Le 2 juin 2022 a eu lieu au Musée Jean Aicard/Paulin Bertrand à La Garde (83) la troisième journée d’étude dédiée aux maisons d’artistes et d’écrivains.

Organisée par Musées Méditerranée en association avec le CNFPT, cette journée était pilotée par Mireille JACOTIN, conservatrice en chef du patrimoine au MuCEM. Le thème retenu pour cette troisième rencontre était celui de la relation de l’artiste écrivain au jardin de sa demeure. Création artistique, espace de travail ou d’intimité familiale et sociale, le jardin est de manière intense voire indissociable rattaché à la maison de l’artiste. Mais une fois construits ces liens entre l’écrivain et son jardin, l’entretien du lieu demande une réflexion particulière si la conservation et-ou sa protection a (ont) été décidé(es), selon une restitution fidèle pour préserver l’esprit initial ou bien une adaptation à l’évolution du site, voulue ou subie.
La journée a permis de visiter le musée et son site après une présentation par Jean-Pascal Faucher, responsable du site, puis d’entendre trois contributions autour du thème retenu.

Musée Jean Aicard/Paulin Bertrand - entrée
Jean Aicard et "Les lauriers roses"

présenté par Jean-Pascal Faucher, responsable du musée propriété de la ville de Toulon.

Retrouvant sa demi-sœur en 1866 à la villa « Les lauriers » à La Garde, Jean Aicard découvre une propriété de 6 ha et son environnement, le village tout près, et le massif des Maures, un peu plus loin. Son adhésion à cet environnement sera à l’origine de ses productions littéraires principales. L’auteur de « Gaspard de Besse », grand ami de Pierre Loti, retrouve celui-ci régulièrement à la villa lors de ses haltes d’officier de marine. « Loti » en tahitien désigne une variété de laurier rose, il n’en faut pas plus à Jean Aicard pour rebaptiser la villa de manière plus modeste par rapport à son nom d'origine. Son lien avec le couple Paulin Bertrand – Jullia Pillore (lui peintre modeleur, elle journaliste – critique d’art) qui séjourna aux « Lauriers roses » lui permet de décorer la maison avec de nombreuses œuvres de l’artiste.

Musée Jean Aicard/Paulin Bertrand - Le bureau

Le parc de la maison est un jardin « forêt », orné de décorations notamment de céramiques de Clément Macié ; des allées le parcourent afin de faciliter la promenade, d’en faire un lieu de vie et de réception dont l’écrivain et ses amis, souvent des académiciens, profitent pleinement. L’entrée à l’époque se fait au sud-ouest, près de la gare, ce qui présente un intérêt certain pour ses voyages réguliers à Paris. Un bassin alimenté par une source pose un brin de fraîcheur dans l’atmosphère estivale de la forêt. Loin d’un jardin à la française, le lieu a été conçu par Jean Aicard pour être le prolongement de sa demeure, comme une œuvre totale.  Aujourd’hui, le parc a été largement récupéré par la ville de Toulon pour ne laisser qu’une partie attenante et frontale à la demeure où la forêt domine. La touche de l’écrivain est moins évidente maintenant mais on peut parcourir les allées où son imagination fut sans doute stimulée pour rédiger, parmi de nombreuses autres œuvres, son « Maurin des Maures ».

Musée Jean Aicard/Paulin Bertrand - Perron de la bâtisse
Musée Jean Aicard/Paulin Bertrand - Vue du parc depuis le bureau
Les jardins d'illustres et le mythe d'une restitution

par Jean-Michel Sainsard, DGPAT Ministère de la Culture, expert pour les parcs et jardins protégés au titre des monuments historiques.

Jean-Michel Sainsard pose la question qui est au cœur des missions de protection et de conservation des jardins d’illustres : dans quel esprit doit-on les restaurer, les conserver et les présenter au public ? L’exemple de son propos avec la visite du jardin de la propriété de Paul Cézanne, au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence, montre qu’une restitution n’est tout simplement pas nécessaire dans certains cas : le jardin est aujourd’hui tel que l’a connu le peintre. La démarche révèle en fait la difficulté de l’interprétation que l’illustre en a fait dans son œuvre, qu’il soit peintre ou écrivain. Et pour l’intervenant et le monde des experts en jardins historiques auquel il appartient, le jardin est considéré comme une œuvre ; restituer cette œuvre, c’est d’abord chercher à la comprendre à travers textes, esquisses, peintures. De plus, tout ne se trouve pas dans les textes qui laissent trop d’ouverture à l’interprétation. L’exemple du château de Compiègne et de son parc forestier confirme cela : seules des esquisses montrent le parc dans son état originel et la traduction de ces éléments en agencement le plus conforme possible est complexe.
La restauration du jardin se confronte donc à la vision que l’illustre en a à travers son œuvre. Et c’est cette vision du jardin par l’artiste qui deviendrait l’œuvre à restaurer. Alors comment concilier l’évolution d’un jardin, qui apparaît en mouvement constant, et le maintien d’une forme d’authenticité ? L’exercice est difficile, et ce d’autant plus que le regard qu’a l’artiste de son jardin et qu’il traduit dans ses œuvres peut être largement en-deçà de la réalité.

