"Boaz" s'installe jusqu'au 30 avril à la Kunsthalle, centre d'art contemporain de Mulhouse. Œuvres plastiques et sonores composent cette exposition sortie d'un livre.
Le projet de l'artiste a été soutenu à la fois par l'aide individuelle à la création (AIC) en 2020 attribuée par la Drac Île-de-France et sélectionné par la commission mécénat de la Fondation des artistes, également soutenu par DRAC. Boaz est aujourd'hui le sujet d'une exposition au centre d'art contemporain de Mulhouse. Dans un court entretien accordé à la Drac, Romain Kronenberg revient sur la genèse de cette création.
Boaz, c'est l’histoire d’une histoire
Sur une cassette abandonnée, la voix calme mais importante d’un enfant qui retrace la vie d’un jeune orphelin, aimé de tous, et dont la simple présence suscite l’apparition de signes ou de scènes de dévotion.
Boaz, film / rushes © 2022, Romain Kronenberg
Une histoire trouvée au hasard des boutiques de souvenirs de la petite île de Procida, au large de Naples, d’une parole oubliée sur un vieux magnétophone et opportunément trouvée. Cette histoire est celle de Boaz et de sa famille d’adoption, son frère Malachie, leur sœur Déborah et Amos, le père des trois enfants.
Vue de l'exposition "Boaz" de Romain Kronenberg, 2022 - "Les diapositives d'Amos & Deborah", (non daté) © Romain Kronenberg
Les habitants de Procida, l’ile ou Amos et ses enfants passent toutes leurs vacances d’été, ont un rituel : sur chaque mur le long duquel Boaz a marché, pour témoigner qu’il est passé par là, ils tracent une croix. A la craie, à la peinture, ou en grattant le mur, avec une pierre. L’été de ses vingt ans, Malachie se met en tête de photographier, pour les consigner, une série de ces croix. Une centaine de ces photographies ont été récupérées auprès de Deborah, puis inventoriées, ainsi qu’une carte de l’ile dessinée par le jeune homme, répertoriant l’emplacement de chaque photo prise.
"Boaz, Les ixes sur les murs de l'ile de Procida", 2019-22 © Romain Kronenberg
Ce projet complexe que développe Romain Kronenberg est centré sur la question du sacré que l’histoire de Boaz lui permet d’explorer, notamment à travers un quatuor de personnages.
"Boaz", Poupées de Malachie, 2019-21 © Romain Kronenberg
Ces personnages incarnent des figures - la légende, le mystique, les sacrifiés - dont le dévoilement débute dans le roman et se poursuit dans l’exposition à travers un ensemble d’œuvres plastiques et sonores, de documents.
"Boaz", Poupées de Malachie, 2019-21 © Romain Kronenberg
Vue de l'exposition "Boaz" de Romain Kronenberg, 2022 - "Le paysage des poupées", 2022 © photo : Romain Kronenberg
"Chacune de mes œuvres est traversée par un mythe"
- En quoi l’AIC a-t-elle pu vous aider pour cette exposition ?
L’AIC a d’abord représenté un soutien financier indispensable au développement du projet, qui venait consolider l’aide de la Fondation des Artistes. Elle a aussi permis la rencontre avec Marie Chênel, alors rapporteuse pour la commission, que j’ai plus tard invitée sur le projet.
- Comment l’idée de cette exposition a-t-elle pris chair au centre d’art contemporain ?
C’est la curatrice Anne-Laure Chamboissier qui m’a d’abord parlé de La Kunsthalle Mulhouse (où elle avait elle-même imaginé deux expositions) et dont la programmation, m’expliquait-elle, s’intéresse notamment à l’apparition du récit dans le champ des arts plastiques. Ce lien - cette dynamique entre les deux disciplines étant justement l’un de mes sujets, j’ai contacté Sandrine Wymann et lui ai raconté Boaz.
© Romain Kronenberg : "Boaz est un projet inachevé, au sens où c’est un projet que je souhaite développer, par étapes successives..."
- Comment l’exposition a-t-elle été pensée ?
L’exposition à la Kunsthalle, curatée par Coline Davenne, n’était pas la première apparition de Boaz, qui avait déjà été exposé à la Galerie Sator, en mai 2021, accompagné du roman éponyme. Là dans l’espace de la galerie, on pouvait découvrir les œuvres produites par les personnages en même temps que les personnages eux-mêmes, dans le roman. Mais Boaz est un projet inachevé, au sens où c’est un projet que je souhaite développer, par étapes successives, sur le temps long. Ce genre de projet qui accompagne son auteur : un compagnonnage, c’est le bon mot. Et la seconde étape du projet — qui suivrait l’exposition des œuvres des personnages - montrerait, à leurs côtés, la réappropriation collective qui en serait faite, une fois les personnages disparus. Il faut avoir lu le roman pour comprendre "l’impérativité" de cette réappropriation, entre désir de ne pas oublier et écueil de figer.
