J’ai tenu à vous réunir aujourd’hui parce que je suis pleinement conscient – de par
mon expérience bien sûr, mais aussi de manière plus générale – de l’importance
essentielle de ce que l’on appelle la diplomatie culturelle.
Je trouve d’ailleurs cette expression très éloquente et profondément juste. Car au
fond, j’ai toujours eu du mal à dissocier la diplomatie de la culture et la culture de la
diplomatie. « Cedant arma togae » disait CICÉRON – dans les grammaires latines…
Je crois qu’il faut traduire : « Que les armes cèdent à la toge ». « La toge », c’est-àdire
l’éloquence, c’est-à-dire la diplomatie, c’est-à-dire la culture et l’humanisme que
ces deux activités humaines ont profondément, radicalement en commun.
Pour moi, la culture est un appui naturel et consubstantiel de la diplomatie. Je ne
peux pas concevoir de diplomatie sans cet apport, car la culture offre non seulement
un espace de sublimation, de symbolisation et un trésor de formulations affinées qui
permettent de dépasser une fausse simplicité toujours tentée de n’être que le
masque de la brutalité. La culture est aussi un extraordinaire creuset de rencontres.
C’est une réserve d’affinités qu’il faut sans cesse abonder, car c’est sur cet actif-là
que se fondent les échanges les plus fructueux dans tous les domaines. Elle n’est
donc pas un simple supplément d’âme, elle est l’âme elle-même de la diplomatie.
Elle est à la fois l’une de ses conditions et son aboutissement. C’est pourquoi votre
rôle de diffusion de la culture de votre pays est essentiel pour nous. Car il ne s’agit
pas simplement de se cultiver dans une sorte d’accumulation aveugle de
connaissances. Il s’agit de faire votre rencontre, d’entrer dans votre système de
valeurs, celui qui est porté par votre langue, par vos artistes, par votre patrimoine,
par votre création. Et ainsi « cultivés », nous serons toujours mieux capables de
vous comprendre dans tous les aspects de la vie, dans tous les domaines de nos
échanges, même ceux qui paraissent le plus éloigné des problématiques culturelles.
L’enjeu n’est pas uniquement celui, économique, de la diffusion des industries
culturelles d’un pays. L’enjeu n’est plus seulement aujourd’hui, dans la
mondialisation, le prestige que peut conférer un dynamisme culturel. L’enjeu réside
bien aujourd’hui dans l’« interculturel », c’est-à-dire dans notre capacité à prendre
en compte les différences de regard sur les choses et ainsi à désamorcer – mieux
qu’autrefois, je crois, en tout cas je l’espère – les différends qui peuvent parfois
surgir au sein même de l’humanité.
Le plus souvent, des malentendus, l’ignorance, une forme d’inculture de
l’Autre sont à la base des conflits qui opposent les hommes. Le projet
d’une diplomatie culturelle est donc, à mes yeux, non seulement une
extraordinaire ouverture sur la diversité des sociétés humaines et de leurs
créations, une occasion de découvertes et d’enrichissements
exceptionnels par rapport à l’ère nationaliste où les cultures se
construisaient les unes contre les autres. Mais ce projet d’une diplomatie
culturelle est le coeur même d’une mondialisation à visage humain, et tout
simplement d’une mondialisation réussie, d’une « mondialisation que c’est
la peine » pour paraphraser la savoureuse expression de Valéry
LARBAUD qui parlait, lui, « de la littérature que c’est la peine »...
Oui, sans la culture, notre monde resserré serait celui de la promiscuité et
non pas de la proximité. C’est la culture qui donne sa qualité à un vivreensemble
désormais mondialisé. Le « conseiller culturel » n’est pas un
supplétif de l’ambassadeur, il est plus que jamais au coeur même de la
diplomatie dans un monde comme le nôtre. Aujourd’hui, la connexion est
d’une simplicité désarmante. Ce qui compte, ce n’est plus la possibilité des
contacts ou leur multiplication, mais c’est leur qualité, et cette qualité est
humaine, c’est-à-dire qu’elle est avant tout de culture.
Depuis mon arrivée à la tête de ce ministère, j’ai eu à coeur de renforcer le
dialogue avec nombre de vos pays – quels que soient leur taille ou leur
poids politique – avec nombre de mes homologues, d’ambassadeurs,
d’artistes, ainsi qu’avec les représentants des instituts culturels – que vous
êtes nombreux à présider – à l’occasion de la réunion du Forum des
Instituts culturels étrangers à Paris (FICEP), ici même en septembre
dernier. J’ai parcouru, toujours trop vite hélas, de nombreux pays, de la
Chine au Brésil, en passant par la Tunisie, la Syrie, la Jordanie, l’Arabie
saoudite ou le Kazakhstan, mais aussi l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la
Suisse ; et, la semaine prochaine, je retourne en Chine à l’occasion de
l’Exposition universelle de Shanghai.
Cette exigence d’un dialogue interculturel, qui est une nécessité, et bien
sûr aussi une joie, il est de notre responsabilité de lui donner forme dans
des projets qui soient l’occasion de rencontres véritables et durables.
Je pense aux grandes saisons culturelles, auxquelles mon ministère
apporte régulièrement son soutien, à la Saison de la Turquie en France, à
l’Année croisée avec la Russie qui revivifie nos relations, mais aussi à
l’Année CHOPIN que nous célébrons avec nos amis polonais, pour
lesquels j’ai une pensée toute particulière, et demain l’Année LISZT. Je
pense au bicentenaire des indépendances latino-américaines, ainsi qu’au
Cinquantenaire des indépendances africaines, que nous allons
commémorer tout au long de l’année, et qui sera un moment important de
retrouvailles et d’échanges, tant nous avons à recevoir de la culture
africaine, de sa peinture, de sa musique et de son cinéma, que je souhaite
toujours plus présent dans nos salles et que je me réjouis de voir figurer,
cette année, dans la sélection officielle du Festival de Cannes.
Les rencontres culturelles, ce sont aussi, justement, les festivals
internationaux (tels le festival indien « Namaste France » ou les
« Croisements » franco-chinois), mais également les salons du livre, les
expositions, les spectacles et les grandes rétrospectives
cinématographiques, qui sont autant de moments privilégiés d’accueil de
l’Autre.
Bien sûr, les événements ponctuels ne sauraient suffire, et je suis toujours
très attentif à développer des coopérations de fond avec nos partenaires,
en particulier dans ce domaine économiquement complexe qu’est le
cinéma, où plusieurs accords de coproduction vont être lancés ou
rediscutés, mais aussi dans celui de la formation – je pense notamment au
très beau projet de Cité de la Culture de Tunis –, et dans celui des
musées : à cet égard, je me félicite du rythme auquel avance le
merveilleux projet du Louvre ABOU DABI, mais aussi de la qualité des
nouveaux partenariats récemment noués avec la Syrie ou encore avec
l’Italie, où nos deux pays ont uni leurs forces pour reconstruire ensemble
la magnifique Eglise Santa Maria del Suffragio de l’Aquila.
Vous savez aussi toute l’importance que j’accorde au dialogue entre les
deux rives de la Méditerranée, qui doit former ce nouveau « Mare
Nostrum » du XXIe siècle que nous appelons de nos voeux. C’est pourquoi
j’attache tant de prix à la réussite du projet de Musée des civilisations de
l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille, mais aussi aux
initiatives audiovisuelles portées par la Conférence permanente de
l’audiovisuel méditerranéen, la COPEAM, et tout particulièrement à son
projet de chaîne de télévision méditerranéenne.
