« Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement
vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre », c’est-à-dire, écrit
Marcel PROUST, « ceux que nous avons passés avec un livre préféré ». Et il
ajoute : « Tout ce que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin :
le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant,
l'abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de sur la
page ou à changer de place, les provisions de goûter qu'on nous avait fait emporter
et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, le dîner pour
lequel il avait fallu rentrer et où nous ne pensions qu'à finir le chapitre interrompu,
tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que
l'importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux,
tellement plus précieux – à notre jugement actuel – que, s'il nous arrive encore
aujourd'hui de feuilleter ces livres d'autrefois, ce n'est plus que comme les seuls
calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l'espoir de voir reflétés
sur leurs pages les demeures et les étangs qui n'existent plus ».
Si j’ai choisi d’ouvrir cette conférence de presse par la lecture de cette très belle
page de Marcel PROUST, c’est d’abord parce que l’écrivain y exprime parfaitement
la magie de l’expérience intime et fondatrice de la lecture, cette activité singulière
que nous partageons.
Inviter à démultiplier ce partage : telle est l’ambition d’« A vous de lire !». Cette fête
de la lecture sous toutes ses formes et dans tous ses états s’inscrit au coeur de mon
grand principe d’action au ministère de la Culture et de la Communication, ce que
j’appelle la « culture pour chacun ». La lecture reste à mes yeux l’axe même et le
levier par excellence de la « culture pour chacun », c’est-à-dire de cet idéal de
permettre à chacun, quelle que soit son originale culturelle ou sociale, d’inventer son
propre chemin vers les oeuvres de l’esprit…
Mon plan d’une « lecture pour chacun », dont j’ai eu le plaisir de dévoiler, au mois
de mars dernier, les 14 propositions, s’articulent autour de ce moment de partage et
de fête que j’ai la joie et l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
Cette fête, il était nécessaire d’’en repenser la formule et d’en adapter les contours.
La « lecture pour chacun » n’a de sens que si nous laissons de côté la tonalité
parfois prescriptive des institutions culturelles, et si nous lui préférons une dimension
active et même interactive, nécessaire à l’appropriation culturelle. Chacun doit
devenir un acteur de la culture, pas seulement comme auteur, écrivain, créateur,
mais en tant que passeur, médiateur, interprète, animateur, toutes ces instances de
partage de l’émotion qui sont si nécessaires à la vie culturelle d’un pays. « A vous
de lire ! » en somme – à chacun d’entre vous, à chacun d’entre nous de lire et de
donner l’envie de la lecture !
Durant quatre jours, cette première édition d’ « A vous de lire ! »
contribuera à investir d’une manière nouvelle l’espace public, en donnant à
chacun l’occasion de lire à haute voix les textes de son choix dans les lieux
les plus insolites : dans les cafés, les marchés, les magasins, les centres
commerciaux, mais aussi dans les hôpitaux et les centres pénitenciers, ou
encore les parcs et les jardins, théâtres de verdure transformés en théâtres
de lecture. Ces manifestations gratuites donneront lieu à des lectures en
continu d’ouvrages intégraux, à des mises en espace de textes, mais aussi
à des bals et à des pique-niques littéraires, et à bien d’autres formes de
lecture à bâtons rompus – libres vagabondages à travers les mots,
poèmes, récits, pièces de théâtre, de tous genres et de tous styles…
Je tiens à saluer l’engagement des collectivités territoriales, ainsi que des
professionnels du livre et de la lecture, qui ont rivalisé d’imagination et de
fantaisie. Je pense, par exemple, à ces « cueillettes sonores » organisées
sur les places des marchés de Marseille, à partir de lectures et de microstrottoirs
sur le thème du « Livre qui a changé ma vie », et à bien d’autres
initiatives heureuses et originales…
Ce principe participatif est, je crois, emblématique d’un nouveau mode
d’action du ministère, davantage à l’écoute des pratiques et des usages
d’aujourd’hui, sans exclusive, plus proche des évolutions de la société et
des attentes de nos concitoyens.
Trois lignes de force animeront cette grande fête participative.
La première, c’est l’initiation des lecteurs de demain. On ne naît pas
lecteur, on le devient, et l’on a besoin, pour y parvenir, d’une
sensibilisation, d’une acclimatation et donc d’une médiation. Deux
opérations ont été lancées en sens :
D’abord, en partenariat avec le ministère de l’Education Nationale et de
concert avec le groupe « Jeunesse » du Syndicat National de l’Edition,
dont je salue les représentants respectifs, a permis de concevoir un jeu
intitulé « Mon livre préféré » à destination des classes de CM1 et de CM2,
soit environ 1 300 000 élèves. Il amènera les enfants à se familiariser avec
les oeuvres de la littérature et développera leur curiosité, de façon à la fois
ludique et intelligente.
