Madame la Présidente, Monsieur le Président,

Monsieur le Président de la commission des Affaires culturelles et de l’Education, cher Bruno Studer,

Monsieur le Rapporteur, cher Laurent Garcia,

Mesdames et messieurs les députés,

 

Il n'y a pas de démocratie sans une presse libre.

Cela ne date pas d'hier.

Le 11 septembre 1848, dans son discours à l'Assemblée constituante, Victor Hugo défendait que la liberté de la presse n’est « pas moins sacrée, pas moins essentielle que le suffrage universel. »

« Le jour où [...] on verrait la liberté de la presse s'amoindrir [...], ajoutait-il, ce serait en France, ce serait en Europe, ce serait dans la civilisation tout entière l'effet d'un flambeau qui s'éteint ! »

Ce flambeau, nous ne pouvons pas le laisser s'éteindre.

Et nous ne le laisserons pas s'éteindre.

Si nous voulons le maintenir allumé, il faut aujourd'hui raviver sa flamme.

Si nous voulons protéger la presse et sa liberté, il faut aujourd'hui moderniser sa distribution.

C'est tout l'objectif du projet de loi que vous examinez aujourd'hui.

La loi du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite « loi Bichet », a souvent été qualifiée, y compris dans cet hémicycle, d’« icône de la République ».

Dans le contexte tourmenté de l’après-guerre, elle a permis de garantir l’effectivité du principe constitutionnel de pluralisme des courants de pensée et d’opinion.

Comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel dès 1984, la libre communication des pensées et des opinions ne peut être effective que si le public est à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents.

Cela implique que tous les journaux d’information politique et générale soient disponibles sur l’ensemble du territoire national.

C’est une condition de l’effectivité de la liberté de la presse.

Aujourd’hui, les objectifs de la loi Bichet demeurent : garantir la pluralité de l’information et l’égalité entre les éditeurs, indépendamment de leur taille ou des opinions qu’ils véhiculent.

Et les enjeux du numérique rendent cette loi encore plus nécessaire.

D’une part, la diffusion numérique présente les mêmes enjeux au regard des objectifs de pluralisme. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet qui vous est soumis prévoit l’extension des principes fondamentaux de la loi Bichet à la diffusion numérique.

D’autre part, je crois profondément à l’avenir de la presse papier, à son ancrage dans nos territoires, à son utilité pour le débat démocratique. Le secteur est aujourd’hui confronté à des bouleversements importants : plus de 6 000 points de vente ont fermé entre 2011 et 2018, dans les grandes villes mais aussi dans des villes moyennes ou des communes ; et vous connaissez les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, messagerie qui assure aujourd’hui la distribution de l’intégralité des quotidiens nationaux. L’entreprise a bénéficié d’un plan de continuation homologué en mars 2018 par le Tribunal de commerce, auquel l’Etat a contribué par un prêt d’un montant de 90 millions d’euros. Elle affichera cette année des fonds propres négatifs d’environ 450 millions d’euros.

Cette situation rend indispensable l’adaptation de la loi Bichet.

Car si elle est une icône de la République, elle ne doit pas être un totem.

Ce n’est qu’à condition d’être modernisée qu’elle pourra continuer à remplir les objectifs démocratiques qui lui sont assignés.

Moderniser la distribution de la presse au numéro, sans casser le système actuel : voilà la tâche délicate qui nous incombe.

Délicate, parce qu’il n’est pas aisé de modifier un texte aussi ancien, aussi symbolique.

Délicate, parce que sur ce texte s’est construit, depuis plus de 70 ans, un système complexe : un système dans lequel les intérêts de tous les acteurs sont intimement imbriqués - les différentes familles de presse, IPG ou non, quotidienne ou pas ; et les différents échelons de la distribution : messageries, dépositaires, diffuseurs…, mais un système qui a pu occasionner, aussi, de sérieux dysfonctionnements, et qui a clairement démontré ses limites.

Je crois pourtant que le projet présenté par le Gouvernement parvient à résoudre cette équation.

Parce qu’il est le fruit d’un travail long, approfondi, mené en concertation constante avec l’ensemble du secteur. 

Parce qu’il s’agit d’un texte équilibré et protecteur de l’intégrité de la distribution de la presse.

Et parce qu’il permet de préserver, la diversité des publications, garante de l’expression de la pluralité des opinions, un service de proximité, sur l’ensemble du territoire national, et tout particulièrement dans les zones rurales et l’avenir d’une filière et de professionnels qui sont pour certains aujourd’hui confrontés à des difficultés.  

Oui, ce projet de loi préserve les principes essentiels de la loi Bichet ; ce socle sur lequel notre réseau de distribution s’est construit.

Il préserve le principe coopératif obligatoire, auquel sont très attachés l’essentiel des acteurs de la filière, qui y voient une garantie forte d’équité de traitement entre tous les éditeurs.

J’ai pu entendre dire, ici ou là, que le projet de loi mettrait fin au système coopératif ; c’est inexact, nous l’avons bien maintenu.

Le projet de loi préserve également le droit absolu à la distribution de l’ensemble des titres d’information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente où sont distribués leurs titres et les quantités servies. 

