« Mes amis, au secours… » C’est ainsi que commence l’appel lancé par l’Abbé Pierre le 1er février 1954, sur les ondes de Radio Luxembourg (futur RTL). Le lendemain la presse titrera sur « l’insurrection de la bonté ». Fondateur du Mouvement Emmaüs en 1949, Henri Grouès, l’Abbé Pierre, avait été député de Meurthe et Moselle de 1945 à 1951.

Durant l’hiver 1954, une vague de froid glacial touche le pays et de nombreux sans-abris meurent dans les rues. « Mes amis, au secours... », l’appel du prêtre connaît un retentissement national, populaire et politique, et suscite une mobilisation inédite. Un important élan de générosité voit le jour qui va permettre de collecter 500 millions de francs, soit en pouvoir d’achat 1,13 milliards d’euros aujourd’hui, une somme considérable et inattendue pour l’époque. Charlie Chaplin, donateur de 2 millions, dira à cette occasion : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j'ai été et que j'ai incarné », Yves Montand, Charles de Gaulle font partie des personnalités qui se mobilisent. Les dons matériels sont stockés dans la gare d’Orsay sur laquelle est accrochée une bannière « Paris vous aide ».

« L’Appel de l’abbé Pierre » attira aussi des bénévoles de toute la France et cet élan de solidarité donnera naissance le 23 mars aux Compagnons d’Emmaüs qui construiront des logements, pour les sans-abri. Le combat de l’Abbé Pierre a aussi permis l’adoption d’une loi interdisant l’expulsion de locataires pendant la période hivernale.
 

Hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie dans le 8e arrondissement qui sert de dépôt des dons après l’appel de l’Abbé Pierre. Crédit : Fondation Abbé Pierre
Hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie dans le 8e arrondissement qui sert de dépôt des dons après l’appel de l’Abbé Pierre
La mise en place d’un dispositif fiscal pour les dons

À la suite de cet appel, une incitation fiscale propre à encourager le mécénat en faveur des œuvres charitables et philanthropique a été mise en place. L’article 11 de la loi du 14 août 1954 a ainsi constitué la première intervention marquante du législateur dans le domaine du mécénat, qu’il soit le fait d’entreprises ou de particuliers, comme le rappelle le récent rapport de la Cour des comptes, Le soutien public au mécénat des entreprises. Un dispositif à mieux encadrer, Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, novembre 2018.

La disposition de l'article 11 est la suivante : « Les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés sont autorisées à déduire du montant de leur bénéfice imposable, dans la limite de 1 pour 1000 de leur chiffre d'affaires, les versements qu'elles ont effectués au profit d’œuvres ou d'organismes d'intérêt général, de caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial. Pour les autres contribuables, la déduction est admise dans la limite de 1 pour 100 du revenu imposable »

Ces dispositions ont ensuite été codifiées aux articles 200 du Code général des impôts (CGI) pour les particuliers et 238 bis pour les entreprises.

La loi du 14 août 1954 est également venu établir une définition partielle de la notion d’intérêt général. Les organismes d’intérêt général, selon le législateur, sont ceux « à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou familial ». La loi du 4 Juillet 1987 pour le développement du mécénat viendra ensuite donner les contours actuels incluant les organismes « à caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ».

Ainsi, la définition juridique de l’intérêt général et la première disposition d’incitation fiscale aux dons en 1954 ont marqué un tournant dans le domaine la philanthropie en France.