Votre Majesté, c'est un réel plaisir pour nous de vous accueillir avec la
Reine Sylvia. Votre visite est l'occasion pour la France de vous témoigner
une nouvelle fois notre estime et notre amitié.
J'ai eu l'honneur et la joie de recevoir, en septembre de l'année dernière,
leurs Altesses Royales la Princesse Victoria et le Prince Daniel, à
l'occasion du bicentenaire de l'élection au trône de Suède de Jean-Baptiste
Bernadotte. Dans le cadre de ces célébrations, le musée national de
Stockholm avait initié une exposition inédite que le Palais de Compiègne
présente cet automne. Ce soir, vous nous faites l'immense honneur, avec
la Reine Sylvia, d'inaugurer cette manifestation, sur la terre de vos
ancêtres.
De l’amitié très ancienne entre la France et la Suède, on a coutume de dire
qu’elle a connu son apogée à l'époque des Lumières. En effet, ce fut le
temps où Voltaire traça de Charles XII un inoubliable portrait, celui où
l'illustre Linné adressait ses travaux à notre Académie des Sciences et
recueillait l'admiration de Jean-Jacques Rousseau, celui où le roi Gustave
III correspondait en français avec Beaumarchais. Nos liens ont été plus
resserrés encore par l'accession au trône de Jean-Baptiste Bernadotte,
devenu Charles XIV Jean de Suède.
Vous savez mieux que quiconque ce que le Maréchal d'Empire Bernadotte,
Prince de Ponte-Corvo, à la destinée hors du commun, a apporté à votre
pays. Les Suédois ont su pressentir en sa personnalité originale les
qualités d'un homme d'Etat, son humanité et son pragmatisme. Son règne
a établi les bases de la Suède moderne. Entièrement dévoué à son pays
d'adoption, c’est un nouvel élan politique et économique qu’il lui aura
donné, tout en rétablissant les liens traditionnellement forts avec la France
et en inaugurant le principe de neutralité.
S'il semble, d'après les chroniques, que Bernadotte ne soit jamais revenu
dans sa ville natale, la Maison Bernadotte a toujours conservé un
attachement profond à son pays d'origine et à sa patrie béarnaise. En
1872, la Reine Josefina, mère du Roi Charles XV et petite-fille de
Joséphine de Beauharnais, tint à visiter la maison où il naquit ; le Roi
Oscar II, en 1892, honora de sa visite la ville de son grand-père et y revint
à de nombreuses reprises ; le Roi Gustave VI, votre grand-père, érudit,
collectionneur, amateur d'art, manifesta toujours un vif intérêt pour la ville
de Pau et une extrême générosité en faveur du musée Bernadotte. Il
renforça fortement les relations d'amitié entre nos deux pays, comme vous
le faites vous-même, Votre Majesté, aujourd'hui. Nous connaissons les
liens affectifs qui vous unissent à la France, la terre de votre aïeul.
Dans cette exposition que nous inaugurons aujourd'hui, sous le Haut
Patronage de Votre Majesté et sous celui de Monsieur Nicolas SARKOZY,
Président de la République française, ce sont les destins croisés de trois
souverains qui sont retracés : l’empereur Napoléon Ier, le tsar Alexandre
Ier et le roi Charles XIV Jean de Suède. Tous trois furent en leur temps
des stratèges dans les relations étrangères, des réformateurs dans la
conduite de leur pays, des amateurs d’art dans la démonstration de leur
puissance. Ces souverains, issus du Siècle des Lumières et de ses idéaux,
ont littéralement remodelé l'Europe et en ont jeté les premiers fondements,
au gré de leurs rivalités, au fil des campagnes militaires et des traités qui
aboutirent au Congrès de Vienne de 1815.