Il préserve enfin un système permettant l’accès, sur l’ensemble du territoire national, à une grande variété de publications.

Car si la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, c’est grâce à la loi de 1947.

C’est grâce à la loi Bichet.

Dans sa rédaction actuelle, la loi pose toutefois un certain nombre de difficultés, sur lesquelles les nombreux rapports et analyses menés depuis plus de dix ans nous ont éclairés.

Tout d’abord, la détention majoritaire obligatoire du capital des messageries par les éditeurs place de fait ces derniers – à la fois clients et actionnaires – dans une situation structurelle de conflit d’intérêts, où les intérêts du client tendent à prévaloir sur l’équilibre économique et financier des messageries.

Ensuite, alors qu’ils assurent le rôle essentiel d’interface commerciale avec le client lecteur, les marchands de journaux n’ont aujourd’hui aucun contrôle sur le type de publications qu’ils reçoivent, ni sur les quantités d’exemplaires livrées.

Il nous faut redonner une vraie marge de manœuvre à ces acteurs essentiels de la filière, et à leur capacité d’adaptation aux réalités du marché.

Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités.

Sans que soit en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil Supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse – auxquels je tiens à rendre hommage, pour leur engagement constant au soutien de la modernisation de la filière, face à des jeux d’acteurs souvent complexes – la régulation n’est pas aujourd’hui en mesure d’accompagner efficacement la modernisation de la filière, et de garantir sa pérennité.

Le projet qui vous est soumis vise à remédier à ces limites et à ces dysfonctionnements, sans remettre en cause les principes essentiels que j’ai précédemment rappelés.

Il propose une vraie modernisation du cadre législatif, avec des modalités et un calendrier permettant d’accompagner la transition.

Cette modernisation tient en cinq points :

-          Premièrement, le projet de loi propose de confier la régulation du secteur à l’ARCEP, autorité compétente et légitime en matière de régulation économique, en lui donnant des pouvoirs d’intervention forts, en particulier en ce qui concerne l’homologation des barèmes, et en lui confiant un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le Conseil Supérieur des messageries de presse (CSMP) et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP).

 

-          Deuxièmement, la fin de l’obligation de détention de la majorité du capital des messageries par les coopératives d’éditeurs doit permettre de nouvelles perspectives en termes de stratégies industrielles pour les acteurs actuels. Elle aura également pour effet à moyen terme d’autoriser, le cas échéant, d’autres acteurs à proposer un service de distribution de la presse, à condition – je veux insister sur ce point – qu’ils soient agréés par l’ARCEP sur le fondement d’un cahier des charges strict, établi par décret. Toutefois, la possibilité pour l’ARCEP de délivrer des agréments à d’autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra intervenir qu’après une phase de transition.

En effet, le présent projet de loi autorise le Gouvernement à différer jusqu’au 1er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l’agrément.

C’est exactement ce que nous voulons faire : le Gouvernement entend utiliser toute cette marge de manœuvre, afin de laisser aux acteurs actuels un délai raisonnable pour s’adapter.

 

-          Troisièmement – et ce point revêt une importance toute particulière dans nos territoires –, le texte prévoit de donner plus de souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu’ils distribuent, en dehors de la presse d’information politique et générale et de la presse CPPAP faisant l’objet d’un assortiment.

Cet axe essentiel de modernisation doit permettre d’améliorer leur attractivité commerciale et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs dans nos régions, nos départements et nos communes.

Les marchands de journaux y trouveront un nouveau souffle, qui ne pourra que renforcer l’attractivité d’un métier aujourd’hui affaibli par des conditions d’exercice difficiles.

 

-          Quatrièmement – et c’est tout l’enjeu d’un texte moderne, adapté à la réalité des usages de nos concitoyens –, le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique. D’une part, en prévoyant un droit d’accès aux kiosques numériques pour les éditeurs de titres d’information politique et générale, et, d’autre part, en imposant aux agrégateurs d’information en ligne une triple obligation de transparence. D’abord, quant à leurs choix de mise en avant des contenus d’information qu’ils proposent, ensuite, quant à la manière dont ils utilisent nos données personnelles, enfin, quant aux résultats concrets de leur paramétrage sur la diversité des sources d’information qu’ils référencent.

-          Cinquièmement, le projet de loi que nous présentons confie à l’ARCEP la mission d’élaborer un schéma d’orientation de la distribution de la presse.

Ce schéma d’orientation devra intégrer le rôle joué par les dépositaires régionaux de presse et des perspectives d’évolution.

Ces grands axes offrent, je le crois, un cadre équilibré à l’indispensable évolution du dispositif actuel de distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle pour l’équilibre économique de l’ensemble de la filière.

 

L’adaptation du statut des vendeurs colporteurs de presse aux enjeux du portage multi-titres, également proposée par le projet de loi et très attendue par les réseaux de portage, notamment de la PQR, confortera également la distribution de la presse sur tout le territoire.

Je tiens à remercier l’ensemble des acteurs de la filière pour leur contribution, directe ou indirecte, à ce texte.

Et je tiens à vous remercier, vous, mesdames et messieurs les députés.

