Notre conversation avec Manon Ravel a rencontré deux grandes questions : sa découverte d'un appel à projets et la mise en œuvre pédagogique de celui qu'elle a proposé et qui a été choisi.
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Le projet :
- Son idée, ses objectifs
- Son parcours professionnel
- Comment elle a été informée d'un projet de résidence qui pouvait l'intéresser
- Ce qui l'a séduite dans cette proposition
- Comment ça se passait côté finances
La mise en œuvre : organisation, pédagogie
- une pédagogie de projet
- la relation avec les enseignants
- le format des interventions
- l'autonomie des élèves
- l'organisation et l'activité des groupes
- une restitution régulière
- la communication interne
- la communication externe
- Et maintenant ?
Pour mémoire :
ARCHICLASS est un projet mis en place par le Collège des Bruneaux de Firminy, l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, le site Le Corbusier de Firminy et l’architecte Manon Ravel du collectif Soplo.
Il bénéficie du soutien de Saint-Etienne Métropole, de la DAAC de Lyon et de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes.
Manon Ravel, quelle idée motivait votre résidence d’architecte, quel était son objectif ?
Manon Ravel : L’idée était d’inviter les élèves d’un collège à se poser la question de leur proche environnement. Au moyen d’un projet de groupe mené en ateliers, l’objectif était de les amener à le regarder autrement.
Le collège des Bruneaux est situé à Firminy, commune qui comprend quatre édifices de Le Corbusier classés Monuments Historiques, qui sont : la Maison de la Culture, le stade, l'Unité d'Habitation et l'église Saint-Pierre.
Or l’opinion des élèves sur l’architecture du Corbusier, comme sur celle de leur propre collège, n’était pas très positive. Il s’agissait donc de leur donner les outils pour regarder et pour habiter, pour prendre conscience du potentiel de l’espace, pour s’apercevoir que l’espace devient habitable et digne d’intérêt dès lors que ses habitants le font vivre.
Quel est votre parcours professionnel ?
J’appartiens à un atelier de scénographie, Soplo, que j’ai fondé avec deux autres personnes.
Nous nous sommes rencontrés dans une formation de scénographie hébergée par l’école d’architecture de Nantes. Auparavant, deux d’entre nous, dont moi-même, ont obtenu un diplôme d’architecture (nous ne serons définitivement architecte qu’après notre soutenance d’accréditation) ; la troisième personne avait fait l’école des Beaux-Arts.
Ensemble nous avons décidé d’ouvrir Soplo, cet atelier professionnel un peu hybride où nous faisons des installations, de la scénographie, de la scénographie d’exposition et aussi des ateliers pour tous les publics. Dans le cadre de ces ateliers, nous avons travaillé par exemple avec un centre social pour préparer une fête de quartier. Nous avons travaillé aussi, comme scénographes, avec une compagnie de théâtre pour enfants.
Comment avez-vous rencontré ce projet ?
D’abord il faut savoir que la DRAC, l’école d’architecture de Saint Etienne, la fondation Le Corbusier du site Le Corbusier et le collège des Bruneaux, qui est à Firminy, ont mis en place un dispositif pour accueillir un architecte en résidence.
C’est dans le cadre de ce dispositif qu’ils ont lancé un appel à projet.
De notre côté nous recevions toujours les mails circulaires de l’école d’architecture de Nantes. Entre autres informations, l’école envoie régulièrement à ses étudiants et anciens étudiants des appels d’offre. Elle a donc relayé l’appel d’offre lancé par l’école de Saint-Etienne et c’est ainsi que nous en avons été informés.
Une fois que nous avons décidé d’y répondre, il nous a fallu rédiger un note d’intention et, suivant le cahier des charges notifié dans l’appel à projet, un premier projet d’atelier. Il était déjà en deux parties : l’une autour du site Le Corbusier, l’autre autour du collège. Après avoir passé un petit oral devant un jury, nous avons été sélectionnés.
Pourquoi avoir choisi ce projet ?
Nous étions intéressés par cette forme d’ajustement « hybride » entre nos compétences d’architectes et celles de scénographes que commande un tel projet.
Nous ne construisons pas nécessairement des bâtiments mais nous parlons d’architecture, nous faisons de la médiation autour de l’architecture. L’art de la scénographie nous en donne les moyens. Il nous permet de transmettre un propos architectural à part entière à un public non-averti. L’enjeu pour nous est donc de maîtriser l’outil scénographique qui rend possible cette médiation.
