Pendant la COP 21, a-t-on pris la mesure, selon vous, des solutions que l’architecture et le patrimoine peuvent apporter face aux enjeux du changement climatique ?
Le fait que l’on soit parvenu à un réel accord au terme de la COP21 – ce n’était pas gagné d’avance – témoigne indéniablement, au-delà d’une prise en compte de la question du changement climatique dans sa globalité, d’une volonté d’agir sur toutes les données de l’équation. C’est une avancée considérable, mais nous sommes encore loin d’une percolation auprès de l’ensemble de la population. S’agissant tout d’abord de la table ronde spécifiquement dédiée à l’architecture (voir encadré), elle a parfaitement rempli sa mission. À la suite de Philippe Pelletier, président de Plan Bâtiment Durable, estimant que tous les combats devaient être menés de front, l’ensemble des participants se sont accordés sur les chantiers à traiter en priorité, à savoir la question de la rénovation énergétique et la montée en compétence de tous les acteurs.
« Lors de la COP21, l’ensemble des participants se sont accordés sur les chantiers à traiter en priorité, à savoir la question de la rénovation énergétique et la montée en compétence de tous les acteurs »
L’accord qui a été signé prévoit de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Plan Bâtiment Durable, qui a pour mission d’atteindre les objectifs d’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment, risque d’être fortement mis à contribution dans les prochains mois…
Depuis dix ans, on ne cesse de dire que la rénovation thermique est une des clés du problème. Qui plus est, son impact économique est considérable : Le secteur du BTP, qui est en panne aujourd’hui, génère beaucoup d’activités et de retombées économiques. Une de ses faiblesses est de manquer de main d’œuvre, de ne recourir qu’à des travailleurs intérimaires, les jeunes par exemple sont quasiment absents, nous n’avons pas rendu l’attrait pour ces métiers suffisant pour qu’ils puissent s’y diriger. Voilà un beau défi à relever. En réalité, c’est un triple coup de poker : vous reconsolidez l’économie, vous formez les jeunes et, qui plus est, vous faites des économies énergétiques phénoménales en participant de façon significative à l’indépendance énergétique du pays.
Le Plan Bâtiment durable, en outre, dispose à présent d’un interlocuteur au plan mondial avec « l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction » lancée pendant la COP 21. Regroupant 19 pays, sa mission est d’accroître le potentiel du secteur du bâtiment pour l’action climatique.
C’est un écho secondaire de la COP21 tout à fait positif, on ne peut que se féliciter de cette prise de conscience autour de la nécessité de renouveler notre parc d’habitations. Maintenant, il faut s’y atteler, ce qui signifie dégager des financements et organiser la production et la formation. C’est un changement de paradigme total pour les écoles d’architecture. De mon point de vue, il est aujourd’hui impératif de se saisir de la question de la rénovation et de la transformation de la ville comme objet principal de travail, le mot rénovation devant être compris au sens large et s’étendre à la question du logement. Aujourd’hui, en France, si on se réfère aux chiffres de la Fondation abbé Pierre, 1,8 millions de gens sont sur liste d’attente pour un habitat social et 3 millions sont mal logés. C’est un sujet de fond, la question de la précarité énergétique rejaillit par exemple directement sur les questions de santé. Je reviens de Barcelone où nous travaillons avec l’université polytechnique de Catalogne : la ville souffre non pas d’une pénurie mais au contraire d’avoir trop de logements de médiocre qualité et de ne plus avoir d’argent à investir. Résultat :une partie de la population qui vit dans des conditions de vie précaires – sans chauffage ni énergie – retourne aujourd’hui au bois. D’une certaine manière, la situation s’apparente à celle que l’on trouve dans les pays en voie de développement où les plus grandes émissions de CO2 sont la cuisine au charbon et toutes les activités au charbon de bois. Les résultats des recherches de nos collègues espagnols montrent que la précarité énergétique s’accompagne d’une dégradation des conditions de santé notamment chez les personnes âgées.
