Il s’agit, tous les ans, d’une journée de réflexion pour les acteurs de la filière. La journée annuelle de l’Observatoire de l’économie de l’architecture se déroule mardi 14 novembre à l’auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Ce temps d’échange permet la restitution des travaux engagés durant l’année par les différentes commissions thématiques.
Outre ces différents travaux, la journée prendra un virage plus testimoniale avec un point sur le plan « France Relance » et son volet dédié à la stratégie d’accélération de la filière des industries culturelles et créatives qui représente un milliard d’euros d’effort de l’État. Parmi les dispositifs de soutien ouverts aux architectes, l’appel à projets « Numérisation du patrimoine et de l’architecture » a permis d’accompagner des initiatives qui privilégient l’usage du numérique, notamment soit à des fins de préservation, soit pour proposer de nouvelles offres culturelles innovantes pour un plus large public.
En juin dernier, Philippe Rizzotti a été l’un des lauréats avec son Atlas d'architecture bas-carbone, plateforme numérique menée avec la Chaire de Construction Durable de l’ETH Zürich, le bureau d’études Arcora du Groupe Ingerop et grâce au soutien financier de l’entreprise Holcim Lafarge, qui propose un fonds documentaire constitué de maquettes numériques d’une trentaine de réalisations emblématiques des années 1920 à 2020, dont l'analyse a permis de révéler la faible empreinte carbone.
Votre Atlas d'architecture bas-carbone s'inscrit dans la continuité du projet de recherche « L’empreinte d’un habitat – Construire léger et décarboné » en 2021 exposé au Pavillon de l’Arsenal. En quoi consiste-t-il ?
Philippe Rizzotti : Il s’agit d’un projet né d’un exercice pédagogique que j’ai commencé à faire avec des étudiants de master dans les écoles d’architecture de Strasbourg, puis Nancy. Les étudiants produisaient des maquettes numériques de petits projets de Jean Prouvé ou Charlotte Perriand par exemple, des objets assez faciles à comprendre pour leur permettre de faire le lien entre le vocabulaire de la construction et la géométrie. Grâce à cet exercice, ils produisaient des catalogues de pièces qui leur servaient ensuite à faire d’autres projets. D’année en année, nous avons commencé à collectionner ces pièces et à accumuler de plus en plus d'informations sur les projets analysés.
La recherche présentée plus tard au Pavillon de l'Arsenal a porté sur trente-trois projets, sélectionnés avec Alexandre Labasse (directeur général du Pavillon de l'Arsenal ndlr) et son équipe, datant de 1920 à 2020, réalisés dans les pays industrialisés et destinés à trouver des réponses, chacune pertinente en fonction de leur époque, à la construction de logements économiques et rapides à bâtir. Aujourd’hui, la norme RE 2020 – qui a été mise en place en janvier 2022 - impose pour la première fois en France de limiter l'empreinte carbone de la construction. En calculant l’empreinte carbone moyenne de tous les projets présentés dans l'exposition, on se rend compte qu’elle était bien en-deçà des objectifs de construction bas-carbone actuels. Il y a donc bien un lien entre recherche d’économie de moyens et empreinte bas carbone. Comme il n’y avait pas de données disponibles sur les exemples du passé, notre objectif a donc été de créer un atlas numérique.
Cet Atlas est-il donc la version numérique de ce projet de recherche ?
P.R. : Tout à fait. Nous avons passé des milliers d’heures à créer ces maquettes numériques et nous avions accès à une information absolument incroyable en arrivant à manipuler, classer, tourner autour de ces travaux. Même s’il était très joli de les avoir dans un livre ou sur les murs d’une salle d’exposition, on s’est dit qu’il était finalement dommage de ne partager qu’une version inerte de cette matière alors qu’elle pourrait être le point de départ d’une nouvelle manière d’avoir accès et de partager nos connaissances de l’architecture…
Pour ce travail, nous nous sommes inspirés de l’histoire des traités d’architecture et des nombreux atlas papier réalisés plutôt dans les écoles anglo-saxonnes ou germanophones. En tant qu’enseignant, je me rends compte que les étudiants ne vont pas beaucoup à la bibliothèque, l’accès aux livres est limité et c’est pour cela que l’on s’est servi de cette première collection pour faire une version numérique d’un atlas d’architecture.
