Des rencontres interprofessionnelles concernant l’avenir du tournage du film publicitaire organisées par la Direction du développement des médias (DDM) se sont tenues le 15 avril 2008.
Ces rencontres ont réuni plus de 70 professionnels autour d’un constat partagé concernant la situation préoccupante des tournages des films publicitaires en France et leur a permis de débattre des pistes qui peuvent être envisagées afin de provoquer un retournement de situation.
Etaient réunis pour ces Rencontres, des professionnels des industries techniques, des représentants d’annonceurs, des institutionnels, des producteurs, des réalisateurs, des agences-conseil en communication.
Mme Laurence Fransceschini, Directeur du développement des médias a accueilli les participants en insistant sur l’originalité de ces rencontres qui réunissent tous les professionnels de ce secteur et en souhaitant que de ces rencontres émerge un programme d’actions qui pourra constituer une feuille de route pour l’action des pouvoirs publics. Elle a déclaré également que la Direction du développement des médias était un interlocuteur de l’industrie du film publicitaire, dans toutes ses composantes.
Première table ronde : Etat des lieux
Quelle évolution du marché publicitaire : Etat du marché français, causes des délocalisations, conséquences induites, les atouts français.
M. Pierre Marcus, Président et Ceo de Wam, groupe Publicis indique qu’en 1973, quand il a commencé à travailler dans ce domaine, 1 500 films se tournaient par an. En 2008, il n’en reste que la moitié. Il fait également le constat que les films publicitaires qui ne sont pas d’abord diffusés sur TF1 ne le sont finalement nulle part ailleurs.
A contrario, l’Espagne produit 4 000 films par an, l’Allemagne : 1 500, les USA : 30 000 et en Grande-Bretagne 6 000 sont produits sur le territoire et 6 000 autres sont commandés aux professionnels britanniques.
Pourtant, il souligne la bonne réputation et le savoir faire mondialement reconnu des professionnels français.
M. Nicolas Traube, Président de Film France, indique que le territoire français ainsi que les territoires ultramarins proposent une grande diversité de paysages et de compétences locales et qu’il faut promouvoir et accroître l’attractivité des films sur notre territoire.
Pour M. François Melon, responsable des productions publicitaires chez Procter & Gamble, il existe un véritable phénomène de délocalisation des tournages de films publicitaires en raison des coûts liés aux tournages en France alors que notre territoire propose un véritable vivier de talents.
M. Georges Bermann, Président de l’Association des Producteurs de Films Publicitaires (APFP), constate en effet que le volume de commandes de films publicitaires est inquiétant mais il souhaite surtout attirer l’attention des participants sur d’autres menaces qui pèsent actuellement sur cette activité. D’une part, le recul et la suppression à terme de la publicité sur les chaînes du service public. D’autre part, il s’inquiète de l’action du Ministère de la Santé qui cherche à obtenir le retrait de la publicité télévisée pour certains produits alimentaires considérés comme étant un des facteurs de l’obésité infantile. A cela s’ajoute un phénomène d’évasion des ressources publicitaires de la télévision vers le média Internet.
Pour toutes ces raisons, il existe un danger d’affaissement total de cette activité, qui serait lourd de conséquences sur la création française dans son ensemble, car en France ce sont environ 84 réalisateurs de long métrages cinéma qui parviennent à survivre grâce à leur activité dans la publicité.
Il regrette enfin un réel climat de « publiphopie » qui nécessite une mobilisation de tous les acteurs et invite donc tous les producteurs de films publicitaires à rallier l’action de l’APFP.
Mme Laurence Le Hire, conseil en production chez Temps Clair, indique que sa société « consulte » pour une centaine de films produits chaque année. Des statistiques réalisées pour le compte de sa société montre que, sur un ensemble donné de films publicitaires, en 2004 60% des films publicitaires produits étaient tournés en France ; en 2007, ils ne seraient plus que 30% et le reste serait produit à l’étranger. Une partie de cette délocalisation s’explique certes par des nécessités de tournages incontournables : décors, saisonnalité. Il ne faut pas nier que la situation est périlleuse aujourd’hui pour l’économie de ce secteur. L’étranger attire les tournages car les charges sociales sont beaucoup moins importantes qu’en France.
Ce phénomène de délocalisation est préoccupant car on constate que même le savoir-faire propre aux techniciens français finit progressivement par s’exporter à l’étranger engendrant une nouvelle concurrence.
M. Pierre Marcus regrette que désormais le métier de « cost-controler » ne s’exerce plus que sur la fonction « coût » et qu’ils ne développent plus une expertise sur la qualité des films produits.
M. François Melon souhaite revenir sur les chiffres des tournages de films publicitaires commandés et tournés en France. Il n’existe pas de statistiques fiables sur la réalité de ces tournages même si on peut affirmer que le volume se situe entre 600 et 700 par an.
