Table ronde : chantiers ouverts aux publics
Modératrice : Marie Berducou, maître de conférences honoraire, coordinatrice de la filière universitaire de formation à la conservation-restauration, université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Après des études d’histoire, d’archéologie, de conservation-restauration et d’épistémologie, Marie Berducou a longtemps assuré, sous la direction de Jean-Pierre Sodini, la coordination pédagogique de la maîtrise de sciences et techniques « Conservation-restauration des biens culturels » créée à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au début des années 1970. Elle a enseigné plus de trente ans dans cette formation (aujourd’hui « Master de conservation-restauration des biens culturels »). Parallèlement, elle a participé à la création du DESS de conservation préventive (aujourd’hui « Master de conservation préventive du patrimoine ») et y a donné de nombreux cours. Pendant un peu plus de quatre ans, elle a dirigé l’Institut de formation des restaurateurs d´œuvres d´art, aujourd’hui département des restaurateurs de l’Institut national du patrimoine. Elle a ensuite brièvement dirigé, à la demande du président de l’université, la filière de formation à la conservation-restauration de Paris 1.
Tout au long de sa vie universitaire, elle a très régulièrement participé à de nombreuses activités du Centre international d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM) et aux enseignements dispensés par l’École du Louvre et l’Institut national du patrimoine, et plus ponctuellement à certains programmes de l’Université libre de Bruxelles.
Marie Berducou est parmi les auteurs du premier code déontologique français de la conservation-restauration, du document de Pavie et de la terminologie adoptée par l’International Council of Museums - Comittee for Conservation (Conseil international des musées - Comité pour la conservation) à New-Delhi en 2008.
La restauration intéresse les publics, beaucoup plus qu’on ne l’imagine. C’est un sujet particulièrement attractif et très efficace pour sensibiliser à la conservation-restauration du patrimoine. Cependant, quel que soit le moyen choisi (restauration visible in situ et en temps réel, communication après coup, etc.), certains écueils sont à éviter. Il ne faut pas entraîner sur une mauvaise voie : celle qui amènerait à croire que la restauration peut tout faire, accomplir des miracles, retrouver l’état originel, réparer toutes les erreurs humaines qui ont pu causer des accidents graves ou accélérer le vieillissement des biens culturels par négligence ou incompétence, etc. Tout effacer, tout pardonner, en quelque sorte ! Tout propos tenu sur la restauration doit veiller à cette pédagogie : faire comprendre que, même lorsque le soin est spectaculaire, réussi et d’une très haute technicité, il reste une piètre béquille au regard de la prévention. On peut panser les blessures, y compris celles du temps, mais les traces et les cicatrices subsistent, inexorablement. Si nous devons veiller si activement et avec tant de vigilance à la conservation du patrimoine, c’est bien parce que rien ne saurait lui conférer l’éternité... En bref, on peut très utilement communiquer autour des interventions de restauration, mais seulement si on se saisit des enjeux de la conservation préventive et si le discours se met au service du patrimoine, en explique l’importance et la fragilité. Servir la visibilité des différents acteurs, moyens et disciplines que la conservation-restauration mobilise, doit, à mon sens, constituer un objectif toujours secondaire.
Entre la conservation et la démythification : la restauration, un métier encore mal connu qui interpelle Carole Juillet, restauratrice de peinture sur chevalet
Carole Drake Juillet a été formée initialement par Sylvaine Brans au musée du Louvre dans la tradition de restauration de Jean-Gabriel Goulinat puis à l’Institut de restauration du patrimoine artistique à Bruxelles. D’origine canadienne et écossaise, elle se consacre d’abord à des études d’histoire de l’art au Canada, se spécialisant dans l’art du Quattrocento florentin. Depuis son habilitation auprès du musée du Louvre et des musées nationaux en 1986, elle travaille sur des peintures du patrimoine de toutes les époques, avec une préférence pour les œuvres du XIVe au XVIIe siècle, et sur tous supports.
Le musée Unterlinden de Colmar attire de très nombreux visiteurs du monde entier (environ 180 000 par an), en raison de la présence emblématique du retable d’Issenheim. Depuis sa création en 1852 et les écrits de Joris Karl Huysmans, un grand nombre de ces visiteurs sont des professionnels de la culture nationale et internationale ou issus de l’élite intellectuelle. Le retable des Dominicains est composé de 24 panneaux, dont 8 panneaux double face, présentant la Passion du Christ et les sept joies de la Vierge. Sa restauration a commencé au musée Unterlinden devant le public en 2001-2002 par un constat d’état détaillé et un refixage complet. La restauration fondamentale de la couche picturale s’est étalée de 2006 à 2014, grâce en partie au mécénat de la BNP. Pendant la deuxième partie de l’intervention, le retable a été transféré à l’église des Dominicains en raison de la rénovation en cours du musée. Les touches finales à cette restauration seront posées lors de sa réinstallation à Unterlinden en 2015. Agir sur le patrimoine devant un public de plus en plus avide d’informations, de sensations et le faire « entrer dans les coulisses » de notre métier, amène une constante réflexion sur notre intervention sur les œuvres et comment celle-ci est perçue. La présentation s’efforcera d’expliquer les avantages et inconvénients de travailler dans le contexte de ces conditions singulières.
Face au public : le Laboratoire Eugène-Leroy, musée des Beaux-Arts, Tourcoing Thierry Martel, restaurateur du patrimoine, directeur de l’école DEp’Art
Restaurateur du patrimoine en spécialité peinture, Thierry Martel exerce au sein des musées et des monuments historiques. Il porte un intérêt particulier à la transmission de savoirs et à la défense de la profession. Enseignant pendant plusieurs années, il est aujourd’hui directeur d’une école préparatoire aux concours d’entrée des formations nationales en conservation-restauration des biens culturels.
