Le comité du patrimoine mondial s’est réuni à Doha (Qatar) pour sa 38e session. Présidée cette année par la princesse du Qatar Sheika Al Mayassa Bint Hamad Bin Khalifa Al Thami, l’assemblée des 21 pays membres de l’UNESCO a voté à l’unanimité en faveur de l’inscription de la Grotte Chauvet sur la liste du patrimoine mondial.

Le comité a adopté d’emblée la Déclaration de valeur universelle exceptionnelle selon laquelle la grotte ornée du Pont d’Arc dite grotte Chauvet-Pont d’Arc recèle les plus anciennes représentations picturales connues à ce jour et datées au radio-carbone de 36 000 ans à la période de l’Aurignacien. Fermée par un éboulement il y a environ 20 000 ans, elle est restée scellée jusqu’en 1994, date où elle est découverte par des spéléologues dont Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire. Elle contient plus de 1000 dessins principalement d’animaux ainsi qu’un grand nombre de vestiges archéologiques et paléolithiques. Les expressions les mieux préservées de la création artistique des populations aurignaciennes apportent un témoignage exceptionnel de l’art rupestre préhistorique. Outre les représentations anthropomorphes, les dessins zoomorphes montrent une sélection inhabituelle d’espèces dangereuses (notamment l’ours des cavernes et le lion, ainsi que le rhinocéros laineux) finement observées malgré la difficulté de les approcher. A ce jour, on ne connaît pas d’autre illustration de la panthère et du hibou dans une grotte ornée. L’extrême stabilité du climat intérieur de la cavité et l’absence de processus naturels extérieurs dégradants ont assuré une conservation optimale pendant des millénaires.

Les critères

Deux critères (i) et (iii) proposés par la France en vue de l’inscription au patrimoine mondial ont clairement été réunis et n’ont fait aucun doute : le critère (i) qui indique que la grotte Chauvet contient les premières expressions connues du génie artistique humain et plus de 1000 dessins d’une qualité esthétique exceptionnelle, que ces motifs forment une expression remarquable de la qualité artistique, la diversité des techniques, la maîtrise de l’utilisation des couleurs, l’association de la peinture et de la gravure, la capacité à exprimer des volumes et des mouvements.

Le critère (iii) est illustré par le témoignage unique qu’apporte la grotte Chauvet de la fréquentation des grottes au Paléolothique supérieur pour des pratiques culturelles et rituelles.

L’inscription concerne les 8500 m² de la cavité et le plateau calcaire situé au-dessus, conservés dans leur intégrité jusqu’en 1994, mais aussi au cours de ces 20 dernières années grâce aux efforts consacrés par l’État français propriétaire à sa conservation (restrictions d’accès et suivi continu des conditions climatiques).

A côté des deux premiers critères (i) et (iii), et de l’intégrité, l’authenticité constitue également un critère fondamental qui n’a fait aucun doute. La seule altération causée par l’Homme réside dans l’installation de passerelles en acier inerte, amovibles, qui permettent aux équipes de recherche et de maintenance de circuler en prévenant la perturbation des sols et des parois.

Une réplique de la grotte ouvrira en 2015

La grotte ne devant pas ouvrir au public, une réplique dénommée Caverne du Pont d’Arc et située à proximité sur le plateau du Razal, ouvrira en avril 2015. Les 3500 m² consacrés à la restitution montreront les éléments phares de la cavité. Les concrétions naturelles comme les peintures à l’ocre et au fusain y seront fidèlement reproduites après validation par un conseil d’experts dont font partie plusieurs membres de l’équipe de recherche scientifique.

Le projet de la Caverne du Pont d’Arc est porté par le Syndicat mixte éponyme présidé par Pascal Terrasse, député de l’Ardèche.Le financement est assuré par un partenariat entre l’État, les collectivités territoriales, l’Union Européenne et une entreprise privée.

Les travaux de l’équipe scientifique de recherche

Les secrets de la Grotte sont « nos » secrets, ceux de « notre » Humanité des temps reculés. Ils ne pouvaient rester enfouis ! Il fallait les révéler. Conscient de son devoir, l’État finance depuis 1998 une équipe pluridisciplinaire qui explore et observe les trésors inviolés de la grotte, s’interdisant toute fouille, s’autorisant seulement quelques sondages. L'équipe a été dirigée par Jean Clottes jusqu'en 2002, puis par Jean-Michel Geneste. La richesse des travaux tient en particulier à la dimension pluridisciplinaire de la recherche. Ainsi, l’équipe de géomorphologie est à l’origine de la datation de l’obstruction de la cavité (20 000 ans) par l’effondrement du grand porche qui en précédait l’entrée tandis que les spécialistes de l’art des parois sont directement concernés par les datations au radio-carbone (36 000 ans). Les connaissances actuelles de la grotte sont limitées à ce qu’en livrent les parties accessibles, c'est-à-dire les sols et les parois visibles. Le pari est d'attendre que les technologies futures permettent d’accéder à l’information dans le respect de la conservation des lieux.

A ce jour

On peut brièvement résumer les connaissances comme il suit : la grotte a conservé une abondance inhabituelle de manifestations pariétales qui font appel à des dessins au charbon de bois et à l’ocre rouge, à des estompes au pigment noir charbonneux sur paroi calcaire plastique, à des tracés digités, à des gravures. Les thèmes traités dans tout cet espace souterrain sont à la fois un riche corpus de signes et des représentations figuratives animales et humaines dans l’ambiance émotionnelle d’une magistrale mise en scène, donc en lumière, au cœur de ténèbres denses.

La totalité de l’espace accessible a été parcouru et socialisé par les groupes paléolithiques qui l’ont fréquenté ; en témoignent les nombreux aménagements et transformations intentionnelles du milieu souterrain qui sont parvenus jusqu’à nous plus ou moins intacts malgré l’évolution physique de la cavité et l’intense activité du monde animal : accumulation de blocs, dépôts et déplacement d’ossements, d’artefacts, d’éléments lithiques, transformation physique de l’espace par déplacement, accumulation ou extraction de matériel. On citera par exemple la mise en œuvre d’un bassin d’eau délimité par deux blocs stalagmitiques redressés et alignés, puis maçonnés à l'argile. Ces témoins matériels nombreux et diversifiés sont à mettre en relation avec des activités techniques encore aisément identifiables (les aires de combustion réparties dans toute la cavité et dont l’état de conservation est très inégal en sont un exemple), des activités sociales et des actions plus résolument symboliques dont la nature nous échappe, mais dont les traces font sens dans ce lieu et sont donc, à ce titre, inséparables de l’art rupestre qu’il abrite.

Parmi les autres nombreuses richesses apportées par cette équipe de recherche, on citera le travail des paléontologues qui ont pu étudier l’ours des cavernes et son mode de vie. Ses restes osseux fossiles sont nombreux à la surface : on a inventorié près de 200 crânes d'ours. Les analyses des généticiens complètent les connaissances sur le génome tel celui d'un loup femelle identifié par divers « coprolithes » (excréments fossilisés) ; par l'analyse de son bol intestinal, on sait désormais qu'il se nourrissait d'ours.

Un numéro des Dossiers de l'Archéologie sera prochainement consacré aux recherches de la grotte Chauvet et à sa conservation.