Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Depuis un an, la politique que je mène suit un cap : le combat contre ce que j’appelle « la ségrégation culturelle ».
Le combat contre les barrières économiques, sociales, géographiques qui privent des citoyens de richesses culturelles et de lieux fréquentés par d’autres. Des barrières qui nous divisent. Qui créent des lignes de faille dans notre pays.
Une politique contre les inégalités d’accès à la pratique d’un art, aussi : un levier d’émancipation qui devrait être universel, mais qui reste la chance d’une minorité.
Une politique contre les inégalités d’accès aux moyens de création, d’expression, d’exposition, de production.
C’est un combat de chaque instant.
Mais ce n’est pas le seul. Il en nécessite un autre : pour s’attaquer aux barrières qui entourent le monde de la culture, il faut d’abord vaincre les barrières qui l’habitent. C’est ce que je découvre, depuis un an.
Il faut réussir à dépasser les divisions, les oppositions, les conservatismes qui traversent la sphère culturelle elle-même. Il faut avoir le courage de la différence. Car la différence dérange. Je le mesure chaque jour.
Le conservatisme serait un refuge confortable. C’est sans doute même le plus sûr des abris, en politique.
Mais je considère que les Français méritent mieux.
Ils méritent une politique sans tabou. Ils méritent qu’on se batte par tous les moyens. Qu’on s’autorise, dans ce Ministère, à penser différemment. Qu’on innove. Qu’on bouscule l’ordre établi.
Nous sommes dans une période charnière, pour la politique culturelle.
Le modèle que la France a su se construire – et dans lequel l’Etat joue un rôle décisif – ce modèle est à la fois notre plus grande chance, et notre plus grand défi.
Notre chance car il a accompagné des générations et des générations de créateurs. Il a nourri la diversité culturelle.
Mais ce modèle est aussi notre défi, aujourd’hui : dans un monde qui change vite, et en profondeur, il faut savoir se réinventer.
N’être prisonnier d’aucun schéma.
S'autoriser à penser différemment. Hors du cadre.
La question du financement de la culture est au cœur de cette réflexion.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de l’Etat. Je me suis battue pour que le budget de mon Ministère soit maintenu cette année, et je me battrai de la même façon pour qu’il soit conforté l’an prochain.
L’Etat joue un rôle indispensable, irremplaçable – notamment dans le soutien de projets qui ne verraient pas le jour ou ne trouveraient pas leur équilibre autrement.
Pour autant, je considère que toutes les sources de financement doivent être encouragées et mobilisées.
Le paysage a profondément changé, ces dernières années.
La contrainte budgétaire s’est intensifiée, depuis une trentaine d’années.
Et les sources de financement se sont diversifiés :
Les collectivités territoriales se sont installées comme des financeurs de premier plan – avec 9,3 milliards d’euros par an consacrés à la vie culturelle.
Et bien sûr, les financements privés se sont renforcés.
Le mécénat culturel en constitue une part décisive :
- Le mécénat d’entreprise représente plus de 500 millions d’euros chaque année, selon l’Admical ;
- Et les nouvelles formes de mécénat se développent : je pense à la croissance fulgurante du mécénat dit « populaire », grâce notamment aux plateformes de financement participatif qui connaissent un succès croissant.
Ces tendances nous rappellent combien, plus que jamais en France, la culture est une ambition partagée.
Vos initiatives, que nous récompensons ce soir, en sont les meilleures illustrations.
Je veux remercier tous les mécènes, dans la salle, qui se sont engagés. Merci pour votre générosité.
Je veux aussi remercier tous les artistes, associations, entrepreneurs… qui sont à l’initiative des projets.
Ensemble, vous montrez que le mécénat, c’est bien plus qu’un financement :
C’est un engagement partagé.
C’est une relation de confiance : celle que vous avez su nouer.
Le mécénat, c’est une chance immense pour la culture en France.
Une chance pour les acteurs culturels, les projets émergents, les artistes qui ne trouveraient pas de soutien autrement.
Une chance pour nos institutions publiques, qui sont de plus en plus nombreuses à s’en saisir, en financements complémentaires.
Une chance pour les citoyens, qui voient leurs opportunités et leurs accès à la culture se multiplier.
Cette chance, notre pays a mis du temps à s’en saisir.
Le mécénat a d’abord été regardé avec une certaine suspicion, en France. Parce qu’il faisait craindre le désengagement des collectivités publiques.
Nous affichons un certain retard dans son développement, par rapport aux pays anglo-saxons notamment.
Nous devons rattraper ce retard aujourd’hui.
Je souhaite encourager le mécénat.
Je pense en particulier au mécénat qui sert des actions dites de « démocratisation », c’est-à-dire ouvrant des accès à la culture à des publics qui en sont éloignés. Près d’une entreprise sur deux qui s’engage en faveur de la culture le fait déjà pour ce type d’actions.