Que pourrons-nous trouver sur cet Atlas qui se présentera sous forme de plateforme numérique ?
P.R. : L’idée est d’avoir accès aux connaissances des bâtiments sous trois formes différentes, à savoir en termes d’objet architectural, de nature des systèmes constructifs et de diversité des composants ou éléments. On se sert de ce que l’on a capitalisé dans les trente-trois premiers projets comme d’une matière première pour constituer un outil avec des indicateurs qui permettent de comparer plusieurs solutions et voir si elles peuvent être intéressantes dans le cadre d’un projet que quelqu’un est en train de développer. La deuxième phase consistera à rendre accessible cet outil en France dans un premier temps puis si possible à l'échelle européenne et à l’international.
L’objectif de cet Atlas est d’intégrer de plus en plus de bâtiments et d’être nourri par la communauté scientifique, les enseignants et étudiants en école d’architecture pour vérifier la pertinence et la performance de notre protocole. Depuis deux ans, nous avons largement diversifié les études de cas sur des bâtiments contemporains et historiques et des familles de bâtiments à valeur patrimoniale comme par exemple un bâtiment parisien tout en bois et pierre de taille du XVIIIe siècle ou le Familistère de Guise (dans l’Aisne ndlr). On s’oriente même, dans les prochains programmes de financement, à proposer de procéder par région pour prendre en compte les spécificités locales sur la base de l'incroyable relevé appelé L'architecture rurale française réalisé dans les années 1940 par le Musée national des Arts et Tradition populaires. L’objectif est que d’ici un an et demi, on soit capable d’intégrer plus de projets dans la base de données et que le réseau de connaissance et de compétences se diffuse.
Cette plateforme s’adresse donc plutôt à des acteurs du monde de l’architecture…
P.R. : Elle est librement accessible à tous mais sera principalement dédiée aux initiés car on se rend compte que ce type d’outil n’existait pas pour les vingt mille étudiants en ENSA. Il nous semble important d’accélérer le transfert de connaissances et de les partager avec ceux qui vont devoir s’en emparer pour construire les projets de demain. Ce qui est très réconfortant, c’est que le groupe qui teste le protocole le comprend très bien, le prend en main très vite et les données produites sont très correctes.
C’est un projet qui sera aussi éditorial, guidé par les décisions d’un comité scientifique. Tout le monde ne pourra pas y intégrer son projet selon sa volonté. La communauté scientifique pourra guider la communauté étudiante pour les aider à trouver les types et les modèles les plus adaptés aux enjeux contemporains. Néanmoins, la méthodologie sera libre d’accès pour que chacun puisse l’adapter à son projet comme il l’entend.
Quel rôle peut jouer cet Atlas, et plus globalement l’ensemble de la filière des architectes, dans la prise en compte de ces enjeux de construction bas-carbone ?
P.R. : La marge de progression est énorme et les évaluations d'empreinte carbone semblent opaques pour beaucoup. Plus il y aura de personnes en mesure de faire les calculs de ces estimations carbone, plus les résultats seront probants et vérifiés. Il me semble important que les évaluations de l'empreinte de la construction soient accessibles aux architectes qui portent les responsabilités légale et sociale de l'acte de construire.
Au Japon, le gouvernement s’est appuyé sur les architectes pour gérer la maîtrise des ressources après la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire qu’ils étaient les garants du respect des surfaces et de l’optimisation de la quantité de matière du fait des pertes et destructions dues au conflit. C’est ce qui a généré d’une part une grande qualité architecturale d’après-guerre et d’autre part le développement, dans toutes les catégories sociales, d’une culture qui consiste à faire appel aux architectes encore aujourd’hui. Si on fait confiance ici de la même manière aux architectes pour être les garants du respect de l’empreinte carbone de façon objective et effective, alors les architectes pourraient être les garants des solutions apportées pour régler des problèmes d’intérêt général.
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