « spécificité du cinéma ».

Dans les écoles, le terme de recherche peut recouper des formats académiques usuels (publications, séminaires, colloques, etc.), des projets de recherche appliquée et des formats de « recherche-création ». La notion de « recherche artistique » est notamment revendiquée largement, en désignant des pratiques diverses. Souvent, les écoles développent des projets associant différents formats (lectures critiques, ateliers de réalisation, travail d’enquête, tests techniques, etc.), qui imposent de repenser l’opposition entre théorie et pratique.

D’un point de vue institutionnel, les activités de recherche se sont intensifiées et elles sont mieux structurées. Toutes les écoles ayant répondu à notre enquête, sauf une, faisaient partie, ou étaient associées administrativement, à une autre institution, qu’il s’agisse d’une université, d’un institut de technologie ou d’un consortium d’écoles d’art. Les écoles de cinéma sont dorénavant rarement isolées dans le paysage de l’enseignement supérieur. Cet ancrage, qui se vérifie à l’échelle européenne, ouvre des possibilités nouvelles de partenariats.

Les doctorats de création mettant au centre la réalisation d’une œuvre cinématographique, parfois (mais pas toujours) augmentée d’un mémoire écrit, se sont développés et existent désormais dans un grand nombre d’écoles de cinéma européennes. Ils sont par contraste très peu présents aux États-Unis, tandis qu’en France, le doctorat SACRe au sein de la ComUE Paris Sciences et Lettres (PSL), porté par les cinq écoles d’art parisiennes (dont La Fémis) et l’École normale supérieure, fait figure d’initiative pionnière. Au-delà de ces diplômes, la recherche fait de plus en plus partie du cursus général des établissements. En témoigne la création de « laboratoires » ou de « centres d’innovation », des structures nouvelles qui fédèrent les initiatives et offrent un relais interne et externe aux écoles.

Pour confirmer ces avancées, les écoles de cinéma doivent néanmoins continuer à affirmer leur spécificité : la valorisation du sensible, la pensée par les formes, le caractère collectif du travail, l’enseignement par le faire et par des professionnels en activité. Ces particularités nécessitent des modèles différents pour monter des projets impliquant étudiants, enseignants et autres partenaires, universitaires ou privés. Les écoles s’appuient en cela sur leurs atouts : leur créativité, leur proximité avec le milieu professionnel, leur connaissance des évolutions du cinéma contemporain qu’elles observent aux premières loges et auxquelles elles contribuent.

Barbara Turquier, responsable de la recherche à La Fémis