- Comment et pourquoi la construction de ce mythe dans votre œuvre ?
Chacune de mes œuvres est traversée par un mythe et ici, Boaz est le mythe - ou plutôt la légende, comme le dit le roman. Mais pourquoi ? Peut-être parce qu’un mythe simplifie. Non pas dans le sens qu’il appauvrit, mais qu’il élague. Et il me semble que dans les mythes, quelques lignes claires apparaissent plus précises que les autres ; et plus claires, permettent de révéler leur profusion, leurs contradictions, leurs paradoxes. Comme le dit Deborah, l’un des personnages du roman, en réponse à un message d’Emmanuelle Lequeux, "une vie comme un pas de côté, habitée par moins de personnes que n’en compte votre monde et où tout est plus simple, alors. Genre de simplicité qui permet qu’on se concentre sur certains aspects, avec détail. Peut-être une vie où le temps s’enroulerait sur lui-même, comme fait parfois la musique, lorsque par vagues elle se répète."
- Boaz, dans votre œuvre, prend-il sa source dans une dimension biblique ?
Non. Enfin pas consciemment. Bien sûr, j’ai étudié la théologie protestante, et ce n’était pas sans intentions. Mais je m’en suis par la suite détourné, et me suis alors plus qu’au christianisme intéressé aux mythes, justement, aux cultes pré-monothéistes (comme d’ailleurs Malachie, le frère de Boaz qui lit beaucoup Mircea Eliade) et à la philosophie. Ceci étant dit, et comme Ami Barak en fait la démonstration dans un message que l’on peut lire dans le journal d’exposition (aux côtés d’autres échanges avec les personnages), les prénoms de chacun de mes personnages, Boaz, Amos, Malachie et Deborah, sont bibliques. En les nommant, je n’y avais même pas pensé. Pour moi, ils étaient d’abord vétérotestamentaires et archaïques, au sens où l’entend Heidegger : archè, le début et le règne ; comme Boaz, malgré lui.
Vue de l'exposition "Boaz" de Romain Kronenberg, 2022 © photo Romain Kronenberg
Apparition du récit dans le champ des arts plastiques
L’exposition amplifie le livre. Les formes côtoient et développent le récit pour mieux explorer la construction d’un mythe au dénouement inéluctable. La fiction permet à Romain Kronenberg d’observer la force d’un mythe et son retentissement sur une communauté en quête de repères et de transcendance.
Vue de l'exposition © 2022, Romain Kronenberg
Boaz, le roman
Boaz, roman - édition limitée © 2022, Romain Kronenberg
Court, rythmé et précis, le livre de Romain Kronenberg se lit en préambule de l’exposition mais aussi comme un récit autonome. Dès à présent, 300 exemplaires du livre sont à emprunter auprès de La Kunsthalle, de la Bibliothèque centrale de Mulhouse, des bibliothèques de la Haute école des arts du Rhin (sites de Mulhouse et Strasbourg) et d’autres lieux partenaires et permettent de se plonger dans l’univers abyssal de Boaz avant de découvrir l’exposition.
Commissariat : Coline Davenne et Sandrine Wymann. Avec la participation de Meris Angioletti et Emi Yatsuzaki
Biographie
Romain Kronenberg, né à Paris en 1975, est un auteur, photographe, vidéaste, plasticien, compositeur, guitariste et créateur de son. Après des études de théologie à l’Université de Genève, Romain Kronenberg étudie la composition, l’électroacoustique et le Jazz au Conservatoire Supérieur de Musique de Genève. En 2001, il entre à l’IRCAM où il travaille comme designer sonore et compositeur jusqu’en 2005.
C’est par la performance Dérive en 2005 à la Fondation Cartier qu’il fait son apparition dans le champ des arts plastiques. En 2007, il intègre le Pavillon du Palais de Tokyo où il signe ses premières vidéos, au style contemplatif, qu’il expose au Palais de Tokyo et au Transpalette de Bourges. En 2009, il est artiste en résidence à la Villa Kujoyama. C’est là que son désir pour le récit surgit. De 2011 à 2017 en Turquie, il imagine une série de projets où la dimension narrative prend toute son ampleur. En 2018, il imagine Tout est vrai, projet qui se déploie à travers tout un réseau d’œuvres, de performances, de projections et de lectures. Boaz, entamé la même année, est son second projet développé sur ce mode. Ces deux projets sont par essence inachevés.