Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer le cinquantième anniversaire du Ministère de la Culture et de la Communication.
Oui, c’est bien pour cela, au fond, que nous sommes réunis ici aujourd’hui dans ce bel hôtel de la rue de Verneuil.
Car l’excellent rapport d’Hervé GAYMARD illustre, comme viennent de le faire à juste titre vos propos, toute la pertinence de l’une des lois qui ont le plus marqué ces cinquante ans d’action de l’Etat au service de la culture. Je veux parler, bien sûr, de la loi sur le prix unique du livre, grande loi de régulation, qui a eu de nombreuses vertus et à laquelle je suis très attaché :
Cette loi du 10 août 1981 porte et promeut la diversité éditoriale : elle a aidé à préserver un réseau de librairies engagées et dynamiques ;
Cette loi stimule l’innovation : elle a permis à des structures audacieuses de faire vivre leur production éditoriale et de trouver ses lecteurs ;
Cette loi favorise la concurrence au sein de la filière du livre : elle n’a pas empêché la coexistence de petites librairies, des grandes surfaces spécialisées et de la vente en ligne.
En ce sens, c’est, j’y insiste, une grande loi de régulation. La régulation dans le secteur des industries culturelles est une nécessité. Il s’agit d’une responsabilité fondamentale de l’Etat. L’exemple du livre le montre, la régulation est au service de la création, de l’innovation et du pluralisme artistique et culturel. L’absence de règles est tout aussi destructeur que l’absence de liberté, parce qu’il n’y a pas de liberté sans règles. Ce principe est valable pour l’Internet, dont la montée en puissance dans nos sociétés doit être accompagnée et civilisée par des règles, il l’est aussi, bien évidemment, pour le livre.
Etablir des règles du jeu est une première base, un socle qui ne nous interdit pas d’agir pour stimuler les secteurs stratégiques. De nombreux efforts ont été faits récemment et seront poursuivis pour compléter les effets de la loi sur le prix unique du livre :
la labellisation des libraires de référence : 406 librairies ont d’ores et déjà été labellisées, et une réflexion est en cours pour étendre le dispositif à d’autres librairies porteuses de la diversité éditoriale ;
Je vais également m’engager pour que la dérogation aux règles de délais de paiement fixées par la loi de modernisation de l’économie votée en juillet 2008, soit rapidement adoptée par le Parlement ; c’est, je le sais, une nécessité, eu égard aux délais et aux durées propres à la filière du livre.
C’est du bon sens, mais c’est aussi la marque de notre attachement au Livre et à la lecture. Ouvrir un livre, chacun le sait, ce n’est pas simplement « consommer » un bien culturel anodin. Ouvrir un livre, c’est toujours et ce sera encore longtemps, s’ouvrir à la durée, à la complexité, et à la profondeur. Le livre reste la porte d’entrée privilégiée aux mondes de la culture.
Cet attachement explique les tensions et les polémiques qui animent l’opinion dès que l’on touche au livre :
- J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet de Google, et je souhaite saisir l’occasion de vous redire et réaffirmer les principes qui me guideront dans cette affaire :
D’abord et avant tout, je souhaite dépassionner le débat. Je l’ai dit et écrit, aucune décision valable ne peut être prise dans un contexte d’emballement et d’agitation médiatique. Il faut d’abord clairement saisir les enjeux du débat.
Bien évidemment, ma position par rapport à Google, ne sera entachée d’aucun anti-américanisme. Ce n’est pas ma sensibilité, et mon regard ne sera pas troublé par un prisme idéologique.
Je distinguerai par conséquent deux questions :
1 – Il y a d’abord la question par Google de la numérisation des œuvres qui sont sous droit :
Sur ce point, la position du Gouvernement est très ferme : la France ne peut accepter que le droit d’auteur soit bafoué. C’est le sens de notre action auprès du juge américain, qui doit se prononcer sur le projet de règlement entre Google et les auteurs et éditeurs américains. C’est également ce que le Directeur du Livre et de la Lecture a exprimé, quand il a été auditionné par la Commission européenne à Bruxelles, le 7 septembre dernier.
Ce projet d’accord est difficilement acceptable pour nous à trois égards :
- il ne respecte pas le droit de la propriété intellectuelle,
- il n’est pas conforme au droit de la concurrence,
- il constitue une menace pour la diversité culturelle en attribuant à Google un monopole contractuel, notamment sur les œuvres dites « orphelines ».
2 – La deuxième question concerne les œuvres du domaine public :
Je me suis déjà exprimé sur le sujet à l’occasion de la polémique entre Google et la BnF. Je veux éviter toute précipitation et tout manichéisme.
