Qui en effet, aurait pu imaginer que le jeune étudiant en histoire né en 1951 à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), quitterait les bancs de la Sorbonne pour s’orienter vers le cinéma? C'était sans compter sur la découverte en 1974 de Xala, un film de Sembène Ousmane, le père fondateur du cinéma africain. Ce long-métrage devait être votre « chemin de Damas » : en 1976, à une thèse d'Histoire, vous préférez un diplôme d'Etudes Supérieures en Cinéma - Option Réalisation à l'Ecole Supérieure d'Etude Cinématographique de Paris.
Dès lors, ce qui était une passion juvénile devient un choix de carrière. Rentré au pays en 1977, vous vous imposez comme le premier ambassadeur du cinéma burkinabé, en occupant les postes de conseiller technique chargé du cinéma au sein du Ministère de l'Information et de la Culture (1977-1981), de Directeur du Centre National du Cinéma (1977-1988), sans oublier vos activités parallèles d’enseignant à l'Institut africain d'éducation cinématographique de Ouagadougou (1977-1986). Soucieux de faire travailler ensemble tous les cinémas du sud, vous êtes aussi le membre actif d'un Comité d'experts pour l'instauration d'un centre interafricain de distribution et de production.
Dans vos différentes fonctions, vous êtes le pèlerin infatigable du cinéma africain, l’artisan d'un dialogue approfondi entre la cinéphilie du Sud et les cinémas européens. Vous êtes aussi un cinéaste, un réalisateur dont la trop rare filmographie est riche de chefs-d'oeuvre audacieux. On pense bien sûr à Wend Kuni (1985), votre premier long-métrage, César du Meilleur Film Francophone en France ou bien encore Buud Yam (1997), Etalon d'or de la 15ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
Vous êtes un poète de l'image, vous êtes aussi un conteur de talent, héritier d’une longue tradition que vous réenchantez par votre caméra. A propos de votre cinéma, vous dites : « J'ai, en tant que cinéaste, un héritage de conteur. Je prétends faire connaître le monde qui m'entoure et donc, en voyant les autres, me voir moi-même. La conscience d'être fait que nous avons besoin de nous raconter face aux autres. Car communiquer avec autrui, c'est aussi se donner des raisons de vivre. Pour cela, j'ai envie de témoigner, de participer à la construction d'une mémoire. J'ai conscience de la responsabilité que je prends en étant cinéaste. Je connais le sens et l'utilité sociale du métier que j'exerce. Un continent, un pays ne peuvent exister sans se projeter sur l'écran de la conscience ».
Les mots « Responsabilité », "mémoire", "héritage" font émerger votre univers culturel et votre éthique du cinéma. Loin des nombreux jurys dont vous avez été membre – à Cannes, Berlin, Venise, Rotterdam, Locarno ou ici au Fespaco – loin des cérémonies officielles, vous êtes avant tout un homme de terrain, un combattant de l’image. Vous mettez ces valeurs en pratique lorsque vous militez pour l'implantation d'un centre dédié à la mémoire et à la création cinématographique, comparable à celui mis en place par Rithy Panh au Cambodge. Responsabilité, mémoire, héritage : ce sont encore ces principes qui vous animent lorsque vous devenez premier représentant du cinéma subsaharien auprès de l'Unesco, de la CEDEAO, de l'Union Européenne afin de faciliter le financement des productions cinématographiques africaines.
Si l'Afrique vous doit beaucoup, cher Gaston Kaboré, la France vous doit tout autant. Nombreux sont les étudiants français, de la FEMIS mais aussi d’autres écoles, d’autres universités, qui ont découvert un autre langage cinématographique, une autre cinéphilie, lors des ateliers que vous animez régulièrement dans notre pays. Comment ne pas voir l'influence de ce que l’on appelle souvent votre « réalisme magique » chez certains de nos jeunes réalisateurs ?
Cet échange de savoir trouve son accomplissement au Burkina Faso avec l'institut IMAGINE, financé par la coopération française. Depuis 2003, cette école dispense des formations audiovisuelles et multimédia pointues qui sont une référence dans toute l'Afrique de l'Ouest et bien au-delà, puisque les meilleurs professionnels du cinéma français sont fréquemment invités pour des cours ou des master class. C’est dans cet esprit de partenariat que j’entends renforcer, en lien avec le Ministère des Affaires étrangères et européennes, les engagements du Fonds « Sud Cinéma » géré par le Centre national de la Cinématographie et de l’Image animée (CNC), notamment en faveur de l’aide pour le premier et le deuxième film. Je souhaite également que les financements soient orientés vers l’amélioration des circuits de diffusion et la création de salles dans les pays du Sud, francophones comme non francophones. Car il n’y a pas de cinéma sans lieux dédiés au cinéma, car il n’y a pas de culture et de mémoire sans lieux de convivialité et de partage.
Cher Gaston Kaboré, vous n'êtes pas un homme de cinéma africain, vous êtes une grande figure du cinéma mondial. Mêlant subtilement les « nappes de présent » et les « pointes de passé » pour citer le philosophe Gilles Deleuze, vous êtes un conteur raffiné. Vous êtes aussi un ardent promoteur de la diversité culturelle, celle qui nous préserve de l’uniformisation et du mainstream imposé à marche forcée, celle qui garantit la singularité de la création face à la banalité du divertissement sans cesse reproduit et recommencé. Ce sont là des enjeux essentiels dans le monde globalisé du XXIe siècle.
Aussi, cher Gaston Kaboré, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, nous vous remettons les insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur.