Mesdames et Messieurs les parlementaires et les Elus,
Mesdames et messieurs les Professionnels de la presse,
Cher Patrick Le Hyaric,
Chers amis,
Je veux tout d’abord remercier L’Humanité et son directeur Patrick LE HYARIC de cette invitation, et de leur volonté de perpétuer ainsi une grande tradition républicaine.
Je sais que vous avez, en lien avec le préfet de Seine-Saint-Denis que je salue, organisé et adapté cette 81ème Fête de l’Humanité au contexte que nous connaissons.
Nous nous retrouvons là parfaitement, car j’ai de mon côté, au lendemain de l’attentat du 14 juillet, pris fortement position, avec le soutien du Président de la République et du Premier Ministre, pour que les festivals de l’été puissent se dérouler, en les accompagnant politiquement, financièrement et avec le soutien opérationnel sans faille des forces de sécurité et de protection civile.
Nous sommes dans une période critique pour l’évolution de notre société. Des discours prônant la rupture avec l’Etat de droit sont ouvertement prononcés en France. En Europe, je pense à la Hongrie et à la Pologne, un vent mauvais souffle sur la liberté de création. J’y suis en tant que Ministre de la culture et de la communication, très attentive. En Turquie, nous sommes inquiets pour l’état de santé d’une journaliste et auteure, Asli ERDOGAN. J’ai eu l’occasion d’écrire à mon homologue pour exprimer la préoccupation de la France.
Dans cette situation, la presse doit plus que jamais exercer la responsabilité qui est la sienne. Témoigner, analyser, expliquer, protéger son indépendance et son intégrité.
Vous avez, cher Patrick LE HYARIC, très bien rappelé le rôle républicain de la presse pluraliste, qui oppose la raison et la confrontation des opinions aux obscurantismes et aux simplifications dans les mots, dans les actes, simplifications qui peuvent devenir meurtrières.
Je veux profiter de ce rendez-vous pour me réjouir de l’arrivée d’un nouveau venu dans les médias d’information avec le lancement réussi du nouveau service public d’information FRANCE INFO, qui vient corriger, réparer enfin une anomalie dans les services publics européens et doit offrir une forme différente d’information continue à nos concitoyens.
Il ne peut y avoir de vie démocratique sans progrès pour les libertés, liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse. Il revient à l’Etat, que je représente, de garantir ces libertés. Cela passe par la consolidation de l’ensemble de la chaîne de l’information depuis sa production jusqu’à sa diffusion.
C’est la justification du soutien de l’Etat au secteur de la presse, qui doit intervenir, bien sûr, en toute neutralité.
C’est aussi pour former des citoyens éclairés et responsables que nous développons l’éducation aux médias, grâce au CLEMI dont je salue l’action dans les établissements scolaires. C’est aussi le rôle des médiathèques et des bibliothèques dans lesquelles, vous le savez, on consulte beaucoup la presse. C’est pour cela que nous engageons avec les collectivités une démarche volontaire en faveur de l’élargissement des horaires d’ouverture des médiathèques et des bibliothèques, en soirée et même le dimanche, afin d’accueillir tous les publics, en particulier les familles.
En ce qui concerne le secteur de la presse, je veux d’abord rappeler la cohérence des efforts accomplis depuis 2012 pour adapter nos dispositifs d’intervention aux évolutions du secteur en particulier faces aux défis du numérique. Nous l’avons fait dans l’objectif de conforter le pluralisme, de soutenir la diffusion sous toutes ses formes et d’encourager la modernisation des entreprises de presse.
A ce titre, je citerai :
- le maintien du taux de TVA à 2,1 % pour l'ensemble de la presse papier et son extension à la presse en ligne, au terme de discussion parfois tendues avec l’UE ;
- et la réorientation des aides directes vers l’innovation, notamment numérique, par l’unification du Fonds stratégique pour le développement de la presse.
