Galeriste iconique, engagée, inexorablement libre, Suzanne Tarasiève a conjugué au présent l’histoire de l’art européen pendant 45 ans pour nous inviter à dépasser nos frontières et éveiller nos regards.

Fascinée par la peinture dès l’enfance, Suzanne Tarasiève forge son goût en observant avec délice la nature morte hollandaise accrochée chez sa grand-mère maternelle puis les reproductions de Kirchner, Bosch et Munch qu’elle découvre à 11 ans et qui deviennent ses premières idoles. Adolescente, elle feuillète manuels scolaires et magazines en quête de sculptures, d’images et d’objets d’art qu’elle découpe pour faire de sa chambre une première galerie miniature. Une passion naît de ces rencontres fortuites, et lorsqu’un violent accident de voiture agit pour elle comme un électrochoc, elle décide de consacrer aux arts visuels toute l’énergie qui l’anime.

Après s’être essayée à la peinture Suzanne Tarasiève comprend que sa vocation n’est pas de créer mais plutôt de mettre l’art en valeur. Elle décide alors de fonder sa première galerie et ouvre en 1978 à Barbizon les portes d’un espace consacré aux avant-gardes. Dans cet ancien fief de la peinture paysagiste, le tout-Paris défile pour découvrir chez cette jeune galeriste passionnée à l’allure iconoclaste des artistes qui, de Pincemin à Christian Bonnefoi en passant par César, assument le passage de l’abstraction à la figuration et plaisent autant qu’ils interpellent.

Avec son regard aiguisé et son incomparable gouaille, Suzanne Tarasiève parvient à réunir sur ses cimaises des artistes déjà réputés à l’étranger mais encore peu accessibles en France, à l’instar des grands artistes allemands Georg Baseltiz ou Jörg Immendorff, qui lui confient ses œuvres. Avide de découvertes, elle voyage régulièrement en Allemagne à partir de la chute du mur, fait partie des premières galeristes à découvrir les peintres de Leipzig et représentera en France de nombreux artistes rencontrés à cette époque.

Lorsqu’elle quitte Barbizon pour installer à Paris sa première galerie du XIIIe arrondissement, puis « le Loft » à Belleville, elle reste, à contre-courant, fidèle à ses supports de prédilection : peinture, photographie et sculpture.  A ses collectionneurs – qui bien souvent l’ont, comme les artistes, suivie de Barbizon à sa dernière galerie, ouverte en 2011 dans le Marais –  elle recommande aussi bien les artistes de grand renom qu’elle représente, de Juergen Teller à Boris Mikhaïlov, qu’elle découvre en 1999, en passant par Eva Jospin, que celles et ceux sur lesquels elle a très tôt parié comme Markus Oehlen ou Katherine Bernhardt.

Convaincue que « les artistes qui cherchent à plaire se sont déjà perdus avant de se trouver », Suzanne Tarasiève a gardé sa fougue jusqu’aux derniers instants et refusé pendant toute sa carrière de réfléchir en termes de cote et de spéculation. Nous perdons aujourd’hui une voix singulière du monde de l’art et garderons en mémoire son exigence, sa simplicité et sa constante audace.

J’adresse à sa famille et à ses proches mes sincères condoléances.