Si faire le bilan provisoire de "l’état des choses" a pu mener à une peinture de l’errance à travers des géographies nomades, la cartographie récente de l’état du monde à l’ère de sa globalisation dessine les états limites de la déshérence.
Villes, lieux et non-lieux, zones de transit, fragments de continents, ébauches de pays : la géographie se réorganise d’autres logiques chaotiques, éloignées désormais des configurations psycho-géographiques chères aux situationnistes, pour lesquels une reconfiguration poétique en dialogue avec l’imaginaire était revendiqué.
La géographie contemporaine des migrations et ses paysages ressemble davantage à ce que Mike Davis nomme "les lignes du cauchemar" au sujet des mégapoles du présent, les Dead Cities, qu’à la figure du vide liée aux représentations du cinéma moderne. L’essai intitulé Les paradis infernaux - les villes hallucinées du néo-capitalisme étudie comment "L’utopie d’espaces voués à la consommation, à la propriété et au contrôle s’est elle-même diffractée en autant d’éclats de quartz, autant d’itérations de Los Angeles, dans le désert d’Iran, les collines de Kaboul, ou les banlieues encloses et sécurisées du Caire, de Johannesburg et de Pékin."
Depuis quelques années déjà la rencontre entre l’art contemporain et le documentaire s’est avérée particulièrement féconde, le document et l’archive comme question et méthode constituent un véritable horizon de pensée de la création contemporaine. En outre, l’élaboration des archives croise une interrogation sur l’Histoire et les histoires personnelles, singulières, qui témoignent de l’impossible déplacement de leurs personnages, confrontés à l’immensité des territoires hostiles et des architectures en ruine.
Le territoire du documentaire désigne alors un travail du film commun propre aux artistes et aux cinéastes : celui de disposer de façon non linéaire les éléments filmiques, en dehors des structures strictement narratives. Bien des films contemporains qui relèvent de ces « nouvelles représentations arabes contemporaines» mettent en exergue les points de friction, l’inadéquation entre des destins et des réalités géo-politiques, à travers le récit d’une montée vers le chaos, d’une déliaison systématisée des coordonnées spatio-temporelles.
Le film de Valérie Jouve s’inscrit dans cette perspective d’un cinéma du réel précaire.
Valérie Jouve, Traversée, 2012, projection /7 portraits (Co Producciones SL, 2012)
Nouvelles cinématographies arabes : cartographies, architectures, portraits de villes
Ce film a reçu le soutien du Centre national des arts plastiques (commission Image /Mouvement).
Photographe et cinéaste, Valérie Jouve explore dans son oeuvre les territoires urbains en crise, sous la forme générique de la "traversée" (Marseille, Munster). Dans ses photographies et ses films, la ville constitue un espace collectif réinvesti en tant que mesure de la réalité, sous la forme de montages qui déroulent le récit de l’inscription des personnages dans le paysage urbain complexe.
L’artiste décrit ainsi son film Traversée qui constitue le portrait de 7 villes palestiniennes, à l’exception de la Bande de Gaza : « La traversée du territoire est dictée par un trio décalé et improbable, d’une enfant, d’un marionnettiste et sa marionnette, son double mal identifié (comme élément vecteur de liens). Leur relation est tendre mais tapageuse. Ces deux personnages ne sont pas les protagonistes du film mais bien plus les passeurs de ce territoire, remettant en jeu la relation humaine, extraite de la simple lecture du conflit, pour redonner la réalité de la vie là-bas, avec ses heurts mais aussi ses moments de tendresse, de rire, une terre dans sa réalité débarrassée de son drame, une sorte de petite utopie, même si le drame peut réapparaître – seulement à un moment précis du film - pour ne pas être nié. »
Pascale Cassagnau, responsable des collections audiovisuelles, vidéo et nouveaux médias, CNAP