Après « Charlie Hebdo », ce cadre a été complété par un soutien renforcé au pluralisme de la presse, en l’élargissant désormais sans distinction de périodicité de publication. De même, « l’amendement Charb », baptisé ainsi car il l’a défendu lui-même dans les plus hautes sphères de l’Etat, a instauré un avantage fiscal au bénéfice de ceux qui investissent dans la presse, en particulier dans les entreprise solidaires de presse d’information.
S’agissant des dossiers en cours, je veux commencer par les valeurs que nous défendons à travers le droit.
La grandeur du métier de journaliste se mesure à son indépendance. C’est pourquoi celle-ci doit être protégée y compris par la législation.
C’est l’objet de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, portée par Patrick Bloche à l’Assemblée et dont l’examen au Parlement s’achèvera dans quelques semaines.
Cette proposition comporte des avancées majeures pour conforter la liberté de la presse, en créant par exemple un droit d’opposition des journalistes.
Mais je pense surtout à la protection du secret des sources des journalistes. Comme vous le savez, le Président de la République s’était engagé à renforcer cette protection : cet engagement est sur le point d’être tenu, avec un clivage important, vous avez pu le constater, au sein du Parlement.
La disposition que j’ai présentée au nom du Gouvernement et qui a introduit la protection du secret des sources dans ce texte, représente un équilibre ambitieux que les députés ont soutenu. Il permet des avancées majeures par rapport à la loi de 2010, notoirement insuffisante, comme la définition précise des cas limités où le secret peut être levé, la protection étendue aux collaborateurs de la rédaction, l’intervention préalable du juge des libertés pour autoriser une éventuelle levée du secret des sources et la protection du journaliste contre toute poursuite pour recel, élément majeur dont les journalistes avaient fait valoir l’importance auprès de nous. Je me réjouis que l’adoption du texte soit désormais imminente.
Parcourons ensemble si vous le voulez bien toute la chaine de l’information. En amont de cette chaîne, l’AFP est un acteur majeur, dont le travail irrigue l’ensemble de la presse française et internationale. Je félicite ici les équipes de l’agence dont l’un des photographes, vient d’être récompensé au festival Visa pour l’image pour un remarquable travail sur les migrants en Grèce.
Après avoir conforté l’an dernier le statut et la gouvernance de l’agence avec la loi initiée par Michel FRANCAIX, que je salue, la stratégie de l’Agence a été définie et partagée, lui donnant ainsi une visibilité pour les prochaines années. Dans ce cadre rénové, l’Etat saura, dans un contexte global difficile, accompagner, y compris financièrement, l’Agence dans le développement qu’elle engage sur la vidéo et les nouveaux marchés.
Plus généralement, l’adaptation aux évolutions numériques, est au cœur de nos réflexions pour l’ensemble des médias.
De ce point de vue, la question du partage de la valeur entre les ayants-droit et les plateformes de l’internet qui exploitent les œuvres de l’esprit, y compris celles produites par vos rédactions, pour s’accaparer les revenus de nouveaux usages, constitue une priorité pour la France.
Créer de nouveaux canaux de rémunérations, comme d’autres secteurs culturels l’ont fait, dans le cinéma et la musique, est indispensable au modèle économique de la presse.
C’est pourquoi la France a porté la proposition de créer un droit voisin pour les éditeurs de presse au niveau européen, dossier que j’ai moi-même défendu auprès de la Commission Européenne, dans le cadre de la révision de la directive sur le droit d’auteur.
Nous nous appuierons pour cela sur les recommandations formulées dans son rapport par Laurence Franceschini, que je salue moi aussi et que je remercie vivement pour ce travail réalisé dans des délais très contraints.
La création d’un tel droit voisin permettra aux éditeurs de mieux faire valoir sur internet les droits de la presse, et ceux des journalistes, dans leur relation contractuelle avec les grandes plateformes de diffusion. Nous porterons avec conviction cette position en parfaite harmonie avec l’Allemagne et probablement d’autres pays. Nous avons bon espoir que cela figure dans le projet de la commission européenne, le 21 septembre. Nous le défendrons avec force.