Côté financier, quelles étaient vos attentes ?
De notre point de vue il y a deux lignes budgétaires incontournables pour rendre le projet possible : la rémunération de nos interventions et l’achat de matériel.
Il est naturel de nous rémunérer pour notre travail. Quant au matériel, c’est très important. Il faut prévoir une enveloppe pour cet achat, afin que le projet laisse une trace ou un produit visible. En architecture il s’agit de l’espace physique. En l’occurrence la possibilité de construire des maquettes, d’aménager une salle du collège, de construire du mobilier. Sans doute on trouve des moyens bon marché d’y parvenir, mais il faut avoir conscience qu’il y a de toutes façons un coût à déterminer et à supporter.
Ce produit des travaux des élèves est important aussi pour valoriser le projet par la suite.
La DRAC Auvergne Rhône Alpes a financé la résidence. Par ailleurs, ARCHICLASS a bénéficié d’une exposition et d’une publication, grâce à une enveloppe supplémentaire donnée par l’école d’architecture de Saint-Etienne.
Et puis nous avons la chance de recevoir le Prix de l’Audace artistique et culturelle. La dotation financière liée à ce prix va permettre d’achever l’aménagement de la salle de classe commencé par le collège (« Classe du futur »)
Le projet a été mené à bonne fin, il est salué comme un succès – quels sont à vos yeux les enseignements pratiques et pédagogiques de cette expérience ?
C’était un projet sur temps scolaire, s’adressant à des collégiens : une classe de 3ème, une classe de 6ème et une classe de 6ème SECPA. La classe de 3ème étant une classe d’examen, elle a laissé sa place à une place de 4ème pour la seconde partie du projet. En tout une centaine d’élèves concernés.
Le projet était en deux parties :
1/ « Archi Corbu » pour cinq premières journées d’atelier au site Le Corbusier, suivies d’une petite restitution sous forme d’expo ;
2/ « Archi Bahut » pour sept journées d’atelier au collège qui ont produit la construction de « La classe du futur ». Le maître mot de cette salle était « mobile et confortable », donc tout est sur roulettes et il n’y a pas de tables. On peut faire des configurations en agora, ou alors en salle de classe classique. Des panneaux viennent refermer des espaces pour faire des travaux en petits groupes avec des tableaux en ardoise.
Sur le plan pratique, et dans l’esprit de partager mon expérience, je peux donc vous proposer quelques remarques qui me paraissent importantes :
Une pédagogie de projet :
On ne fait pas un cours mais on met en œuvre un projet. Or cette réflexion et mise en œuvre d’un projet ne sont pas toujours celles que les élèves ont l’habitude de pratiquer au collège. C’est pourquoi il faut négocier avec les enseignants et l’administration de l’établissement une organisation un peu particulière. Il y a beaucoup de contraintes et ce n’est pas toujours facile. Mais si l’on veut conserver l’intégrité d’un projet dont l’enjeu est d’amener les élèves à la création, il faut d’abord résoudre ces difficultés-là.
Un travail en commun avec les enseignants :
Le projet était ambitieux et n’aurait pas pu avancer sans les huit enseignants très motivés avec lesquels nous avons travaillé. Cette motivation des enseignants tient à leur disponibilité, essentiellement. Il faut savoir que chaque journée d’atelier se prépare avec soin. Il faut se réunir avant l’atelier, après l’atelier. Il faut, entre les ateliers, pouvoir entretenir des échanges. Pour une journée d’atelier, il faut une semaine de travail, c’est incontournable.
Il s’est donc avéré difficile d’organiser des réunions avec les huit enseignants en même temps. Leur organisation professionnelle et leurs habitudes de travail sont différentes des nôtres. Pour autant ils veulent prendre leur part du projet auprès de leurs élèves.
Nous avons fini par trouver une solution : pour chaque atelier j’ai travaillé avec un seul enseignant. Charge à lui de communiquer notre préparation au sept autres. Ils ont organisé un roulement si bien que j’ai préparé chaque atelier avec un enseignant différent. Au bout du compte nous sommes arrivés à avancer, mais ce n’est pas une solution parfaitement satisfaisante du point de vue des professeurs. Ils auraient aimé être plus impliqués. Pour une implication plus grande, cependant, il faut apporter du temps, ce qui ne leur est pas aisé.
