Monsieur le président du Festival, Cher Pierre Lescure,

Monsieur le délégué général du festival, Cher Thierry Frémaux,

Monsieur le délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, Cher Edouard Waintrop,

Monsieur le délégué général de la Semaine de la critique, cher Charles Tesson,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

 

Bravo.

Bravo à tous pour vos sélections.

Pour vos films. Pour votre cinéma.

Je suis profondément heureuse de vous accueillir aujourd’hui.

Et je suis fière. Fière de voir une belle partie de la sélection cannoise réunie ici, derrière la bannière française.

Je veux vous féliciter, toutes et tous.

Et surtout, vous dire merci.

Merci pour le cinéma que vous nous offrez.

Merci pour son audace.

Merci pour sa générosité.

Merci pour vos prises de risque.

Vos prises de vue. Vos prises de parole.

Merci pour vos coups d’éclat.

Vos coups de gueule.

Vos coups de tonnerre.

Chacun de vos films est une chance : pour le public ; pour la cause qu’il sert ; pour la France.

Chacun de vos films était nécessaire.

C’est le message de la Sélection à Cannes.

C’est ce qui distingue un « grand » film, qui marque l’Histoire, d’un film « réussi » : un grand film n’est pas seulement réussi, il a les traits de la nécessité.

Merci pour les combats artistiques, politiques, philosophiques que vous portez.

Merci de faire vivre la liberté de création. Sortir du rang ; s’émanciper d’un héritage ; faire un pas de côté, hors des codes et des sillons déjà tracés. C’est aussi ce qui fait le cinéma français : le refus des convenances, de la commodité.

Merci de faire vivre la liberté d’expression. En montrant ce qui ne se voit pas. En faisant entendre ce qui ne se dit pas. En cassant des interdits parfois.

Certains l’ont fait au prix de leur liberté : je veux avoir une pensée ici pour Jafar Panahi et Kirill Serebrennikov.

Je veux rendre hommage aux hérauts de la liberté d’expression qu’ils sont.

Et je veux rendre hommage, avec eux, à tous les artistes qui à travers le monde sont inquiétés, menacés, bâillonnés.

Ce Ministère est à leurs côtés. La France est à leur côté.

Vous avez cette liberté de parole, de regard, de critique.

Cette liberté de création et d’expression.

N’en faites jamais l’économie.

Ne rognez jamais sur vos révoltes, vos combats, vos cris.

Je vous souhaite de repartir demain avec la même audace.

Continuez à faire des films : à chaque fois, comme si c’était le premier.

Nous serons là pour vous épauler.

Et nous allons le faire avec la détermination, le même engagement que ceux que vous placez dans vos films.

Ce Ministère a ses propres combats à mener, pour la défense du cinéma français.

J’en porte trois.

 

Le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour commencer.

Le compte n’y est pas.

Et ce ne sont pas seulement les femmes qui en souffrent, c’est tout le secteur. C’est le cinéma. C’est la création.

Car ce sont autant de talents dont on est privé.

Les femmes restent moins représentées dans de nombreux métiers, moins rémunérées, et moins soutenues par les producteurs en moyenne que les hommes …

Par ricochets, elles sont moins visibles, moins récompensées : les sélections des festivals sont le reflet de ces inégalités.

Le combat reste à mener.

Vous avez tous votre part à jouer : dans les projets que vous portez, soutenez, auxquels vous participez ; dans l’exemple que vous offrez, femmes et hommes, aux jeunes générations.

Cannes sera pour moi un moment de mobilisation.

Nous avons décidé, avec mon homologue suédoise, d’organiser une conférence internationale sur l’égalité femmes-hommes pendant le Festival. Elle aura lieu le dimanche 13 mai et doit rassembler des professionnels du monde entier.

Je vais prendre des mesures concrètes en France. Je considère que nous avons trop attendu. Que nous ne pouvons plus attendre.

Puisque les choses ne changent pas d’elles-mêmes, c’est à nous de les faire changer.

Je vais organiser des « Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma », au mois de juin, pour discuter d’une série de mesures avec tous les représentants du secteur.

Pour commencer, je souhaite qu’une Charte de l’égalité soit élaborée pour le secteur, et je souhaite que l’adhésion à cette Charte devienne une condition d’attribution des aides du CNC. Elle devra aborder notamment la question de l’égalité des rémunérations.

Je souhaite aussi qu’un système de « bonus » soit mis en place pour les films particulièrement exemplaires sur le plan de la parité ou de la promotion des femmes à certains postes clés dans les équipes.

Je souhaite que le Ministère et le CNC accordent un soutien privilégié aux femmes du secteur, de l’insertion professionnelle à la visibilité internationale.

Et enfin, je souhaite créer un fonds de dotation, qui réunira le concours de l’Etat et de mécènes privés, pour aider de jeunes réalisatrices à développer et à produire leurs films. Ce fonds sera ouvert aux réalisatrices du monde entier. Car le combat est universel.

J’en fais une priorité.

Second combat que je porte pour notre cinéma : le combat du soutien à la création.

Je parle de « combat », car dans le contexte économique qui est le nôtre, ç’en est un.

Ce soutien passe notamment par les aides du CNC, dont près de la moitié sont des aides sélectives qui permettent à la France d’être « le » pays du cinéma d’auteur, et la terre d’accueil des cinéastes du monde entier.

Il passe aussi par les crédits d’impôt, dont la revalorisation a permis à la France d’attirer un niveau considérable d’investissements.

Je me suis battue pour que les crédits d’impôt puissent être maintenus cette année, et je continuerai. Ils sont aujourd’hui un pilier du modèle cinématographique français.