Cette manifestation se devait de venir en France, et tout particulièrement
ici. Le Palais de Compiègne avait en effet accueilli la Reine Christine de
Suède en 1656 ; le Tsar Nicolas II y est également reçu en 1901. Le
hasard de l'histoire a fait aussi qu'au soir du 1er mai 1814, Alexandre, Tsar
de toutes les Russies et Bernadotte, alors prince héritier de Suède, se
retrouvent à Compiègne pour soutenir le retour des Bourbons, à l'occasion
d'un mémorable dîner en présence de Louis XVIII. L' épisode confère à
cette exposition dans ces lieux un attrait tout particulier.
L’aventure de la France impériale touche alors à sa fin. Alexandre, le Tsar
idéologue, le petit-fils de Catherine II, est un francophile convaincu. Porté
par un idéalisme enthousiaste, il espère réformer son vaste empire, vivant
dans l'illusion d'être un monarque « républicain ». Aspirant à la paix, il
devra malgré lui se confronter et s'opposer à la stratégie expansionniste de
Napoléon : après les lourdes défaites d'Austerlitz en 1805 et de Friedland
en 1807, il sera contraint de traiter à Tilsit, mais aura sa revanche en 1814
avec l'entrée de ses troupes à Paris. Accueilli en triomphateur dans la
capitale, il saura faire preuve d'une étonnante magnanimité à l'égard de
Napoléon et épargner Paris.
Quant à Bernadotte, devenu par la force de ses armes et de son
intelligence Maréchal de France, son éphémère carrière diplomatique le
mena à Vienne et de sa rencontre avec Beethoven reste la « Sonate à
Kreutzer » et la « Symphonie héroïque ». Mis à l'écart après Wagram par
Napoléon, qui lui reprochait de préserver ses régiments, il sera néanmoins
protégé par la présence de sa femme, Désirée Clary, qui avait été la
première fiancée de Napoléon et dont la soeur avait épousé Joseph, le
frère aîné du jeune Bonaparte. Malgré ses liens familiaux avec les
Bonaparte, Bernadotte entretenait avec l'Empereur français des rapports
complexes. Sa défiance vis-à-vis de Napoléon l'amena peu à peu à se
rapprocher de la Russie.
Dans une Europe dominée désormais par la Sainte-Alliance, il est frappant
de voir combien le style Empire français continua néanmoins à « régner »,
en quelque sorte, sur une bonne partie de l'Europe du Nord. L’âge des
batailles napoléoniennes était bien révolu ; le mobilier, les objets d’art,
pourtant, continuait dans toute l’Europe a porter une mémoire stylistique
qui donnera naissance aux styles Empire russe et suédois. Le modèle et le
savoir-faire français, encouragés par les architectes-décorateurs
napoléoniens, les célèbres Percier et Fontaine, resteront prédominants
dans une tradition francophile ; ils susciteront également des créations
totalement originales, tels les vases en porphyre, symboles du luxe et du
prestige de ces cours d'Europe du Nord. Les courants esthétiques trament
ainsi des circulations souterraines qui échappent bien souvent au temps
court des campagnes militaires et à l’écume du politique.
En Suède, c’est Bernadotte qui encouragea la diffusion du « style Empire »
dans les arts décoratifs suédois, et les carrières d'Älvdalen produisirent ces
luxueux objets destinés à ses résidences et aux cadeaux diplomatiques. À
Saint-Pétersbourg, l’acquisition par Alexandre Ier de la collection de
Joséphine, à la mort de cette dernière en 1814, sonnait comme un
hommage à l’Impératrice douairière, la divorcée de l’Elysée et de la
Malmaison, avec un indéniable parfum de revanche sur Napoléon Ier.
La présentation de plusieurs tableaux de cet ensemble est d’ailleurs une
très belle invitation à prolonger la visite au Château de Malmaison, qui
accueille le second volet de l'exposition consacré à Joséphine, la Suède et
la Russie. On y revisite les descendances princières de Joséphine de
Beauharnais avec la dynastie Romanov et la famille régnante de Suède, à
travers les souvenirs de familles, les oeuvres des collections de
l’Impératrice, telles que l’exceptionnel service à dessert créé par la
manufacture Dihl et Guerhard pour Joséphine et son fils Eugène, dont
l'extraordinaire Surtout sera vu pour la première fois en France.