Sur le format des ateliers :
Un format de deux heures par semaine est insuffisant. D’une séance sur l’autre on a tout oublié et l’on piétine. La difficulté est alors de réorganiser les emplois du temps, une mission presque impossible qui pourtant représentait pour nous un véritable enjeu.
Il nous fallait des ateliers d’une journée entière voire de deux jours, afin que tout le monde se plonge réellement dans l’étude et l’invention. Dans l’espace d’une journée, on organise des temps différents où les acquis et découvertes, mais aussi les nouvelles difficultés à résoudre s’enchaînent logiquement les unes aux autres. Cette logique de « déroulé », sur une journée, nous semble très importante.
L’autonomie des élèves :
Les élèves apprécient cette rupture de rythme sur leur temps scolaire. De telles journées d’étude leur laissent beaucoup de temps d’autonomie. On les lance sur un sujet, on les laisse réfléchir, on va voir un autre groupe et pendant ce temps-là c’est à eux qu’il revient d’imaginer, de réfléchir. Ce modèle pédagogique favorise beaucoup le travail en autonomie. Pour les aider à organiser et maîtriser ce travail en autonomie, nous donnions aux élèves, en début de journée, une fiche qui leur indiquait le programme précis de l’atelier, heure par heure. Une fiche dans un style de bande dessinée, rigoureuse et illustrée.
L’organisation et l’activité des groupes :
Pour chaque journée d’atelier j’avais 70 élèves répartis par groupes, entre huit et douze participants. Les mêmes groupes, mêlant plusieurs niveaux, se sont retrouvés à chacune des douze journées d’ateliers du projet. Sur l’identité constante de ces groupes mélangés j’ai suivi le conseil des enseignants. Effectivement les élèves ont tous fini par trouver un mode de fonctionnement et une certaine solidarité (je rappelle qu’il y avait des 3ème, des 6ème et des 6ème SECPA).
Il y avait toujours un objectif commun pour tout le groupe, une partie du travail à apporter à une œuvre commune finale portée par l’ensemble des groupes. Cela a donné une espèce de maquette à plusieurs étages. Chacun de ces groupes a essayé de traduire ce qu’il ressentait en pratiquant l’architecture du Corbusier à travers un prisme qui était soit la couleur pour tel groupe, soit la lumière pour tel autre et ainsi de suite, soit la forme, soit le corps.
Chacun a fait son bout de maquette et c’est moi qui ai fait l’assemblage de la maquette commune.
On leur a demandé alors d’écrire un texte imaginaire autour de la ville et de leur expérience du Corbusier. La lecture de ce texte a fait l’objet d’un enregistrement vidéo, lequel a été projeté sur la maquette en exposition.
L’idée était que cette maquette, l’objet commun produit par les groupes, symbolise la ville, composée elle-même de toutes ces individualités qui racontent l’histoire et qui forment la ville.
Pour la deuxième partie du projet, nous avons demandé à chaque groupe de faire un travail « sociologique » d’observation de leurs « collègues » collégiens : identifier qui sont les usagers, dans quels espaces ils vont, qu’est-ce qu’ils y font. Puis ils ont engagé un travail d’entretiens où ils ont posé des questions aux usagers, recueilli des informations sur ce qui se passe aujourd’hui et surtout suscité l’expression de leurs désirs ou même fantasmes quant à un collège du futur.
Après ce travail d’enquête, ils ont travaillé, à partir des entretiens et des observations, et - par « remue-méninge » - ils ont dû trouver des idées pour créer le projet d’un nouvel espace pour leur collège.
Quatre de leurs idées ont été présélectionnées, par vote en assemblée plénière : un projet de salle multifonction, un projet de classe dehors, un projet d’aménagement du patio en cinéma de plein air et un projet de classe du futur.
Ils ont dû ensuite développer ces projets en maquette, c’est-à-dire les faire entrer vraiment dans l’espace afin de faire de vraies propositions. Un jury composé d’élèves, de l’administration scolaire et des enseignants a couronné « La classe du futur ».
Ensuite nous avons dessiné, nous les intervenants, cette classe du futur pour la rendre réalisable, nous avons ensuite préparé des bouts de bois, tout un tas de matériaux, pour que les élèves construisent cette salle et son mobilier dans les deux dernières journées d’atelier.