Personne n’ignore les difficultés que peuvent rencontrer certains acteurs, qui prennent leurs risques dans la production de petits films, dans la promotion de nouveaux talents, dans l’effort engagé pour porter un film jusqu’à son public.

Nous devons continuer à explorer toutes les pistes, pour trouver des financements innovants et attirer de nouveaux investisseurs.

Enfin, je ne peux pas m’exprimer sans parler de la réforme de l’audiovisuel public, qui est en cours de réflexion.

L’audiovisuel public doit se transformer :

-         Pour développer une offre réellement alternative à celle des chaines privées et à celles des nouveaux médias sociaux ;

-         Pour reconquérir la jeunesse ;

-         Pour être pleinement présent sur le front numérique, là où les usages se développent.

Dans ce processus, la création aura un rôle clé. Je le dis clairement, comme ministre de la Culture.

La création n’est pas une composante, c’est le socle de notre modèle audiovisuel. Elle doit être au centre de la réforme.

Le troisième combat que je porte pour notre cinéma, c’est la régulation.

Elle est la condition d’exercice de vos libertés. C’est par la régulation que l’on garantit la diversité culturelle. C’est par la régulation que l’on crée de la valeur et qu’on la protège.

La France a su bâtir un cadre unique au monde. Il est l’une des raisons de notre patrimoine cinématographique.

Mais ce cadre a été inventé avant la révolution numérique.

Il faut aujourd’hui l’adapter.

C’est le sens de la bataille que je mène au niveau européen, autour de la directive « Services des médias audiovisuels ».

Aujourd’hui, des chaines et des plateformes vidéo s’établissent hors de France pour échapper aux obligations de financement de la création. Cette concurrence est inéquitable.

Nous devons imposer à ces acteurs les mêmes obligations de financement que les acteurs traditionnels établis en France.

Et nous devons imposer un quota d’œuvres européennes sur les plateformes de vidéo à la demande.

Les quelques jours à venir seront déterminants pour aboutir, au niveau européen, à un accord conforme à nos positions.

J’ai mis toutes mes forces dans la négociation, en multipliant les rencontres avec les commissaires et les députés européens. Je vous promets que nous gagnerons. Car c’est l’avenir de la création qui se joue.

L’adaptation de la régulation, c’est aussi le sens de la médiation que j’ai déclenchée sur la chronologie des médias, pour qu’un accord soit trouvé.

Revenons au constat : cela fait quatre ans que les discussions sont bloquées.

La médiation que j’ai lancée avait pour but d’engager tous les professionnels dans une démarche de responsabilité.

Car nous avons une obligation de résultat. La chronologie des médias n’est plus adaptée. Elle est décalée par rapport aux usages. Elle est décalée par rapport à l’évolution du paysage audiovisuel.

Aujourd’hui, malgré la médiation lancée, les discussions ne parviennent pas à aboutir.

J’ai donc décidé de prendre la main. Les médiateurs vont me faire des recommandations et je prendrai la main – avec leur appui et celui du CNC.

Je garde confiance dans la force de proposition et l’esprit de responsabilité de la filière.

Mais sans accord, comme je l’ai dit, je prendrai mes responsabilités. La réforme doit remplir deux objectifs :

-         Améliorer l’accessibilité des œuvres, en prenant la juste mesure des attentes et des usages des spectateurs ;

-         Et garantir le meilleur financement possible pour les créateurs, en favorisant dans la chronologie les diffuseurs qui sont le plus engagés et les plus vertueux à l’égard du cinéma et de sa diversité. J’insiste sur ce mot.

Adapter la régulation : c’est enfin le sens du plan que je vais porter pour doper la lutte contre le piratage et placer la France aux avant-postes.

C’est une priorité. Le piratage est un fléau absolu.

Il détruit votre valeur.

Il détruit votre pouvoir et votre devoir de dissidence.

Il détruit notre modèle.

Il détruit notre cinéma, notre création.

Il met en danger les moyens d’expression de générations à venir.

C’est un vrai défi parce que les modes et les technologies de piratage évoluent constamment.

L’essentiel de notre arsenal porte sur le téléchargement pair à pair, aujourd’hui, alors que le piratage se fait dans 80% des cas en streaming ou en téléchargement direct désormais.

Nous devons agir sur toutes les formes de piratage :

-         En faisant évoluer le mécanisme de riposte graduée ;

-         Et en plaçant la priorité sur la lutte contre les sites pirates, pour les assécher de toute ressource et les faire disparaître.

Je souhaite que des « listes noires » soient établies par la HADOPI, pour permettre aux annonceurs, aux services de paiement ou aux moteurs de recherche de connaître les sites illicites et de cesser leurs relations avec eux ;

Je souhaite aussi que nous ayons des moyens efficaces pour bloquer ou déréférencer les sites, et tous les sites miroirs qui se créent après la fermeture du site principal. Ce pouvoir pourrait être confié à la HADOPI, en lien avec le juge, pour répondre à la double exigence d’une suppression rapide et durable des sites pirates dans le temps.

Ce sont des pistes d’actions d’une portée considérable.

Rien de tel n’a été imaginé depuis la création de la HADOPI, c’est-à-dire depuis près de 10 ans.

Je souhaite que le rôle et les pouvoirs de la HADOPI soient renforcés, et symboliquement, que son nom soit modifié, pour marquer l’entrée dans une nouvelle ère.

La lutte contre le piratage est l’un des grands défis du siècle pour le cinéma. La France sera en première ligne pour le porter.

 

Voilà, chers amis, ma feuille de route pour la défense du cinéma français.

Voici les combats qui sont les miens.

Vous avez les vôtres.

N’en cédez rien.

Encore bravo pour vos films.

Bonne chance pour Cannes.

Je suis à vos côtés.