D’une part, je connais les risques d’un partenariat avec Google :
- le renforcement d’une position dominante ;
- la question de la durabilité de la conservation et de l’archivage des fichiers numérisés ;
- la question de la propriété de ces fichiers ;
- l’incertitude de la stratégie et du devenir de cette société.
De l’autre, j’observe les partenariats qui sont passés avec la firme californienne par de grandes bibliothèques, en Europe et dans le monde.
=> Il est normal de s’interroger sur la pertinence d’un accord, au regard des objectifs d’intérêt général dont j’ai la responsabilité.
Je souhaite donc disposer de l’ensemble des éléments techniques, d’approfondir la réflexion pour prendre la décision que je jugerai la meilleure.
Je souhaite également que la question des œuvres dites « orphelines » fasse l’objet d’une action forte de la France auprès de l’Union Européenne.
Je veux aussi donner une nouvelle impulsion à Europeana, ce beau projet de bibliothèque numérique européenne, qui doit approfondir sa conception, en ajoutant la qualité éditoriale que ne propose pas Google.
La numérisation de notre patrimoine nécessite un effort public, j’en suis convaincu. C’est pour cette raison que mes équipes travaillent actuellement à un projet d’envergure que je proposerai au Président de la République dans le cadre du grand emprunt.
J’ai en effet identifié et défini, dès mon arrivée au ministère, la révolution numérique comme le grand défi et l’une des grandes priorités de mon action.
Cette problématique inclut évidemment aussi le sujet du livre numérique sur lequel nous devons nous tenir prêts.
C’est un défi et c’est une chance. Car la mutation numérique dans le domaine du livre ne s’est pas encore produite, et nous pouvons anticiper ce « basculement », qui peut se produire très rapidement.
Nous sommes donc à un tournant, dans un moment de veille et d’expectative, un peu comme celles que décrit Julien Gracq, avant les grands départs.
Je vais m’engager fortement pour qu’une offre légale et attractive de livre numérique puisse rapidement émerger.
C’est une nécessité pour éviter la dérive vers le piratage, que nous avons connu pour d’autres secteurs.
Cela requiert de réunir toutes les conditions techniques, juridiques et économiques nécessaires. Vous pouvez compter sur l’implication de mon ministère pour faire avancer ce sujet. Dans la suite des principales préconisations de l’excellent rapport de Bruno PATINO, remis à ma prédécesseure en juin 2008, je veillerai à ce que l’accompagnement public des éditeurs soit le plus efficace possible. Vous pouvez compter sur mon engagement.
En retour, il est nécessaire que l’ensemble des acteurs s’engagent auprès de moi, car l’émergence d’une offre légale et attractive de livres numériques ne dépend pas uniquement des pouvoirs publics et du ministère de la culture. Il faut que cette offre soit simple, interopérable, accessible économiquement.
A cet égard, le projet d’une plateforme unique d’accès à l’offre numérique en matière de livre devra réunir les éditeurs français. Il s’agit d’un projet stratégique qui permettra la création d’une offre alternative à Google. Là aussi, je veillerai particulièrement à l’accompagnement que mes services pourront apporter pour faire aboutir ce projet.
La mission que j’ai confiée à Patrick ZELNIK, Jacques TOUBON et Guillaume CERRUTTI permettra aussi de déterminer les premières conditions qui favoriseront ce développement.
Je voudrais également souligner que le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité disposer d’éclairages précis en commandant trois études importantes dont nous attendons les conclusions pour le premier trimestre 2010 :
L’une sur les usages et les publics du livre numérique, pilotée par la Direction du Livre, le Centre National du Livre et la BnF, et confiée à la société IPSOS ;
L’autre sur ses modèles économiques et notamment sur la question du prix du livre numérique, pilotée par le Département des Etudes de la Prospective et de la Statistique,
La troisième sur le piratage du livre sur Internet, pilotée par la Direction du Livre et l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques.
Les enseignements de ces études seront déterminants.
Ils nous permettront d’avancer ensemble pour que le Livre numérique prenne sa place, toute sa place et rien que sa place, dans l’offre de lecture de demain.
Pour qu’il constitue une porte d’entrée de plus dans les mondes de la culture, notamment pour les jeunes et les publics qui en sont a priori les plus éloignés.
Car le Livre est par excellence le levier qui a toujours su débloquer l’intimidation sociale et ouvrir d’un rapport privilégiée, j’ai coutume de dire « intime », à la culture.