Que représente la signature de cette Charte pour vous ?Cet acte officiel marque une belle étape pour notre association, qui devient ainsi un acteur de référence sur la place des femmes dans le cinéma. Par la suite, la Charte sera soumise aux acteurs de l'industrie en les associant à une réflexion commune sur la question. Nous attendons aussi beaucoup des résultats de l'étude statistique commandée au CNC par le ministère du Droit des femmes. Elle devrait être finalisée en novembre.
Vous travaillez toutes trois dans l'industrie du cinéma. Quelle est la situation des femmes et comment vous est venue l'idée de réagir ?On a commencé à s'interroger sur la sous-représentation des femmes dans la création et dans les postes décisionnaires du secteur. En 2012, seuls 25% de femmes ont sorti un film avec l'agrément du CNC. Parmi ces films, beaucoup sont des films d'auteur à petit budget. Cette même année, il y a eu la polémique cannoise autour des films en compétition : aucune femme n'avait été sélectionnée ! Il n'y en a pas eu beaucoup plus dans les autres festivals internationaux. Il faut regarder les choses en face. Alors que dans les écoles publiques de cinéma, on est sur une quasi parité hommes/femmes, après, il y a vraisemblablement une déperdition. Nous avons commencé à constituer un réseau de professionnels du secteur s’intéressant à la question. Actuellement, il compte 70 membres. La SACD nous a accueillis favorablement et la Fémis nous a donné des éléments chiffrés démontrant d’une parité dans ses formations, même si cette parité varie selon les départements.
Votre association démarre... Qui vous aide à grandir ?Véronique Cayla a accepté d’être notre marraine. Son parcours est exceptionnel dans le secteur du cinéma et rare, surtout pour une femme. Elle a toujours défendu une réelle diversité dans la création, au niveau du cinéma français comme international. C'était un choix évident. Nous sommes aussi en contact avec EWA, organisation européenne et avec WIF, organisation américaine. Et bien sûr avec d’autres associations comme H/F, qui agit au niveau du secteur culturel dans son ensemble.
Comment comptez-vous sensibiliser les cinéastes et les milieux du cinéma ?Tout d’abord en leur présentant des données chiffrées, d’où l’intérêt de la Charte. Et en dialoguant avec eux afin d’obtenir leur analyse sur cette situation. Accepter cette sous-représentation reviendrait à dire que les femmes sont moins compétentes ou talentueuses. C’est inimaginable. Parmi les mesures que nous envisageons, il y a un Prix « Deuxième Regard », que nous souhaiterions mettre en place avec certains festivals. Il récompenserait les films qui subvertissent les représentations traditionnelles de la femme et de l'homme. Car les stéréotypes doivent disparaître des deux côtés et c’est notamment cela qui fera évoluer la situation. De même, selon les subventions et aides privées que nous parviendrons à obtenir, nous souhaiterions développer une bourse. Bien sûr, on est encore loin du consensus. Il y a des retours variés, y compris chez les femmes. Il est essentiel de se demander, d'ailleurs, si les femmes n'intègrent pas d'elles-mêmes certaines barrières ou stéréotypes.
Comment l'expliquez-vous ?Les sources sont complexes. Chacun et chacune a sa propre histoire concernant les rapports de classes, de sexes. Heureusement, nous ne sommes pas tous d’accord et n’avons pas le même vécu ! Mais il me semble essentiel de s’intéresser au plus grand nombre et donc à la sous-représentation généralisée des femmes. Beaucoup de femmes considèrent que le féminisme est un mot daté, qui n’a plus lieu d’être. Or, les chiffres disent le contraire. Egalité salariale, répartition des tâches… Etre féministe, c’est promouvoir une égalité de droits entre les femmes et les hommes. Pour autant, nous ne croyons pas en l' « essentialisme ». Nous ne pensons pas qu'il y ait une écriture ou une mise en scène « féminine ». Chaque artiste s'exprime avec son éducation, ses influences, son regard sur le monde à partir de la place qu'il occupe. Le Deuxième Regard est une proposition pour agir concrètement dans le secteur du cinéma. Nous voulons être un relais en termes de suivi et d'analyse de la place des femmes dans le cinéma puisque, malheureusement, l'égalité n'existe pas plus au cinéma qu'ailleurs. Or, la place des femmes dans le cinéma est une question décisive de société. Le cinéma fait la promotion d'une certaine vision du monde, d'un mode de vie, des rapports hommes/femmes.
Pourquoi ce nom de « Deuxième regard » ?Il a été trouvé autour d'un clin d’œil à Simone de Beauvoir. « Deuxième » n'est pas « second » : c'est un regard supplémentaire sur le cinéma, la création. Le Deuxième Regard, c'est un œil qui se forme et qui s'épanouit.
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