Une statistique révèle que dans les pays de l’OCDE, 80% des bâtiments qui seront occupés en 2050 existent déjà, d’où des plans de rénovation très ambitieux à mettre en place, alors que dans les pays du sud, et notamment en Afrique, 80% des bâtiments habités en 2050 ne sont pas encore construits, d’où la nécessité de standards exigeants
La COP21 offre une vision planétaire, c’est indispensable, mais il ne faut pas oublier que les différences sont souvent considérables d’une région à une autre, et parfois même à l’intérieur d’un même pays. Si on prend une ville comme Saint-Étienne, la problématique n’est pas de construire du neuf, mais de transformer l’existant en essayant de détruire le moins possible, ce qui va à contre-courant de la tendance actuelle des promoteurs qui est plutôt de démolir pour faire du neuf. Il faut donc avoir un regard spécialisé, circonspect et extrêmement informé de tous les tenants et aboutissants pour trouver les solutions les plus adaptées à chaque endroit. Lors de la table ronde, tout le monde s’est accordé à dire que la question de la recherche et de l’innovation était centrale. Il ne faut surtout pas penser que tout est joué, qu’il suffit de rajouter de la laine de verre et d’installer des radiateurs électriques et des pompes à chaleur partout, les solutions sont à adapter à chaque endroit. Qui plus est, ce sont des solutions qui évoluent dans le temps avec l’évolution des technologies des modes de vie.
La maison de demain est au cœur des préoccupations, on pense par exemple à une manifestation comme Solar Decathlon, la compétition de maisons solaires
Cette compétition qui pose les vraies questions et permet notamment un authentique travail de recherche et d’innovation, et d’adaptation aux différentes situations dans chaque pays, doit vraiment être valorisée. Du reste, la Commission européenne a décidé d’en financer le secrétariat permanent, signal fort, s’il en est, que l’Union européenne a pris la mesure de l’intérêt de cette compétition. Par ailleurs – on en revient toujours à la question de la rénovation – le sujet lui-même de la compétition est en discussion. Avec les membres du secrétariat permanent, nous allons certainement le faire évoluer vers la question de la rénovation et du recyclage urbain circonstanciée selon les lieux.
Pensez-vous que le Fonds vert mis en place par l’accord sur le climat, qui prévoit d’organiser un transfert de fonds des pays les plus avancés vers les pays les plus vulnérables, pourra être mobilisé sur des projets architecturaux ?
La partie environnement et aménagement de l’espace est au cœur de toutes les problématiques financées par le Fonds vert, en toute logique, il pourra donc être mobilisé pour des projets d’architecture. Le problème, c’est que les gens ont souvent une vision de l’architecture qui vient en bout de course comme la cerise sur le gâteau. Cette perception, portée par les systèmes d’ingénierie, a repoussé l’architecture aux confins du design et du packaging final. Tout l’enjeu sera de convaincre les décideurs du Fonds vert du contraire, de faire passer l’idée que l’architecture, c’est l’organisation des écosystèmes à la base.
Les migrations climatiques sont une autre donnée incontournable. Un des grands enjeux aujourd’hui ne consiste-t-il à construire des logements mieux adaptés au sud ?
Travailler sur le logement durable dans les zones où la population va augmenter est une priorité absolue. Il faut que nos étudiants soient en mesure de travailler ailleurs et il est impératif de former les étudiants de ces pays. Les dirigeants politiques ont une obligation de clairvoyance : pour que le monde soit plus pacifié dans un siècle, il faut dès maintenant investir en Inde, en Afrique, en Asie, mettre en place des partenariats entre universités africaine et européenne, faciliter les transferts de technologie et de savoirs… si on ne construit pas dans les pays du sud, on va vers des tensions migratoires extrêmement fortes. Face à cela, j’ai une analyse à la fois optimiste et pessimiste : une mission m’a été confiée par la direction de l’architecture du ministère de la Culture et de la Communication pour repenser le projet stratégique des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau et définir la prochaine étape à mettre en place dans le cadre de l’enseignement par l’expérimentation, l’idée étant que l’on formera correctement les architectes et les ingénieurs uniquement si on les met dans des situations réelles où ils apprennent par l’expérience et ont l’habitude de travailler en équipes pluridisciplinaires dès le début. Certains pensent que c’est exactement le modèle vers lequel doivent évoluer notre enseignement et notre recherche, voilà pour la vision optimiste, mais dans le même temps – c’est le côté pessimiste – ceux qui le pensent sont encore minoritaires et il n’est pas encore acquis que la vision holistique et pragmatique l’emporte dans un contexte de décroissance économique. Mais l’évolution est en route et s’il est une chose qui me rassure, c’est de voir à quel point les étudiants sont réceptifs à ce discours.
