Comment la recherche est-elle organisée dans l’école nationale supérieure d’architecture et de paysage (ENSAP) que vous dirigez ?
Pour une école d’architecture, un laboratoire de recherche est un organe essentiel dès lors que la recherche y est correctement articulée à la formation initiale et que ses productions sont largement diffusées au sein des communautés de l’établissement mais aussi dans les multiples réseaux de l’école, qu’ils soient régionaux ou internationaux. À Lille, l’ENSAP offre deux formations : l’architecture et le paysage, deux disciplines dont nous nous attachons à penser étroitement les relations et les croisements. Ainsi, les deux masters sont structurés selon quatre domaines d’étude transversaux aux deux formations : Histoire, Territoire, Conception et Matérialités. L’originalité du dispositif lillois réside dans le fait que ces
domaines d’étude sont aussi ceux de notre laboratoire de recherche, le LACTH. C’est une clé pour engager les relations entre recherche et formation dès le master. Un étudiant de l’ENSAP, architecte ou paysagiste, doit choisir un séminaire d’initiation à la recherche au sein des quatre domaines et produire un mémoire durant deux semestres. Les meilleurs pourront ensuite prétendre à la mention « recherche » qui leur ouvrira l’accès à une inscription en doctorat dans une des deux écoles doctorales auxquelles nous sommes associés. Aujourd’hui, le LACTH, qui rassemble 28 chercheurs dont 6 habilités à diriger des recherches (HDR) et 15 chercheurs associés, accueille une douzaine de doctorants (voir les thèses en cours). Au-delà du doctorat, le laboratoire est engagé sur trois niveaux de recherche : fédératif, collectif ou individuel. Enfin le LACTH édite une des rares revues de rang A en architecture, Les cahiers thématiques, dont les numéros sont coordonnés successivement par des chercheurs de chacun des quatre domaines.
Comment l’unité de recherche de l’ENSAP contribue-t-elle au projet pédagogique ?
Que les domaines d’études et de recherche soient communs est une condition nécessaire mais non suffisante, encore faut-il clairement construire les liens entre la formation et la recherche. Notre réponse, avec l’école nationale supérieure d’architecture de Marseille, à l’appel à projets de recherche «Architecture du XXe siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe siècle» lancé par le ministère de la Culture en 2017, mobilisera une série d’ateliers de projet de master sur le logement social expérimental des années 1960-1970. Dans le prolongement de ce projet, l’ENSAP a été retenue pour organiser une école d’été France Excellence en 2018, à destination d’étudiants chinois et européens : Rethinking innovation - Learning from heritage. Ce programme d’écoles d’été d’initiation à la recherche est mis en place par l’ambassade de France en Chine et Campus France, afin d’améliorer le recrutement en doctorat d’étudiants étrangers, notamment chinois, par les universités françaises.
Comment la recherche contribue-t-elle au rayonnement de votre école ?
La recherche en architecture et en paysage est un moyen d’inscrire un peu plus une école dans son territoire et ses problématiques, a fortiori dans un territoire comme celui des Hauts-de-France où les questions sont nombreuses. Faire progresser les connaissances, éclairer les décisions publiques, susciter l’expérimentation pourraient constituer « la raison sociale » d’une école et de son laboratoire de recherche. Nous travaillons par exemple à monter une chaire partenariale sur le bassin minier où le classement au patrimoine mondial de l’Unesco génère aujourd’hui des situations complexes. Accompagner l’engagement de l’État pour le renouveau du bassin minier, construire une offre de formation, produire de la connaissance sur ce territoire, y associer habitants, élus et associations constituent des enjeux particulièrement stimulants pour les chercheurs et les enseignants.
La recherche peut-elle nourrir la pratique de l’architecte ?
Dans notre région, nous manquons de docteurs. Il faut absolument augmenter l’attractivité du doctorat pour nos étudiants, leur montrer que la recherche est aussi un enjeu essentiel pour la pratique. Symétriquement, il faut intéresser le monde professionnel à la recherche. J’ai toujours pensé que mon activité de chercheur avait nourri ma pratique professionnelle. Je crois qu’aujourd’hui, alors que les conditions d’exercice des professions d’architecte ou de paysagiste sont en pleine mutation, que le droit à l’expérimentation entre en vigueur, c’est une nécessité de mieux faire dialoguer praticiens et chercheurs.
Nous venons de terminer, avec huit écoles d’ingénieurs et laboratoires, le projet de recherche MATRICE sur la fabrication additive (ou impression 3D) à l’échelle du bâtiment. Ce projet a été soutenu par l’Union européenne (FEDER) et la région des Hauts-de-France. Nous avons accueilli au sein de l’ENSAP le prototype de machine à imprimer en 3D conçu dans le cadre de ce projet ; certains étudiants ont ainsi pu imprimer leurs projets et, à la suite de cette expérience, ils souhaitent s’engager dans un doctorat. Parallèlement, un groupe de travaux publics associé à des architectes souhaiterait nous confier l’impression 3D de mobilier urbain. C’est un très bel exemple d’interface réussie entre le monde professionnel et le monde académique.
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Cet entretien conduit par V. Wathier (bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère) en mai 2018 a été publié dans le n°137 de Culture et Recherche.
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