Ces magnifiques témoignages de ces styles Empire russes et suédois, on
les doit aux prêts consentis par le musée de l’Ermitage de Saint-
Pétersbourg, à ceux des collections nationales suédoises et notamment
aux prêts exceptionnels des collections royales de Votre Majesté.
Initialement conçue par le musée national de Stockholm qui l’a présentée
avec succès à l’automne 2010, cette exposition réunit, au Palais de
Compiègne, près de cent cinquante oeuvres remarquables. Je tiens à vous
exprimer toute notre gratitude pour avoir accepté de nous donner à voir
ces pièces incomparables.
« Destins souverains », c’est aussi une exposition qui a offert à quelquesuns
des grands musées européens une très belle occasion de travailler
ensemble sur un projet commun. Je tiens à adresser mes remerciements à
Solfrid SÖDERLIND, directrice générale du musée national de Stockholm,
et toutes mes félicitations à Magnus OLAUSSON, directeur des collections
du musée et de la galerie nationale suédoise des Portraits, qui a partagé le
commissariat de l’exposition. Mes remerciements vont également au
Professeur Mikhail PIOTROVSKY, directeur général du musée de
l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, ainsi qu'au Professeur George
VILINBAKKOV, directeur chargé des collections.
Du côté français, je suis très heureux ce soir d'exprimer ma vive
reconnaissance à Emmanuel STARCKY, directeur des musées nationaux
et domaine de Compiègne et Blérancourt, commissaire de l’exposition,
ainsi qu'à l’ensemble de ses collaborateurs pour le remarquable travail
réalisé, en collaboration étroite avec les équipes de la RMN-Grand Palais
qui en ont assuré, cher Jean-Paul CLUZEL, la logistique avec efficacité. Je
salue enfin l’exigence et l’implication sans faille d’Hélène MEYER,
conservateur au musée national du palais de Compiègne, dans la conduite
de cette belle entreprise. Tous ont apporté à cette oeuvre commune le
concours inappréciable de leur savoir, de leur goût et de leurs
compétences. Leur travail a permis en un temps record de transférer et
d'adapter pour la France cette exposition.
Je voudrais également exprimer ma gratitude à l’ensemble des prêteurs,
publics et privés, français et étrangers, dont la généreuse contribution a
été indispensable à l’aboutissement de ce projet. Je pense notamment aux
musées de Copenhague et de Hambourg, ainsi qu’au musée du Louvre,
au musée national du château de Versailles, au musée de l’Armée ou à la
Bibliothèque nationale de France.
Le soutien des plus hautes autorités suédoises russes et françaises a
permis que cette exposition puisse se tenir en France, avec la participation
de mon ministère, avec le concours également du Conseil général de
l'Oise. Elle aura par ailleurs été grandement facilitée par des mécènes
français et suédois : je remercie la société Moët Hennessy, la compagnie
suédoise Vattenfall et la compagnie aérienne Scandinavian Airlines, dont
les présidents, Monsieur NAVARRE, Monsieur de MANNEVILLE et
Monsieur BRATBERG sont parmi nous.
Je ne peux que souhaiter à ces deux belles expositions tout le succès
qu’elles méritent. Elles déploient magnifiquement le tableau d’une Europe
de guerre et de paix dont Tolstoï nous a plus tard admirablement transmis
le souffle épique, et sur laquelle ces trois monarques auront exercé leur
empreinte. Elles portent la trace, aussi, d’une sidération collective face à
une histoire qui s’emballe, celle qui faisait dire à Goethe, ce grand
admirateur de Napoléon, dans une lettre à son ami Charles-Frédéric
Reinhard au moment de l'incendie de Moscou : « Et maintenant on ne sait
pas en vérité si nos facultés d'étonnement seront à la mesure de ce que
ces grands événements nous imposent ».
Je vous remercie.