M. Thierry de Segonzac, Président de la FICAM, précise que son organisation réalise tous les ans un bilan de cette activité. Aujourd’hui, cette activité génère un C.A de 1 milliard d’euros. 30 à 40% de ce volume sont liés à des prestations techniques et 50 % représente la masse salariale. Sur la question de l’emploi et de l’intermittence dans ce secteur, il existe sans doute des données intéressantes à analyser du côté d’AUDIENS.
Du côté des professionnels de la filière technique, ce qui est préoccupant aujourd’hui, c’est que cette composante du secteur n’ait pas trouvé son autorité de tutelle. Or, il lui semble qu’à défaut d’un rattachement à l’un des ministères concernés ; il est aujourd’hui difficile de poursuivre une action pour soutenir le secteur.
Selon M. Fabrice Brovelli, directeur général de BETC Euro RSCG, l’efficacité de la publicité sur Internet n’a pas encore été prouvée. Ce modèle reste en devenir mais l’on doit rester vigilant à l’aune de ce qui s’est produit avec l’industrie du disque qui n’a pas su aborder le virage Internet.
Du côté des publicitaires, il constate qu’il y a une forme d’affadissement du message publicitaire, la publicité est de plus en plus « formatée » car d’une part elle doit répondre à des questions de coût et d’autre part elle doit répondre à un code de bonne conduite mis en œuvre par le BVP.
M. Emmanuel Schwartzenberg conclut cette première table ronde en indiquant que l’idéal pour la situation du tournage du film publicitaire est d’attirer les tournages sur notre territoire.
Deuxième table ronde : Comment provoquer un retournement de situation ?
M. Emmanuel Schwartzenberg interroge M. Christophe Baratier, réalisateur, sur l’appréciation artistique qu’il porte sur la question des lieux de tournage et le phénomène de délocalisation.
M. Christophe Baratier indique qu’il est en train de monter son prochain film intitulé « Faubourg 36 » (28 M€ de budget) tourné à Prague. Selon lui, la situation du point de vue du tournage d’un film cinématographique ou d’un film publicitaire se pose dans les mêmes termes.
Il rappelle que sur le plan artistique : il existe de réelles contraintes lorsque l’on tourne un film d’époque. Les décors extérieurs reproduisant l’atmosphère d’une époque sont quasiment introuvables, à l’exception de quelques rues de Montmartre qui sont déjà très (trop ?) connues. Cela suppose soit de délocaliser les tournages pour bénéficier de décors naturels vierges de toutes traces de notre époque, soit de tourner en studio.
En France, il s’avère que les studios sont peu nombreux (Bry-sur-Marne, la Victorine), coûteux par manque de réelle concurrence et généralement pris d’assaut pour les tournages.
Mme Silvia Brezellec est responsable des productions publicitaires de PSA Peugeot Citroën. Elle confirme que depuis environ 4 ans, les budgets pour les films publicitaires ont sensiblement diminué. Pour autant, elle indique que le politique de PSA est de mener une politique responsable qui la conduit à favoriser les tournages en France.
Pourtant, il arrive encore trop souvent d’avoir des difficultés de tournage en raison des autorisations de tournage qui doivent être demandées notamment dans les grandes villes françaises. Ainsi, récemment PSA a du renoncé à un tournage faute d’autorisation de filmer à proximité de la tour Eiffel ou du Moulin Rouge.
A cette remarque, l’une des représentantes des services de la ville de Paris présente dans le public fait observer que ces services ont parfaitement conscience de ce problème car en 2002 : la ville avait répertorié 146 tournages de films publicitaires à Paris, puis a connu un fort décrochage en 2005 avec seulement 100 tournages. En 2007, la situation semble s’être rétablie avec 130 tournages recensés. Pour remédier à cette situation, les services de la ville de Paris ont mis en œuvre un traitement accéléré des dossiers de demande d’autorisations qui sont désormais délivrées en 48 heures contre 8 jours auparavant. Dans le même temps une grille de tarifs unifiée a été mise en place.
M. Patrice Haddad, Président du groupe Première Heure, salue l’initiative des entreprises telles que PSA qui met en œuvre une politique responsable de soutien au marché français. Il souligne l’importance de l’auto-régulation des pratiques par les annonceurs eux mêmes et il dénonce les « diktats » de certains annonceurs comme Coca Cola et un certain « snobisme » du choix des réalisateurs quant aux lieux de tournage qui ne sont pas toujours fondés sur de bonnes raisons.
Il nuance un peu la situation décrite du secteur de la publicité, selon lui, la publicité a toujours été décrite comme étant en état « dépressif ». Le problème de la délocalisation n’est pas un problème uniquement économique mais pose également des problèmes sur le plan du transfert du savoir-faire artistique et technique.