« A présent, les sites historiques sont appréhendés à travers leur potentiel comme une richesse culturelle intégrée dans une logique d’activité économique favorable pour tous les acteurs »
La problématique est différente dans le domaine du patrimoine.
L’objectif de la table-ronde organisée à l’occasion de la COP21 (voir encadré) était surtout de montrer aux professionnels que la prise en compte des enjeux environnementaux et patrimoniaux – notamment à travers le classement au patrimoine mondial – avait beaucoup évolué ces derniers temps. Les monuments sont souvent perçus comme des objets culturels uniques et figés, or cela ne correspond pas à la façon de les appréhender aujourd’hui. Les territoires et les paysages sont porteurs d’activités humaines séculaires autant que de traditions et de cultures. Les participants ont insisté sur le fait que le renouvellement complet de la logique de classement au patrimoine mondial vient principalement de l’intérêt nouveau que les élus portent à cette action dans le monde entier. Autant auparavant ces objets figés incarnaient une bulle de passé protégé antinomique avec la vie contemporaine, autant ils sont à présent appréhendés à travers leur potentiel comme une richesse culturelle intégrée dans une logique d’activité économique favorable pour tous les acteurs.
« Dans le secteur du patrimoine, le souci de transmettre nous a fait prendre conscience très tôt qu’il fallait préparer l’avenir », souligne Christian Mourisard, adjoint au Maire d’Arles chargé du patrimoine et du tourisme.
C’est une réflexion qui s’intègre dans une prise de conscience plus globale autour des enjeux environnementaux. Celle-ci n’est pas directement reliée à la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre mais à la manière dont on se pose la question du rapport à la mémoire, à la survie de l’espèce, et à la préservation des ressources. Préserver le passé permet de mieux vivre le présent et de projeter l’avenir. Plutôt que de penser les choses de façon séparée, on a une réflexion très intégrée, c’est très démonstratif d’une démarche environnementale qui doit s’appliquer dans tous les domaines. Un site classé par l’Unesco connaît immédiatement une augmentation de fréquentation touristique de 30% et s’intègre dans l’économie. À cet égard, une précision importante est de mise : il ne s’agit pas juste d’un label mais d’une méthode, et elle suppose, indépendamment de la protection et de la sauvegarde du site, un large éventail de dispositions. En ce sens, elle peut être rapprochée d’une démarche holistique qui mène de front les différents aspects des changements que nous vivons actuellement.
Architecture et patrimoine au cœur du changement climatique
« Architecture et patrimoine durables, le bâtiment et l’urbain face aux enjeux climatiques », tel l’objet du premier des deux rendez-vous organisés le 11 décembre 2015 par le ministère de la Culture et de la Communication en marge de la COP21. Avec Pascal Rollet, architecte, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, Bernard Duhem, président de Maisons Paysannes de France, Catherine Jacquot, présidente du Conseil National de l'Ordre des Architectes, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable.
Le second volet portait sur le thème suivant : « Conservation, préservation et mise en valeur du patrimoine face aux défis du développement et des enjeux climatiques ». Avec Christian Mourisard, adjoint au Maire d’Arles chargé du patrimoine et du tourisme, Philippe Lalliot, ambassadeur de la France auprès de l’UNESCO, Jean-Robert Mazaud, architecte-urbaniste, et Geneviève Pinçon, responsable du Centre national de la préhistoire, ministère de la Culture et de la Communication
Partager la page