« La recherche en école d’art ne répond pas à une mode ou une simple injonction, elle se construit dans un contexte, avec des personnes, avec des partenaires, patiemment à l’intérieur d’un projet d’établissement. »

L’université d’été «Art et Cognition» qui s’est déroulée à l’école supérieure d’art d’Aix-en-Provence (ESAAix) en 1992 a généré au sein de l’école la création du Laboratoire Objet, Espace intelligent, Langage (LOEIL) autour d’une approche pluridisciplinaire qui allie cybernétique et création artistique par la confrontation entre les premières pratiques numériques de l’art (réseau, interactivité, temps réel) et les questions épistémologiques et sociétales que partageaient artistes, scientifiques et philosophes. Depuis, l’ESAAix porte l’ambition d’interroger à sa manière la relation entre art, science et technologie.

Cette relation pose en soi le principe d’interdisciplinarité, donc d’interrogations réciproques et d’approches méthodologiques différentes. La confrontation entre les idées et la pratique révèle un espace d’expérimentation nouveau et permet des transferts de connaissances, encouragés au sein de l’école par les enseignements de philosophie et d’épistémologie portés par Jean Cristofol.

Le partage d’une question commune entre différentes disciplines scientifiques et la création artistique a généré un champ méthodologique inédit qui relève du dispositif : un tiers espace de recherche plus éclectique que syncrétique entre les disciplines pour autoriser des productions communes. C’est cet espace que nous avons tenté d’occuper depuis. Locus Sonus, unité de recherche en art audio, est née de cette expérience en 2004 avec pour objet l’approche plastique du matériau sonore. Cette approche ouvrait des territoires d’expérimentation encore vierge du fait du cloisonnement entre les différentes disciplines (artistiques, acoustiques, sociologiques…) qui traitaient du son, tandis qu’il n’existait à l’époque qu’un appareil théorique sommaire hésitant entre musique et performance pour rendre compte d’un art sonore.

La figure tutélaire de Jean-Claude Risset, à la fois compositeur et chercheur au CNRS, alors directeur du laboratoire de mécanique et d’acoustique, se démarque de ce contexte. Il est l’auteur en 1998 du rapport AST (Art, Science et Technologie) pour le ministère de l’Éducation nationale, de la recherche et de la technologie qui exposait le périmètre et les enjeux de la recherche dont allait se saisir Locus Sonus jusqu’à ses plus récents développements.

C’est ainsi que Locus Sonus a pu interroger, exposer et formaliser plus largement à travers son objet spécifique d’expérimentation et de recherche, la question de la recherche en 3e cycle qui émergeait dans les écoles d’art. Dans cette même optique, d’autres programmes de recherche portés essentiellement par Jean Cristofol ont noué un partenariat ininterrompu avec l’Institut méditerranéen de recherche avancée (IMéRA) ou encore l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM) dans le cadre du projet d’antiAtlas des frontières.

Cette recherche a pris des formes identifiables tant par le milieu scientifique que par le milieu artistique : les symposiums de Locus Sonus, les conférences et colloques avec l’IMéRA d’un côté, les résidences d’artistes, les manifestations ou expositions artistiques de l’autre, qui placent l’artiste, le scientifique et le théoricien sur un pied d’égalité, mais également l’étudiant en art. Les tiers espaces de recherche ont plutôt pris le support du game art, perpétuant ainsi l’utopie du départ des mondes virtuels de LOEIL :

- New Atlantis, développé par le laboratoire Locus Sonus et le laboratoire Perception, représentations, image, son, musique (PRISM) avec d’autres partenaires ;

- A Crossing Industry, pour l’antiAtlas des frontières, généré conjointement par Jean Cristofol, Douglas Edric Stanley (ESAAix) et Cédric Parizot (IREMAM, IMéRA).

Cette dynamique a suscité la collaboration avec l’école doctorale «Langues, lettres et arts» d’Aix-Marseille Université dans le cadre de sa mention de thèse «Pratique et théorie de la création artistique et littéraire» que l’ESAAix co-valide via Locus Sonus pour la partie «création sonore». Elle a permis l’élaboration commune, avec Aix-Marseille Université et le CNRS, du projet d’unité mixte de recherche PRISM, actuellement structurée en formation de recherche en évolution (FRE), qui bénéficie largement des ressources, de l’expérience, du réseau, des méthodes et des enseignants de l’ESAAix pour donner à la recherche-création pertinence et légitimité dans un cadre institutionnel qui se cherche encore.

Jean-Paul Ponthot,
directeur de l’école supérieure d’art d’Aix-en-Provence

Ce texte a été publié dans le n° 137 de Culture et Recherche.