5.La formation
Artistes-artisans
La peinture est aussi cosa non mentale , disait Léonard de Vinci. La formation des artistes s’avère donc fondamentale, surtout à une époque où il faut apprendre à broyer les pigments, apprêter les supports... Avec la création de l'Académie royale de peinture et de sculpture, au dix-septième siècle, les artistes cherchent à se démarquer des artisans. Il n’en demeure pas moins une part d’artisanat importante dans le métier, laquelle s’apprend dans un atelier. Comme dans la plupart des anciennes corporations, l’atelier a souvent une forte dimension familiale et plusieurs générations y travaillent. Ainsi, en est-il de la famille Bouzonnet-Stella. Filles d’un orfèvre lyonnais, et nièces du peintre Jacques Stella (1596-1657), Claudine (1637-1697) et Antoinette (1641-1676) seront de remarquables graveuses. Artemisia Gentileschi (1593-v. 1652), Louyse Moillon, Marianne Loir ou Elisabetta Sirani sont filles d’artistes. Le cas de Judith Leyster, dont le père était brasseur, demeure exceptionnel. Un siècle plus tard, Jeanne-Françoise (1735-1795) et Marie-Jeanne (1736-1786) Ozanne gravent et travaillent avec leurs frères, Nicolas-Marie (1728-1811) et Pierre (1737-1813) et avec l’aquafortiste Yves-Marie Le Gouaz (1742-1816), époux de Marie-Jeanne. Si cette tradition se perd progressivement, le dix-neuvième siècle en offre encore quelques exemples, telle Henriette Gudin (1825-1890) et, plus emblématiquement, Rosa Bonheur ou Virginie Demont-Breton.
Ateliers privés
Certains artistes acceptent de prendre dans leur atelier des jeunes filles. Ainsi, Joseph Vernet (1714-1789) sera-t-il le maître d’Anne Vallayer-Coster et d’Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun. Absence de discrimination ou intérêt matériel ? Peut-être les deux. Vernet est un homme d’affaire avisé, submergé de commandes et devant nourrir une famille nombreuse. Ces élèves paient pour leur formation et viennent en aide au maître pour la préparation de peintures. Un siècle plus tard, ce sont sans doute les mêmes considérations qui pousseront Jean-Jacques Henner (1829-1905), Alfred Stevens (1823-1906) ou Carolus-Duran (1837-1917) à ouvrir des ateliers pour femmes. Carolus-Duran n’ignore pas que la formation d’élèves, bien souvent étrangères, et d’un milieu aisé, lui ouvre des commandes potentielles. Charles Chaplin (1825-1891) aura le mérite d’avoir formé Eva Gonzalès et Mary Cassatt. L’académie privée d’Auguste-Joseph Delécluse (1855-1928), rue Notre-Dame-des-Champs, est particulièrement prisée par les artistes britanniques. A Ecouen, les ateliers de Pierre-Edouard Frère (1819-1886) et Paul-Constant Soyer (1823-1903), séduisent les Américains, dont M. Cassatt. La peintre Américaine Cornelia W. Conant (1840/1850- ?) publiera dans le Harper’s Monthly de février 1885, An Art Student in Ecouen.
Écoles
Il existe des écoles, mais qui sont plus orientées vers l’artisanat que vers l’enseignement des beaux-arts. En octobre 1879, un article de la Gazette des femmes annonce que « les écoles de dessin de Paris comptent actuellement 6.370 femmes ». L’article ajoute, ironiquement : « Que de porcelaines décorées il va nous falloir casser si nous ne voulons pas voir toutes ces abeilles chômer ». Si les élèves qui se destinent à un métier d'ouvrière sont nombreuses, un nombre croissant de femmes ambitionne une formation d’artiste. Hélène Bertaux constate que, faute d’une formation, beaucoup de femmes ont une production médiocre (L’Œuvre d’Art, 20 avril 1893). Aussi va-t-elle lutter pour leur permettre de recevoir un enseignement équivalent à celui des hommes.
Monopole esthétique
En acceptant de corriger les travaux des élèves des académies Julian ou Trélat de Vigny, Jean-Léon Gérôme (1824-1904), Léon Bonnat.