Dans le cadre de la mise en place de l’exposition des œuvres de la donation Eugène Leroy au musée des Beaux-Arts de Tourcoing (MUBA) en 2009-2010, Évelyne-Dorothée Allemand, conservatrice en chef, a souhaité que les traitements de conservation-restauration d’une partie des œuvres soient réalisés in situ en présence du public. L’installation de cet « atelier » dans les salles du musée a permis des échanges privilégiés avec le public et particulièrement avec les plus jeunes. Une découverte pédagogique facilitant la compréhension des spécificités matérielles des œuvres d’Eugène Leroy.
Il doit en falloir de la patience ! Les interventions de conservation-restauration dans l’espace public Amélie Méthivier, restauratrice de sculptures
Amélie Méthivier exerce la conservation-restauration de sculptures depuis 2000 comme restauratrice indépendante. Diplômée de la maîtrise de Sciences et Techniques de conservation-restauration des biens culturels, après avoir effectué ses stages au British Museum et au Centre de restauration des oeuvres d’art de Perpignan, elle intervient sur des sculptures en pierre, bois et plâtre conservées aussi bien dans des musées que dans l’espace public ou les lieux de culte. Elle fait notamment partie de l’équipe en charge de l’entretien de la statuaire civile et religieuse de la Ville de Paris, a travaillé sur des sculptures du Parc de Versailles ou des monuments publics dédiés à la Grande Guerre à Lille ou dans l’Aisne.
Les interventions d’urgence, d’entretien, impliquent généralement des durées d’interventions courtes donc une logistique simplifiée qui réduit la mise à distance avec le public. Dans l’espace public et dans les églises, il s’agira donc d’un public d’usagers qui interagissent différemment d’avec les visiteurs d’un lieu patrimonial. Parfois ces deux catégories de visiteurs sont mélangées. Ces espaces d’échanges sont l’occasion pour nous d’en savoir plus sur l’environnement des oeuvres, de faire passer des messages simples de prévention ou d’explications basiques sur la conservation-restauration mais sont également l’occasion de belles rencontres. En termes d’exigences de la part des commanditaires sur les mises à distances, nous sentons un durcissement de la législation qui nous oblige à déployer une logistique de plus en plus lourde à tous points de vue dans un but de sécurité et de prévention des risques. Enfin ces interventions in situ sont parfois un moyen pour les gestionnaires des lieux de communiquer sur leur prise en charge du patrimoine auprès des paroissiens (par exemple par le biais de leurs sites internet ou d’un blog) ou de dénouer des crispations. Ce sont aussi des occasions pour les restaurateurs de défaire des idées reçues sur les traitements et de mieux communiquer sur notre profession.
Notre-Dame-La-Grande de Poitiers, un chantier ouvert au public François Jeanneau, architecte en chef des Monuments historiques
François Jeanneau a fait des études d’architecte à l’université Paris V Paris-La Défense dont il sort DPLG en 1980. Licencié ès Lettres Histoire de l’Art, il est diplômé du Centre des fautes études de Chaillot en 1983. Architecte des Bâtiments de France contractuel en 1982, titularisé lors du concours de 1983, il a exercé cette fonction en tant qu’adjoint au chef du SDAP d’Ille-et-Vilaine puis de Dordogne. Après le concours d’architecte en chef des Monuments historiques en 1987, il exerce dans les Hauts-de-Seine (de 1987 à 1989), en Vendée (de 1987 à 1991). Il est chargé de la Vienne (depuis 1989), des Deux-Sèvres (depuis 1990), du Mont-Saint-Michel et de l’Îlot de Tombelaine (depuis 2001), des Archives nationales à Paris (depuis 2009), de l’Indre (depuis 2012) et enfin tout dernièrement du 3e arrondissement de Paris. Inspecteur général des Monuments historiques depuis 2000, il a en charge la Bretagne, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et à Paris, le Louvre et les Tuileries, l’Hôtel Lambert, les 5e, 7e et 8e arrondissements ainsi que l’Institut de France et l’École nationale supérieure des beaux-arts. Enseignant à l’École de Chaillot, il est membre de la Société française des architectes, de l’ICOMOS et de l’Académie d’architecture.
Les travaux de restauration que nous réalisons sur les monuments, quelquefois les plus prestigieux de notre patrimoine national, sont le plus souvent assez peu présentés et les chantiers encore moins visités. La législation française sur le travail est contraignante, interdisant l’accès d’un chantier à toute personne qui y est étrangère. Il est vrai qu’un chantier est source de nombreuses possibilités d’accidents corporels, les entreprises elles-mêmes le savent bien. Ces difficultés, qui ne sont d’ailleurs pas propres aux chantiers de restauration, font que bien peu d’expériences sont menées pour les rendre accessibles au public et en faciliter la visite. Et pourtant, voici maintenant quelques années, nous avons expérimenté la réalisation d’un chantier visitable à tout moment de son exécution par le public. La très exceptionnelle restauration de la façade occidentale de l’église Notre-Dame-La-Grande à Poitiers, fut l’occasion d’ouvrir son chantier, moyennant une adaptation des installations d’échafaudages et d’accès. Le succès de ce chantier « ouvert au public » fut retentissant grâce à la persévérance de la Ville de Poitiers, propriétaire de l’édifice, qui a tout mis en œuvre pour sa réussite. Si ce n’est lors de la restauration de la façade de la cathédrale de cette même ville où une tentative similaire fut un échec, cette ouverture d’un chantier de restauration fut unique. Une telle opération, qui nécessite un minimum de crédits, ne saurait être menée sans un parfait accord et une parfaite coordination entre toutes les parties : maître d’ouvrage, État, entreprises et maître d’œuvre.