Et je souhaite par ailleurs encourager le mécénat sur les territoires, sachant que la région parisienne concentre de nombreux financements.
Pour cela, l’un des leviers est d’encourager le mécénat des très petites, petites et moyennes entreprises.
Elles sont plus de trois millions : elles constituent 95 % de notre tissu économique. Elles maillent nos régions. Et elles sont déjà nombreuses à se mobiliser pour la culture, notamment pour la vie culturelle locale.
Mais aujourd’hui, le cadre juridique et fiscal en vigueur limite leur capacité à s’engager.
Je pense en particulier au plafond annuel de défiscalisation qui limite les dons à 0,5% de leur chiffre d’affaires.
Si je prends l’exemple des TPE : elles représentent 72 % des entreprises mécènes en France, mais seulement 11 % du financement total.
Je considère qu’il faut faire évoluer cette situation et je travaille donc à un relèvement du plafond.
Pour favoriser le mécénat des petites et moyennes entreprises, il faut par ailleurs l’organiser sur le territoire.
Je souhaite pour cela soutenir la mise en place de « Pôles régionaux du mécénat » dans toute la France, avec l’appui des directions régionales du Ministère, à l’image de celui qui a été créé en région Pays de la Loire.
Ces pôles régionaux, qui associent les DRAC, les chambres de commerce et d’industrie, toutes les institutions économiques et sociales dans les territoires, peuvent jouer un rôle précieux de sensibilisation des TPE-PME au mécénat, et de mise en relation avec les acteurs culturels.
Je rappelle que les protocoles d’accord pour la création de ces pôles ont été signés : il reste à présent les mettre en œuvre.
Je vais mobiliser les DRAC en ce sens.
Les TPE-PME peuvent être des acteurs décisifs du financement de la culture sur les territoires.
Voilà, mesdames et messieurs, les quelques mots que je tenais à avoir sur la démarche qui nous réunit ce soir.
J’en profite pour vous annoncer que j’organiserai cet automne des Rencontres du mécénat culturel – à l’occasion des 15 ans de la loi Aillagon, que nous fêtons cet été. Ces Rencontres vont nous permettre d’échanger sur les questions que je viens d’évoquer, et sur ma stratégie pour développer le mécénat culturel en France.
Sans plus tarder, je veux à présent remettre les trophées de cette deuxième édition du prix « Un projet, un mécène ».
J’en profite pour saluer l’artiste qui a réalisé les trophées : Estelle Barelier, ici présente et que je remercie.
Je vais maintenant inviter les lauréats à me rejoindre.
Dans la catégorie « Accès à la culture et Education artistique et culturelle » :
J’ai le plaisir de remettre deux prix ex æquo. Tous les projets étaient de grande qualité et il a été difficile de les départager.
Le prix est décerné :
- Au groupe Emerige pour l’opération « Une journée de vacances à Versailles » ;
- Et au fonds de dotation du barreau de Paris-Solidarité qui a soutenu le projet « Antiportraits, Réau ».
L’opération « Une journée de vacances à Versailles » est un projet incroyable, qui offre à près de 5 000 enfants de tous horizons la chance d’arpenter le Château lors des jours de fermeture hebdomadaire et à 700 autres enfants celle de suivre une visite guidée pendant l’été.
J’invite Laurent Dumas, président du groupe et je sais que Catherine Pégard, présidente du château de Versailles fait le maximum pour nous rejoindre car elle remet aussi ce soir un prix à Versailles autour du livre et du patrimoine.
Le projet « Antiportraits, Réau » est également exemplaire, dans un registre très différent.
L’artiste plasticienne Marion Lachaise, ici présente, a réalisé un projet artistique avec huit femmes du centre pénitentiaire Sud-Francilien de Réau. Elles ont réalisé un film ensemble dans lequel ces femmes racontent leur histoire, avec une mise en scène très poétique. Le film sera mis en ligne sur le site Internet du ministère de la culture. Bravo au fonds de dotation du barreau de Paris-Solidarité pour ce projet :
J’invite Marie-Aimée Peyron, bâtonnière, Basile Ader, vice-bâtonnier et Henri Leclerc, avocat, à me rejoindre avec Marion Lachaise.
Dans la catégorie Enseignement supérieur Culture :
Le prix revient à la Fondation Daniel et Nina Carasso pour la création en 2017 de la Chaire d’enseignement et de recherche dédiée au dialogue entre arts et sciences.
J’invite sur scène :
Marie-Stéphane Maradeix, déléguée générale de la Fondation Daniel et Nina Carasso ; Samuel Bianchini de l’ENSAD ; et Jean-Marc Chomaz de l’Ecole polytechnique.
L’échange entre les arts et les sciences est un enjeu essentiel pour comprendre notre monde, face aux bouleversements qu’il traverse. Cette Chaire est une initiative remarquable.
