« Pour le projet « (se) construire ensemble », mon nom est le seul à apparaître sur la plateforme de Création en cours, mais en réalité nous l’avons présenté sous une bannière commune, celle du collectif Aman Iwan », précise immédiatement Feda Wardak, jeune architecte diplômé en 2015 de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville. Une façon de ne pas se distinguer de ses camarades, et de placer d’emblée le collectif, dont la philosophie inspire le projet développé à l’école Roger Semat de Saint-Denis, au centre de la discussion.
Faire, s’exprimer, et se souvenir, c'est tout le sens du projet « (se) construire ensemble »
Au départ, donc, de jeunes étudiants en architecture dans une école parisienne qui, à l’heure de décider de leur projet de fin d’études, décident de partir à l’étranger. Pour Feda Wardak, cet ailleurs est tout trouvé : arrivé en France à l’âge de trois ans, il n’est jamais retourné en Afghanistan où il est né : « J’avais développé tout un imaginaire autour du pays. Entre 2012 et 2015, année de mon diplôme, j’y suis allé à plusieurs reprises afin de conjuguer une approche théorique et pratique sur les problématiques afghanes. Cela a été un long travail, avec beaucoup d’entretiens, de prospection, de questions autour des territoires, et la conscience très nette qu’en raison de ma culture occidentale, je pouvais être détaché de certaines réalités locales et que, par conséquent, je devais redoubler d’écoute ». Sa démarche fait alors écho à celle de deux de ses camarades, qui, comme lui, en raison de leurs attaches personnelles, partent au Chili et en Algérie. Au retour, tous les trois se retrouvent, travaillent ensemble sur leurs projets respectifs et partagent très vite cette conviction qu’il s’agit peut-être là du début d’une aventure collective.
« Nous nous sommes fédérés autour d’un objet théorique, une revue qui ne présentait pas des objets architecturaux, mais avait pour but de soulever les enjeux et les problématiques des territoires que nous connaissions », explique Feda Wardak qui, joignant le geste à la parole, ouvre la revue, de très belle facture, et montre les dix mots choisis pour caractériser les territoires – le Bénin, le Brésil et le Burundi complètent ceux du départ – lesquels ont donné lieu à des entretiens avec des interlocuteurs d’horizons différents, de Yona Friedman, un architecte internationalement reconnu, à Gaël Faye, un jeune auteur et chanteur, dont le premier roman, Petit Pays, a été récemment très remarqué. « Nous voyons l’architecture comme une discipline qui nous permet de nous lier à d’autres domaines, aux sciences humaines, à l’art. Ce n’est pas uniquement le bâti qui va nous intéresser, mais ce que va générer, par exemple, la construction d’un puits sur une communauté de manière économique, sociale, politique. Aman Iwan est un collectif pluridisciplinaire s’intéressant aux problématiques de population et de territoires. Ceux-ci ont souvent la particularité d’être moins bien pourvus en équipements publics ».
Le rapprochement avec le projet Création en cours se précise. Une fois la revue lancée – un deuxième opus devrait paraître au printemps sur le thème de l’eau – l’objectif pour le collectif était en effet d’aller sur le terrain. Chose faite depuis l’automne avec la construction d’une aire de jeux pour enfants au camp de réfugiés de La Linière à Grande Synthe. Et maintenant à travers le projet – dont le nom «(se) construire ensemble » est emprunté au thème du premier numéro de la revue – proposé à l’école Roger Semat de Saint-Denis dans le cadre du dispositif Création en cours. Un lieu d’intervention dont les membres du collectif, qui pour la plupart connaissent très bien la Seine-Saint-Denis, se félicitent.
Si les ateliers de sensibilisation à l’architecture occupent une large place, nous voulons que ces enfants d’origines diverses – un trait que nous partageons puisque beaucoup parmi les membres du collectif sont comme moi issus des vagues migratoires – puissent découvrir d’autres moyens d’expression
Ce projet, qui débute en mars et se poursuivra jusqu’au mois de juin, s’adresse à trois classes : CM1, CM2 mais aussi une classe de 6ème en partenariat avec le collège le plus proche. Il prévoit dans un premier temps l’installation d’une structure dans la cour de l’école. « Elle comporte huit modules en forme de trapèze que l’on peut articuler dans tous les sens et qui servent de support d’assise, de création, ou d’enseignements, détaille Feda Wardak. Nous attendons aujourd’hui le feu vert des architectes de la ville pour pouvoir la mettre en place. Ce serait une structure en bois destinée à accueillir toutes les activités à venir, et en particulier les ateliers que nous souhaitons organiser. Ceux-ci seront séquencés en trois temps : faire, s’exprimer, et se souvenir. Cet objet offre aussi un autre cadre à l’enseignement. Nous avons notamment dit aux enfants que, dans certains pays d’Afrique, la classe se faisait sous un arbre à l’ombre au moyen d’un tableau posé sur le tronc ».
Autre particularité du projet, une large utilisation des ressources de la revue, et notamment une carte du monde triangulée, très politique, « anti-coloniale », précise Feda Wardak, qui décale la vision et que les membres du collectif ont déjà soumis aux enfants avant de l’installer en grand format sur la structure : « Nous leur avons montré dès la première rencontre et notre crainte qu’ils ne reconnaissent pas les continents, les pays, s’est immédiatement dissipée. Ils l’ont comprise d’emblée. Un élève a tout de suite réussi à placer l’Algérie, un autre l’Amérique du sud. Même chose pour les langues, nous avons parlé du Yoruba, et immédiatement, une élève a dit qu’elle le connaissait sans pouvoir dire toutefois de quel pays elle était originaire, c’était très intriguant ».
Dans cette aventure qui commence à Saint-Denis, le collectif va également entraîner beaucoup de ceux qui ont participé à ces précédents projets, un photographe, un réalisateur, deux jeunes comédiennes… « Nous tenions absolument à conserver ce côté interdisciplinaire qui est dans l’ADN du collectif. Si les ateliers de sensibilisation à l’architecture occupent une large place, nous voulons que ces enfants d’origines diverses – un trait que nous partageons puisque beaucoup parmi les membres du collectif sont comme moi issus des vagues migratoires –, puissent découvrir d’autres moyens d’expression ».
La chance, c’est que les enfants « sont à un âge charnière entre insouciance et confrontation aux réalités, et que l’équipe pédagogique, jeune et dynamique, est sur la même ligne », souligne encore Feda Warkak. A la fin du projet, il est prévu de réaliser un travail d’édition autour des travaux réalisés par les enfants. Chacun repartira avec un livre qui en conservera la trace. « Trois termes sont souvent utilisés en architecture : participatif, ouvert, et collaboratif. Des mots auxquels nous voulons donner tout le sens à travers le projet « (se) construire ensemble ».
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