Le jardin secret du musée national Eugène Delacroix

par Claire Bessède, directrice du musée national Delacroix (Paris).

Bien que de dimension très modeste, ce jardin apporte une cohérence au lieu, à la fois pour renforcer la présence de l’artiste et pour une vue extérieure et élargie de son atelier. Toutefois, dans ce cas précis, la création de ce jardin et l’importance que lui donne le peintre ne relève pas d’un besoin d’inspiration mais d’un besoin de calme et d’exercice hors de l’animation des rues de Saint-Germain-des-Prés lors de ses périodes de travail. Il n’existe donc pas d’œuvre de l’artiste montrant ce jardin et il n’est alors pas possible d’en connaître réellement l’agencement originel ; seul un mémoire du jardinier de l’époque précise succinctement son aspect premier. La première et plus ancienne représentation date de 1890. On peut certifier qu’aujourd’hui il ne reste rien du jardin tel que l’a connu Delacroix.
Alors comment restituer cet extérieur ? et doit-on parler justement de restitution ? En 2012, le jardin est rénové dans une vision romantique en plantant des arbres et des fleurs dont le peintre s’inspirait. Il devient un lieu de déambulation avec des bancs pour apprécier l’atmosphère calme et la vue sur l’atelier. Il devient aussi un lieu de programmation d’événements (concerts, ateliers…) et accueille parfois des œuvres d’art contemporain.
Cet exemple montre qu’il peut y avoir dissociation en terme de restauration entre le jardin d’une maison d’illustre et la demeure elle-même, tout autant que l’on ait bien ressenti à travers l’œuvre de l’artiste l’absence d’inspiration liée au lieu.

Des manuscrits au coeur d'un parc d'acclimatation

par Renaud Lugagne, propriétaire de la maison de Paul Bourget " Le Plantier de Costebelle " à Hyères (83).

Sur un terrain acquis en 1857, le baron de Prailly fit construire une villa de type palladien. L’écrivain Paul Bourget en devient propriétaire en 1896 et y prendra tous ses quartiers d’hiver jusqu’à la fin de ses jours. La particularité du site provient du milieu naturel qui fut dès l’origine un sanctuaire de la tortue d’Hermann et transformé par le couple de Prailly en jardin d’acclimatation, notamment pour des espèces rares de palmiers. On y découvre aussi l’arbousier de Chypre qui y pousse de façon endémique.
Paul Bourget continue l’œuvre des de Prailly et a su protéger le parc qui complète aujourd’hui l’aspect patrimonial et biographique du lieu. Labellisé « Jardin remarquable » et « Maison des Illustres », le Plantier de Costebelle concentre la volonté de l’écrivain à harmoniser lieu de vie familiale et sociale (les personnalités du monde littéraire, de la sphère politique ou militaire y défilent) et conservation d’un site naturel. Ce dernier aspect est particulièrement suivi par le propriétaire qui veut restituer cet espace le plus fidèlement possible au souhait de Mme de Prailly au 19e siècle. De ce fait, le parc est resté pratiquement inchangé depuis l’installation de Mme de Prailly.
La conservation de l’espace naturel est ici plus une volonté d’ordre botanique, tout en préservant l’aspect initial du jardin. Elle s’est prolongée durant plus de 150 ans selon la configuration voulue par sa créatrice. L’écrivain y a sans doute puisé la sérénité pour la production d’une grande partie de son œuvre littéraire. C’est peut-être déjà une forme d’inspiration.
Le Plantier de Costebelle, maison d'illustres : Le Plantier de Costebelle à Hyères (83)
Le Plantier de Costebelle, jardin remarquable : Hyères - Plantier de Costebelle

Cette journée a permis d’aborder les difficultés rencontrées lors de tentatives de restauration et de protection de jardins d’illustres ; avant toute chose, il convient de connaître l’histoire du jardin et de sa réalisation, de son appropriation par l’artiste ou l’écrivain comme source d’inspiration. Puis vient le temps de la réflexion sur la procédure de restauration. Il n’y a pas de règles générales et chaque jardin est un cas à part entière.

Prochainement seront publiés les actes de cette journée, en téléchargement sur cette page.