Dans la catégorie Patrimoines :
Je suis heureuse de récompenser une forme de mécénat originale et ô combien précieuse : le mécénat de compétences.
Le prix revient à l’entreprise Lefèvre, du groupe Aurige, qui s’est engagée pour la restauration du mur de soutènement du château de Maisons à Maisons-Laffitte.
J’invite Marc-Henry Menard, président du groupe Aurige, Jean-Christophe Mary, directeur général de l’entreprise Lefèvre, ainsi que Philippe Belaval, président du CMN.
Dans la catégorie Spectacle vivant :
J’ai l’honneur de remettre le prix à deux mécènes qui se sont engagés de façon équivalente en faveur d’un projet lui aussi remarquable :
Le projet « Orpheus XXI, musique pour la vie et pour la dignité », porté par Jordi Savall, qui accompagne des musiciens réfugiés en Europe.
J’appelle à mes côtés Firoz Ladak, directeur général des Fondations Edmond de Rothschild ; Françoise Cosson, déléguée générale de la Fondation Orange ; j’invite aussi à mes côtés Jordi Savall, que je salue chaleureusement ; ainsi que Christine Bouquin, Présidente du conseil départemental du Doubs et Présidente de l’établissement public de coopération culturelle de la Saline royale d’Arc et Senans.
Dans la catégorie Arts visuels :
J’invite Colette Tornier à me rejoindre sur scène.
Pharmacienne de formation, Colette Tornier a créé un fonds de dotation en 2011 et elle accueille, depuis 2015, deux artistes en résidence pendant trois mois, dans le domaine de Saint-Ange. Ce projet est un exemple d’engagement pour la vie culturelle et artistique sur nos territoires.
Dans la catégorie Cinéma et éducation à l’image :
J’appelle Yves Lederer, président du groupe Coriance, qui apporte son soutien à l’association « Films pour enfants » présidée par Olivier Defaye que j’invite aussi sur scène.
L’association propose gratuitement et légalement sur Internet des films et court-métrages aux parents ainsi qu’aux enseignants, pour aider les enfants à appréhender, interpréter, comprendre les images auxquelles ils sont constamment confrontés.
L’éducation à l’image est une urgence dans notre société.
C’est l’une de mes priorités.
Dans la catégorie Livre et bibliothèques :
J’ai le plaisir de demander à Guillaume Decitre de me rejoindre. Avec le soutien d’une équipe d’une cinquantaine de bénévoles passionnés, des équipes de Decitre, et de ses clients, vous avez créé le Fonds Decitre en 2011.
Vous agissez en faveur du livre, de la lecture, de l’écriture, en priorité à destination des enfants et d’adultes en difficulté. Je pense ici notamment aux « Boites à Lire », qui sont des lieux de vie accessible gratuitement, 7j/7 et 24h/24, où les habitants d’un quartier peuvent se retrouver pour échanger des livres. Il en existe plus de 250 aujourd’hui.
Dans la catégorie Métiers d’art :
J’appelle Claude Charpentier, président des amis du musée Condé ; et Nicole Garnier, directrice du musée Condé.
Les amis du musée Condé ont soutenu et permis la restauration de la majeure partie du mobilier et des objets d’art des petits appartements du château de Chantilly.
Je veux saluer l’engagement des sociétés des amis, qui sont nombreuses en France et qui sont des partenaires historiques de confiance pour nos institutions culturelles.
Un grand merci pour votre engagement.
Et enfin, pour le Grand Prix :
J’ai souhaité mettre en lumière une catégorie innovante de mécénat, que j’évoquais plus tôt et qui connaît un développement extraordinaire : le mécénat participatif.
Je vais donc récompenser deux plateformes qui ont permis à des projets de voir le jour :
J’appelle Thérèse Lemarchand, fondatrice de la plateforme « Commeon », qui a permis le financement de la restauration du plafond de l’église de Saint-Germain-des-Prés en récoltant 135 000 euros.
J’invite aussi Monseigneur de Sinety, évêque auxiliaire de Paris ; le Père de Folleville, curé de Saint-Germain-des-Prés ; et Thierry Biberson, président du fonds de dotation pour le rayonnement de l’église. Venez me rejoindre sur scène.
Et pour le Grand Prix toujours, j’ai choisi de récompenser également Quentin Mercier, administrateur de la plateforme « Proarti » :
En récoltant près de 60 000 euros, « Proarti » a de son côté permis à la pièce « Michel-Ange et les fesses de Dieu », de Jean-Philippe Noël, d’être mise en scène par Jean-Paul Bordes et produite par la compagnie Tabard-Sellers.
Je vous invite tous à me rejoindre sur scène.
Cette pièce a reçu trois nominations aux Molières 2018. Monsieur Philippe Bouteiller ainsi que Madame et Monsieur Laffon, ici présents, ont été les plus généreux donateurs de cette campagne de levée de fonds. Je tiens à les saluer.
Un grand bravo à tous.