Des étudiants, vêtus de combinaisons blanches, sont alignés selon un protocole mystérieux. Certains portent un grand cœur rouge vif à bout de bras, d’autres brandissent une perruque blonde peroxydée. Cette étrange cérémonie, qui connaît son point d’orgue avec des chants entonnés par les participants, a un nom : Nothing like the present (Rien comme le présent), la création présentée à partir du 11 avril par l’atelier de Nathalie Talec, à l’occasion du rendez-vous artistique Mondes nouveaux x Beaux-Arts de Paris.
Cette performance est le fruit d’un long travail, d’un processus complexe, qui aura débuté dans la fabrication d’objets, avant de terminer avec la voix humaine. Elle porte aussi la marque de fabrique de Nathalie Talec, professeur aux Beaux-Arts de Paris et artiste à la pratique protéiforme, qui a mis en avant les croisements et hybridations en tout genre dont elle a le secret. Elle revient sur la genèse du projet qu’elle a conçu avec les étudiants de son atelier autour du travail de Mathilde Bretillot et de Jeanne Vicérial pour « Mondes nouveaux x Beaux-Arts de Paris ».
De quelle façon le projet s’est-il intégré à l’activité de votre atelier ?
Mon atelier n’est ni un atelier de sculpture ou de peinture, mais plutôt un atelier de tout : il y a des peintres, des photographes, des vidéastes des musiciens, des étudiants qui travaillent le vitrail, d’autres le textile, d’autres encore l’écriture… C’est un ensemble de pratiques qui se croisent en permanence. Pour le projet « « Mondes nouveaux x Beaux-Arts de Paris », j’avais pris le parti de ne pas inviter d’artiste. Jeanne Vicérial est un peu entre-deux, elle vient d’exposer à la galerie Templon, mais leurs pratiques, à elle et à Laure Bretillot, sont de l’ordre du design. Dans le cadre du projet, je trouvais intéressant de faire entrer dans l’atelier une énergie et des expériences que les étudiants ne connaissaient pas. En sollicitant des domaines qui ne sont ni les miens, ni les leurs, cela pouvait produire des croisements et leur permettre d’inventer des formes et des raisonnements. Un designer produit, édite, il travaille avec les idées de nécessité et de pérennité, toutes choses qui ne sont pas forcément présentes dans les pratiques artistiques même si naturellement on aspire à cette pérennité. Enfin, j’aime que les projets conduits au sein de l’atelier soient ambitieux et inédits. Celui-ci l’est, ô combien. Et il y a ce lieu un peu en dehors de tout que nous avons pu choisir : la Chapelle des Beaux-Arts.
Au départ, votre atelier a commencé à travailler sur deux projets distincts. Comment cela s’est-il transformé en un seul et même projet ?
Le projet avec Mathilde Bretillot était de donner une pulsation, un souffle, d’habiter de manière vivante cet espace de la chapelle. On avait très peu de temps, il fallait trouver quelque chose de rapidement réalisable. Nous avons fait des tests de fredonnement, de chuchotement mais ça ne marchait pas trop. J’ai alors eu l’idée que chacun se place à un endroit différent. Soudain, Mathilde et moi étions très émues. Puis Jeanne Vicérial est venue nous retrouver. Parmi les objets que les étudiants sont en train de fabriquer, il y a des machines, des extensions de corps, des cœurs, des cerveaux, des entrailles… Tous les étudiants vont être habillés de la même manière avec une perruque identique. Cela va faire une sorte de ballet. Il y aura un glissement du fond vers le devant, le public sera amené à tourner pour être en grande proximité avec chaque voix.
L’espace raconte déjà beaucoup de lui-même…
On ne peut pas se mesurer à un tel lieu, c’est évident, on peut juste donner des indices. La chapelle aujourd’hui n’est plus utilisée dans sa fonction initiale mais il n’en reste pas moins qu’on aperçoit le Jugement dernier au fond. Toutes les langues seront représentées, donc, de fait, toutes les religions le seront aussi. La chapelle était le lieu idéal pour faire quelque chose de simple mais qui produise de la beauté, de l’émotion. Le projet, qui plus est, donne une très belle image du groupe : il est formidable, c’est un très beau groupe qui arrive à travailler ensemble, à échanger. C’est un projet généreux, chaleureux, qui embarque. On n’a pas besoin d’être bon pour chanter, on n’a pas besoin de bien dessiner pour faire des dessins géniaux.
Retrouvez ici l'intégralité de la programmation du rendez-vous artistique Mondes nouveaux x Beaux-Arts de Paris
Dans les coulisses de l’atelier de Nathalie Talec
Ce jour-là, dans l’atelier de Nathalie Talec, dont la pratique protéiforme depuis les années 80 fait écho à la diversité des motifs explorés – expérimentation scientifique, représentation scénique, exposition de soi – les étudiants apprennent à « placer leur voix ». Tous en effet, non contents d’avoir créé des objets, chanteront le 11 avril dans la Chapelle des Beaux-arts, lors de la présentation de Nothing like the present, le projet qu’ils préparent pour le rendez-vous artistique « Mondes nouveaux x Beaux-Arts de Paris » aux côtés de Mathilde Bretillot et Jeanne Vicérial, lauréates du programme. Une première bien dans la manière d’un atelier que l’artiste plasticienne a résolument placé sous le signe de l’hybridation et qui est l’ultime facette d’un projet qui n’a cessé de se métamorphoser.
Après avoir imaginé deux projets distincts, autour des créations pour Mondes nouveaux de Mathilde Bretillot, « designer culinaire, scénographe » et de Jeanne Vicérial, « artiste textile », Nathalie Talec et ses étudiants s'orientent vers un unique projet : « L’idée initiale était de travailler sur des parties du corps ou des organes et de fabriquer des objets, résume Romane Charlot, étudiante de l’atelier, puis nous nous sommes tournés vers une autre façon d'appréhender ce thème : le chant ». « Toutes les langues seront représentées, se réjouit Nathalie Talec : Amira (Al-Sharif) chante en yéménite, Ragib (Shak) en bengali, Mayssa (Abdelaziz) en arabe, Salomé (Daheron) en anglais, Yina (Zhen) en chinois, Lucas (Largy) en anglais, Violette (Trévisiol) en italien, Laure (Lefebvre) en russe… C’est une sorte de chœur qui mélange toutes les sonorités ».
Un volet chanté que tous plébiscitent comme, avant lui, celui de la réalisation des objets. « Le projet m’a permis de faire des expérimentations avec une matière que je connaissais, mais dont je ne savais pas trop quoi faire », assure Laure Lefebvre. « On parlait beaucoup d’épuisement de la matière, avec toute une réflexion autour de l’expérimentation et de l’échantillon, je n’avais jamais travaillé comme cela », dit Mayssa Abdelaziz, « Avant d’arriver aux Beaux-Arts, j’étais tisseuse chez Lesage. Retrouver cette matière avec une nouvelle approche, plus dans le ressenti et le sensible, m’a beaucoup plu », souligne Missia Casanova. Pour l’heure, l’objectif est bien de gagner de l’assurance en vue de la prestation dans la Chapelle. Lucas Largy, chanteur et musicien en dehors de sa scolarité aux Beaux-Arts, se veut rassurant « Nous ne sommes pas tous chanteurs, mais ce n’est pas grave, nous sommes à des endroits différents de la chapelle, et cela crée quelque chose de très intéressant avec les différentes voix ».
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