(1833-1922) et William Bouguereau (1825-1905) ajoutent aux avantages financiers, leur volonté de maintenir un monopole esthétique. Car, dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, l’Académie refuse d’ouvrir des ateliers pour femmes, sous des prétextes de bonne moralité. En réalité, dans un contexte de crise économique, les Académiciens redoutent l’intrusion de toute
forme de concurrence : impressionnisme, femmes artistes… La situation est la même dans les autres pays d’Europe. En revanche, aux Etats-Unis la Pennsylvania Academy of Fine Arts, à Philadelphie, est ouverte aux femmes. Parmi les cent étudiants qui fréquentent la classe de dessin d’après l’antique, entre 1859 et 1861, on dénombre vingt-et-une femmes. Mary Cassatt et Cecilia Beaux y étudieront.
Académies
Copier au Louvre est essentiel pour la formation d’un artiste, mais cela ne suffit pas. Rodolphe Julian (1839-1907), Madame Trélat de Vigny ou Filippo Colarossi (qui reprend l’académie Suisse, laquelle deviendra par la suite la Grande Chaumière) n’ont pas les mêmes réserves que les Académiciens. Dans leurs académies, il est possible d’étudier d’après le modèle vivant. Les conditions ne sont toutefois pas les mêmes que dans celles des académies pour hommes. Chez Julian, l’inscription est deux fois plus chère pour les femmes que pour les hommes, et les travaux des femmes sont corrigés une seule fois par semaine et par un seul maître, contre deux fois par semaine et par trois professeurs académiciens pour les hommes. Pour ces diverses raisons, Virginie Demont-Breton, qui n’a pourtant pas été confrontée à de telles difficultés, va reprendre le combat d’Hélène Bertaux, afin d’obtenir un enseignement similaire pour tous, et ouvert aux femmes de tous les milieux sociaux. En 1897, grâce aux interventions d'Hélène Bertaux et à l’opiniâtreté de Virginie Demont-Breton, l’Académie ouvre enfin ses ateliers aux femmes. A cette date, il est trop tard. L’académisme est largement battu en brèche. Le prix de Rome ne pourra être attribué à une femme qu’à partir de 1903. Encore faudra-t-il attendre quelques années avant de voir une femme l’obtenir. La première bénéficiaire en sera la sculptrice Lucienne Heuvelmans qui obtiendra le 2e grand prix en 1909 et le 1er grand prix en 1911. Anna Quinquaud (1890-1984), également sculptrice, obtiendra un 2e grand prix en 1924. De même que Camille-Suzanne-Hélène Boulay-Hue, toujours sculptrice, en 1931. Chez les peintres, Odette-Marie Pauvert obtient le 1er grand prix en 1925, Éliane Beaupuy (1921-2012) en 1947 et Françoise Boudet (1925-2012) en 1950.
Enseignantes
La plupart des femmes, notamment étrangères, dont le talent s’épanouit à partir des années 1880-1890, seront fières de leur formation académique, si difficilement acquise, même si elles se montrent attirées par
l’impressionnisme. Marie Bashkirtseff qui avait parfaitement mesuré la valeur de l’enseignement, notait dans son journal : "Si jamais je suis riche, je fonderai une école pour les femmes". Enseigner est un enjeu essentiel, tant au plan esthétique, que parce qu’il s’agit d’une source de revenus. Sous l’Ancien régime, aucune des quinze académiciennes ne sera nommée professeure. Au dix-neuvième siècle, les femmes ne pouvant pas accéder à l’Académie, le sujet ne se pose même pas. Au début du vingtième siècle, beaucoup de femmes, qui ont étudiés dans des ateliers ou des académies parisiennes, vont devenir professeures : la polonaise Olga Boznanska à l’académie de la Grande Chaumière, les Finlandaises Elin Kleopatra Danielson-Gambogi (1861-1919), Amélie Lundahl (1850-1914) et Helene Schjerfbeck (1862-1946) à la Société des beaux-arts de Finlande, et Beda Stjernschantz (1867-1910) à New York, les Américaines Cecilia Beaux à la Pennsylvania Academy of Fine Arts, Lydia Field Emmet (1866-1952) à la Shinnecock Summer School of Art de Long Island, Helen Maria Turner (1858-1958) à l’école d’Art de la New York Young Women's Christian Association, Caroline Lord (1860-1927), une amie d’Elisabeth Nourse, à l’Art Academy de Cincinnati, la Canadienne Elizabeth Forbes-Armstrong (1859-1912) à la Newlyn Art School, aux Pays-de-Galle, la Sud-Africaine Florence Ada Fuller (1867-1946) à la New South Wales Society of Women Painters, de Sidney… L’Américaine Ellen Day Hale (1855-1940) et l’Australienne Jane Sutherland (1853-1928) enseigneront à titre privé dans leurs pays d’origines.
Laurent Manoeuvre
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