Une restitution régulière :
A la fin de chaque journée d’atelier, chaque groupe présentait sa production en prenant la parole face à cinquante autres personnes. Au début les élèves étaient un peu réservés sur cet exercice, mais la plupart d’entre eux, au fur et à mesure, ont pris de l’assurance, et ceci dès lors qu’ils ont compris qu’ils n’étaient pas eux-mêmes l’objet d’une évaluation ou d’un jugement, mais la production du groupe dont ils faisaient partie. Quand on est porté par le groupe c’est plus simple.
Pas d’évaluation quantitative ni des élèves ni de leurs productions. Nous n’avons pas mis en œuvre de dispositif rigoureux d’évaluation de notre réalisation. Nous ne sommes pas enseignants, nous ne sommes pas non plus des managers d’entreprise.
En revanche, nous avons des retours d’ordre intuitifs qui nous confortent sur la qualité du travail de groupe, de la communication entre les élèves, de leur organisation dans chaque équipe, de leur responsabilité collective.
Ces éléments d’appréciation sont soutenus par le résultat physique de leurs travaux. En ce sens il est d’ailleurs remarquable qu’ils ont préféré la pratique, c’est-à-dire toucher la matière, la voir se transformer, s’assembler, construire le mobilier de la salle du futur. Le principe de s’instruire par la pratique était presque nouveau pour eux.
Au-delà de la restitution, la communication interne :
A chaque journée d’atelier, quatre élèves étaient détachés des groupes pour occuper une fonction de « reporter ». Ils devaient prendre du recul par rapport à ce qui se passait, interviewer les élèves, prendre des photos. Ces quatre reporters devaient produire à la fin de la journée une petite feuille de chou : Archinews.
Cette petite communication interne prolongeait de cette manière particulière le déroulé de chaque atelier par une information à l’adresse des participants et de leur entourage, les parents d’élèves notamment.
Le cas particulier d’un projet repéré et donnant lieu à une communication externe :
l’école d’architecture de Saint-Etienne a voulu nous mettre en avant et nous voilà d’ailleurs récompensées par le prix de l’Audace artistique et culturelle, ce qui nous ravit et nous aidera beaucoup par la suite.
Techniquement parlant, toutefois, nous n’étions pas préparés à produire des outils de communication de grande ampleur, notamment une vidéo de deux minutes. Heureusement, l’école d’architecture a mis à notre disposition, pour les prises de vue, sont technicien vidéo. Mais il restait à écrire un story-board, donner des instructions de montage, ce qui n’est pas notre métier – et de plus nous n’en avions pas le temps !
J’en tire comme enseignement que s’il faut prévoir une communication plus importante que celle que nous avons faite, toute simple et seulement à destination des élèves eux-mêmes et de leurs parents, il faut la prendre en compte dès le début du projet en prévoyant les moyens techniques et humains qui vont en permettre la réalisation.
Quels sont vos projets, à présent ?
Un projet inscrit dans le PEAC du lycée voisin du collège des Bruneaux et soutenu par la DAAC : l’année dernière une enseignante de français qui était au lycée juste à côté du collège où j’étais intervenue m’a contactée pour que nous déposions un dossier auprès de la DAAC. Il s’agissait de faire des ateliers dans son lycée, sur trois journées consécutives, en mode « workshop » autour d’Espèce d’espaces de Georges Pérec. Toujours en rapport à l’architecture mais plus sous forme d’installations éphémères, avec des lectures théâtrales dans l’installation.
L’école d’architecture vient de nous adresser une école primaire proche de Saint Etienne, qui a un projet autofinancé grâce aux parents d’élèves (donc apparemment sans autre soutien du moins pour l’instant).
Une association d’Aubervilliers, « A travers la ville », qui forme des éducateurs de rue, nous propose un projet entièrement financé, à ma connaissance, par l’association (qui reçoit peut-être des subventions par ailleurs, je ne le sais pas).
Nous répondons à d’autres appels à résidence. Nous candidatons aussi pour un projet avec « Plaine Commune » qui met en place des missions d’accompagnement artistique et culturel autour de ZAC qui sont en construction, pour élaborer des sortes de préfigurations de nouveaux modes d’habiter.
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