Selon lui, il faut savoir promouvoir à l’étranger les métiers et les savoir-faire nationaux, lutter contre la sinistrose ambiante et assurer la formation de nos talents. Il suggère, à titre d’exemple, que la promotion des artistes et des savoirs faire français soit assurée dans le cadre d’un magazine professionnel comme « Shots » qui est une référence en la matière.
M. Daniel Cattan, Conseil en production, revient sur la question des charges sociales qui grèvent dangereusement les budgets et qui conduisent à la délocalisation des tournages notamment en Belgique qui n’en a pas. Pourquoi ne pas instaurer une taxe aux annonceurs qui délocalisent les tournages hors de l’union européenne ?
Mme Athénaïs Rigault, Directrice hors-média de l’Union des Annonceurs, explique que l’UDA a mis en place une charte au profit de l’économie éco-responsable. Les valeurs du développement durable représentent des valeurs auxquelles beaucoup d’entreprises françaises adhèrent et elles sont au moins 30 à y avoir répondu favorablement. D’autre part, l’UDA préconise d’avoir recours systématiquement à l’établissement d’au moins deux devis pour les questions de tournage et prône la mise en place d’une taxe « carbone » dès lors qu’un tournage se situe en dehors de notre territoire sans véritable fondement.
M. Stéphane Martinet, directeur adjoint de la Commission Film d’Ile de France, suggère qu’il est indispensable qu’une prise de conscience ait lieu de la part des institutionnels tels que les RNMF, la Dicod et des autres structures nationales qui sont sollicités pour les tournages afin de faciliter les tournages sur le sol français afin qu’ils soient plus réactifs aux demandes et qu’ils appliquent des tarifs plus raisonnables. Il faut cesser de penser que la publicité constitue « la poule aux œufs d’or ».
Mme Thérèse Chevalier, vice-président de la FICAM, explique que le métier de la publicité est un métier difficile car il engage à la fois l’artistique et l’économique : « L’Art et l’Industrie ». Il peut être protégé et soutenu à travers différentes mesures :
- En imposant un système de quotas en France à l’instar de ce qui existe déjà pour le cinéma et les œuvres audiovisuelles,
- En imposant la pratique des doubles devis,
- En assurant la promotion à l’étranger des savoir faire techniques et artistiques français,
M. Patrick Lamassoure, Délégué Général de Film France, rappelle que les services de la commission du film ont mis sur pied depuis plusieurs années un outil opérationnel important pour développer les tournages en France : mise en place d’une base de données répertoriant plus de 10 000 décors, un travail sur les tarifs, 38 bureaux d’accueil sont présents sur le territoire. Il insiste sur le fait que très souvent les techniciens en Province qui sont très bien formés pratiquent des prix plus attractifs car ils sont moins sollicités.
Selon lui, il importe dans un premier temps de recueillir des données financières très fiables et abouties pour établir le réel diagnostic de la situation des tournages. Ceci constitue un point de départ pour modéliser des propositions qui pourraient être ensuite soumises aux pouvoirs publics.
Il importe également de développer une réflexion autour de la notion « d’industrie culturelle » à laquelle la publicité appartient ce qui facilitera ensuite la mise en place d’une réglementation soutenant le développement de cette industrie.
Mme Laurence Franceschini, Directeur du développement des médias, propose que la DDM publie en ligne un dossier concernant ces Rencontres et clôt cette manifestation en proposant de développer un certain nombre de pistes évoquées lors de cette manifestation.
- Elle tient à réaffirmer que le film publicitaire est une œuvre et qu’il doit être reconnu comme une œuvre.
- Une évaluation économique fiable du secteur à partir des données détenues par la FICAM et Film France, ainsi que des producteurs, afin de construire un baromètre qui servira de base aux mesures qui pourraient être proposées par la suite.
- Etudier les dispositifs d’ordre incitatifs fiscaux qui pourraient être proposés au Ministère des finances afin de relocaliser les tournages. Il est nécessaire pour cela de réaliser un travail préalable sur l’impact en terme de croissance économique et d’emploi de telles relocalisations.
- Poursuivre un travail pédagogique en favorisant les rencontres inter professionnelles, promouvoir les métiers et sensibiliser les acteurs, afin notamment que les tarifs dans les lieux ne soient pas plus élevés pour les films publicitaires que pour les autres tournages, et en liaison avec les collectivités.
- Développer un outil de travail incontournable pour faciliter les tournages sur notre sol et identifier les ressources.
- Préserver et encourager l’industrie des effets spéciaux.
L’ensemble de ces axes peut être articulé dans le cadre d’un plan d’actions cohérent des pouvoirs publics.
Enfin, elle rappelle la tenue du 16 au 18 novembre 2008 à Avignon, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, d’un forum sur la diversité culturelle dans lequel la publicité trouve sa raison d’être car cette manifestation a pour but de favoriser le décloisonnement.
Un autre rendez-vous important est le festival de la publicité de Méribel.