Vous avez su faire preuve d’un esprit constructif et transpartisan – sous votre égide Monsieur le rapporteur, cher Laurent Garcia.

Je veux saluer, aussi, les débats fructueux, et le travail approfondi mené par la Commission des Affaires culturelles et de l’Education – monsieur le Président, cher Bruno Studer. Grâce à ce travail, les ambiguïtés qui pouvaient subsister dans le texte ont été levées ou le seront à la faveur des débats que nous aurons tout à l’heure. Je m’en réjouis. Vous savez que je suis extrêmement attaché à la co-construction des textes et que je suis persuadé que nous sommes toujours meilleurs quand nous jouons collectifs.

Je veux remercier les Sénateurs, et en premier lieu le rapporteur, Michel Laugier, ainsi que la présidente de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly, qui ont également largement contribué à améliorer le texte initialement présenté par le Gouvernement.

Au-delà de ce projet de loi, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour soutenir le secteur de la presse.

Pour garantir les conditions d’exercice de sa liberté.

La création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et les agences de presse, que vous venez de voter, est une étape fondamentale. Nous pouvons être fiers d’être le premier pays européen à transposer ce texte, là encore grâce à un travail transpartisan efficace entre les deux chambres. Je forme désormais le souhait que la filière sache se montrer unie, pour ne pas laisser prise aux stratégies de division qu’utiliseront certainement les plateformes numériques dans les négociations à venir.

Le soutien du Gouvernement à la presse repose en premier lieu sur un système d’aides à la presse : aides à la distribution physique : portage, transport postal et distribution au numéro ; aides au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires ; mais également aides à la modernisation, à l’émergence et aux médias de proximité.

Toutes sont essentielles à la vitalité de notre débat démocratique et à l’accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.

C’est également dans ce cadre et dans cet esprit que nous examinons le projet de « plan de filière », présenté par les principaux éditeurs de la presse d’information politique et générale au ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et à moi-même, dans un objectif d’accompagnement de la modernisation du secteur.

Défendre la liberté de la presse, c’est également protéger la loi de 1881, garante de la liberté d‘expression.

Oui, les réseaux sociaux permettent d’en abuser.

C’est un fait.

Oui, il faut apporter une réponse spécifique aux délits d’injure et de diffamation, lorsqu’ils sont réalisés sur internet.

C’est indéniable, et c’est le sens de la proposition de loi de la députée Laetitia Avia, que vous avez adoptée il y a quelques jours.

Mais est-ce qu’il faut pour autant sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 et de son régime procédural spécifique ?

Je ne crois pas que ce soit une réponse satisfaisante.

Davantage responsabiliser les plateformes numériques, renforcer leur devoir de coopération avec les pouvoirs publics : voilà une réponse satisfaisante.

Pas modifier la loi de 1881. Le Premier ministre l’a très clairement affirmé la semaine dernière, lors d’une réunion organisée avec les représentants des journalistes et des éditeurs de presse.

Cette loi, c’est un tout : elle proclame une liberté, elle permet la répression de ses abus, elle organise une procédure particulière et protectrice, adaptée au fait que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ».

C’est cet équilibre qui la fonde.

Cet équilibre, nous devons le préserver.

Défendre la liberté de la presse, permettre aux journalistes de pouvoir informer, c’est également s’assurer que les citoyens aient confiance dans leurs médias.

Or cette confiance n’a jamais été aussi faible.

La mise en place d’une instance d’autorégulation de la profession pourrait contribuer à inverser la tendance.

La réflexion conduite sur ce sujet par Emmanuel Hoog, qui m’a remis son rapport à la fin du mois de mars, est légitime et utile, tant à la profession qu’à notre démocratie.

Une telle instance existe déjà chez un certain nombre de nos voisins.

Sa création est recommandée par plusieurs organisations internationales, comme l’UNESCO ou l’OSCE.

Nos compatriotes y sont majoritairement favorables.

J’entends les réticences d’une partie de la profession : les éditeurs de presse, notamment.

Je respecte leur position.

Mais il me semble que l’Allemagne, la Suède, la Suisse ou la Grande-Bretagne – qui sont toutes dotées d’un tel conseil – ne sont pas des démocraties au rabais où la liberté de la presse serait menacée. 

 

Je veux le rappeler : une instance de déontologie n’est pas un « Conseil de l’ordre ».

Elle n’aurait pas vocation à prononcer des sanctions – comme le Conseil de l’ordre des médecins par exemple – mais seulement à rendre des avis.

Et, de fait, je veux y insister, ce n’est pas à l’Etat de créer une telle instance, même s’il peut l’accompagner.

C’est à la profession, et à elle seule, de s’organiser.

Une démarche a été initiée par l’observatoire de la déontologie des journalistes : il faut s’en féliciter.

Mesdames et messieurs les députés,

Ensemble, c’est une nouvelle page de l’histoire de la presse écrite que nous écrivons.

Ensemble, c’est l’avenir de ce secteur que nous construisons.

Pour le construire, nous ne repartirons pas de zéro.

Nous repartirons des indispensables acquis de la loi Bichet.

C’est tout le sens du projet de loi que vous examinez aujourd’hui.