La culture, c’est aussi une affaire de symboles. Je pense, par exemple, à
ce don de livres de la Bibliothèque nationale de France à la Bibliotheca
Alexandrina, le plus important jamais consenti, qui contribuera à faire de
ce lieu mythique un lieu unique de rencontre et de francophonie. Je pense
aussi à ce moment plein d’émotion que fut ma participation au vingtième
anniversaire de la réunification allemande, le 3 octobre dernier à Berlin.
Une affaire de symboles, mais aussi de solidarité. Je veux évoquer ici
Haïti, ce pays de culture foisonnante, ce pays dont la culture est l’âme et
j’ai envie de dire, le levain d’avenir. Mon ministère est déjà pleinement
mobilisé aux côtés des autorités haïtiennes pour y faire renaître la
création. Mais je veux aller plus loin, avec toutes les bonnes volontés qui
se joindront à la nôtre. J’ai ainsi décidé de lancer un projet de restauration
du « Ciné Théâtre Triomphe » qui, au coeur de Port-au-Prince détruite,
pourrait redevenir le lieu prestigieux qu’il fut dans les années soixante-dix,
un établissement culturel de référence à vocation nationale et
internationale, ouvert sur le monde et accueillant aux autres cultures. Ce
projet, qui est à portée de main si nous savons nous mobiliser, j’en parlerai
à mes collègues européens lors de notre prochaine rencontre, le 10 mai,
et je forme le vœu d’un élan de solidarité en faveur d’Haïti, de sa culture et
de son peuple.
Dans un monde où les frontières – au moins matérielles – tendent à
s’estomper, je suis aussi très attentif à la nécessité de faire émerger des
solutions convergentes aux grands enjeux culturels auxquels nous
sommes tous confrontés.
Je pense tout particulièrement à la numérisation du patrimoine culturel, qui
constitue l’un des grands défis d’aujourd’hui. Comme vous le savez, j’ai
obtenu, dans le cadre du Grand Emprunt, pas moins de 750 millions
d’euros qui y seront consacrés. J’espère ainsi favoriser l’accès de chacun
aux oeuvres de notre patrimoine partagé et faire avancer ce que j’appelle
la « culture pour chacun ». Pour mener à bien ce chantier, la concertation
est indispensable. Je me réjouis, à cet égard, que cette question soit
devenue l’un des grands enjeux débattus au sein du Conseil des ministres
de l’Union européenne, avec notamment pour objectif de renforcer
EUROPEANA, le projet de bibliothèque numérique européenne. Je
souhaite qu’elle le soit également dans d’autres enceintes, et j’appuie
pleinement le projet de la directrice générale de l’UNESCO, mon amie
Irina BOKOVA, d’organiser une conférence internationale sur cette
question.
L’enjeu du numérique, c’est aussi la lutte contre le piratage des contenus
culturels sur Internet et le développement d’une offre légale diversifiée et
accessible. Des réponses crédibles ont, vous le savez, commencé à être
apportées en France ; mais nous sommes aussi très attentifs à ce qui se
fait ailleurs. Car ce défi de la création à l’ère numérique, nous devons le
relever ensemble : au niveau européen, d’abord – où l’idée d’un taux
réduit de TVA pour les biens et services culturels commence à faire son
chemin – mais aussi, bien sûr, en dehors de l’Union.
Au moment où la France manifeste, par la création d’une Agence, une
nouvelle ambition pour son action culturelle extérieure, que je partage
avec mon ami Bernard KOUCHNER, j’entends contribuer à cette ouverture
de la France sur les autres cultures, dans la diversité qui constitue notre
plus grande richesse.
Je veux vous assurer que vous trouverez toujours en moi un interlocuteur
engagé, désireux de réaliser des projets concrets de coopération, et
d’accueillir la création sous toutes ses formes. Vous trouverez toujours en
moi un défenseur acharné de cette « diplomatie culturelle » dont je parlais
pour commencer, qui fait notre force à tous et fonde notre communauté de
valeurs.
Je vous remercie.