La seconde opération, menée avec les éditions Bayard-Milan que je
remercie chaleureusement, a conduit à l’édition d’un livret destiné à aider
les jeunes lecteurs – mais aussi les moins jeunes, à commencer par leurs
parents – à faire leur choix dans une production éditoriale foisonnante : il
s’agit, encore et toujours, d’éviter l’écueil de l’intimidation sociale.
Cent livres sont présentés dans ce guide, imprimé à 500 000 exemplaires,
qui sera disponible dans de nombreuses librairies et mis en ligne sur le site
de l’événement.
Je souhaite, bien sûr, que ces deux partenariats se renforcent encore dans
les années à venir.
Mais cette initiation des plus jeunes ne serait pas suffisante sans une
diffusion plus large de la manifestation auprès de tous les publics, toutes
générations confondues. À cet effet, un partenariat avec la SNCF a permis
de mettre en place un grand passe-livres national, qui inaugure un
nouveau type de fête collective. Le jeudi 27 mai, pas moins de 10 000
livres partiront en voyage à bord d’innombrables trains, feront escale dans
de nombreuses gares et circuleront de mains en mains. Le site internet
permettra de recueillir les avis des lecteurs, et ainsi d’aiguiser la curiosité
de chacun en confrontant les points de vue. Je tiens, à cet égard, à
remercier chaleureusement la SNCF et son président, M. Guillaume PÉPY,
qui a su relever le défi avec enthousiasme.
Internet, je le disais, joue un rôle croissant et crucial dans nos pratiques de
lecture, et dans nos usages participatifs : c’est pourquoi j’ai souhaité lui
donner toute sa place dans cette nouvelle fête. Un site, avousdelire.fr,
proposera une Web TV et se fera l’écho immatériel de ces rencontres, qui
se prolongeront sur les forums.
Je tiens à remercier l’ensemble des écrivains qui ont accepté de prêter leur
voix et leur talent à cette grande manifestation. Je pense notamment au
Prix Nobel Gao XINGJIAN, qui nous fera l’honneur de sa présence à Aixen-
Provence à l’initiative de l’association Ecritures Croisées ; je pense
aussi, parmi tant d’autres, à Marie DESPLECHIN, à Alain MABANCKOU –
ou encore à Marie DARRIEUSSECQ, Geneviève BRISAC, Antonio
CABALLERO et Elif SHAFAK, invités à Lyon par Les Assises
internationales du roman.
De très nombreuses personnalités ont apporté le concours de leur
notoriété et surtout de leur passion des mots, tels Charles AZNAVOUR,
André COMTE-SPONVILLE, le « Professeur ROLIN » ou encore Enki
BILAL… Je les en remercie également.
Une reconnaissance toute particulière va, bien sûr, à Chloé DELAUME, qui
a accepté d’être la marraine de cette première édition. Cette initiatrice
d’une nouvelle forme d’« autofiction » incarne parfaitement les usages les
plus contemporains de l’écriture, et de la lecture, et je ne doute pas qu’elle
saura communiquer à cette Fête toute sa fantaisie, son inventivité et que
nous « n’habiterons plus seulement dans la télévision », mais aussi dans
nos lectures, mais aussi, comme PROUST, dans les souvenirs qu’elles
nous offrent.
Je voudrais enfin remercier le Centre national du Livre (CNL), son tout
nouveau Président, Jean-François COLOSIMO, et sa Secrétaire Générale,
Catherine RUGGERI, ainsi que l’ensemble de ses équipes qui ont travaillé
avec autant de passion que de patience, sans oublier bien sûr le
Commissaire de l’événement, Xavier FROMENT, qui en est le chef
d’orchestre.
Je vous donne donc rendez-vous le 27 mai prochain, et j’invite chacun
d’entre vous à faire partager ses joies et ses enthousiasmes de lecteur,
pour faire de cet cette fête une rencontre fondatrice et fédératrice autour de
la lecture, et je vous dis : « À vous de lire ! ».
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la conférence de presse « A vous de lire ! »
Monsieur le Président du Centre national du Livre, Jean-François COLOSIMO,Chère Chloé DELAUME,Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,Mesdames et Messieurs,Chers amis,
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