Cette action résolue n’a qu’un but : garantir la pérennité de la presse pluraliste dans un environnement en mutation.
La même vision doit nous guider s’agissant des soutiens financiers de l’Etat à la presse – près de 130 M€ pour les seules aides directes : ils visent d’abord à consolider le pluralisme.
L’expression diversifiée des idées et des opinions, par un soutien particulier aux titres les plus fragiles, reste un pilier de cette politique. C’est pour cela que l’aide au pluralisme pour les titres nationaux à faibles ressources publicitaires a été élargie à toutes les périodicités l’an dernier et que l’aide à la presse régionale l’a été cette année.
Ensuite, ces aides accompagnent un secteur dans sa transition numérique qui doit trouver des modèles adaptés aux usages de nos concitoyens, qui viennent s’ajouter aux usages anciens mais qui ne les remplacent pas. Dans ce sens, comme le Gouvernement s’y était engagé, deux mesures fortes sont entrées en vigueur ces derniers mois :
1) le renforcement et l’élargissement des aides du fonds stratégique pour le développement de la presse ;
Je tiens à souligner que, dans ce cadre les sites de presse en ligne de la «connaissance et du savoir», qui contribuent pleinement à l’éducation et à la formation des citoyens, sont à nouveau éligibles à ces aides. Nous nous y étions engagés et c’est bien le cas.
2) la mise en place d’un fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation.
C’est un changement de logique assez fort qui nous permet désormais d’encourager la création de nouveaux médias et de contribuer à la pérennité des entreprises éditrices lors de leurs premières années, qui sont souvent les plus risquées.
Cependant, ces aides directes aux entreprises de presse ne peuvent aller sans contreparties, (l’Etat restant bien sûr à bonne distance).
C’est pourquoi je tiens à achever, rapidement, la signature des conventions pluriannuelles avec les groupes de presse bénéficiaires des aides, dans un cadre qui est négocié et que vous discutez actuellement. Ces conventions comporteront des engagements concrets de leur part, dans plusieurs domaines, dans une logique de bonnes pratiques et d’exemplarité.
Comme cela a été annoncé à l’occasion du festival Visa pour l’image, ces engagements pourront porter sur les relations avec les photojournalistes et en particulier sur les délais de paiement. Ils pourront porter aussi, par exemple, sur l’éducation aux médias. Toute cette démarche répond à un souci d’intérêt général mais elle est aussi dans l’intérêt des entreprises de presse elles-mêmes.
Enfin, ce soutien est bien sûr articulé avec des aides à la diffusion.
Au sujet de la circulation de la presse et des tarifs postaux, je veux ce soir expliquer devant vous la décision qui a été prise de ne pas procéder à la re-catégorisation au sein de la presse non-IPG.
Après avoir pesé tous les éléments du dossier avec le soutien de mes équipes et de la DGMIC que je remercie, j’ai considéré qu’il n’était pas pertinent de créer une nouvelle catégorie de presse qui aurait bénéficié d’un tarif postal intermédiaire, mais dont les frontières étaient plus difficiles à appréhender que celle de la presse d’information politique et générale. Une telle distinction était par ailleurs complexe à mettre en œuvre, tant d’un point de vue juridique qu’administratif, et connaissant l’esprit taquin de certains, je la pensais peut-être juridiquement fragile.
C’est pourquoi il a été décidé que la seule distinction à opérer au sein de ces aides serait celle qui sépare la presse d’information politique et générale (IPG), qui concourt au premier chef au pluralisme du débat public, des autres titres.
Les tarifs postaux devaient être réévalués afin de préserver à la fois les équilibres économiques de La Poste et la viabilité des entreprises de presse.
Par conséquent, je suis heureuse de vous annoncer ce soir que, hors inflation, les tarifs des quotidiens à faibles ressources publicitaires resteront inchangés jusqu’en 2020, que ceux de la presse IPG connaîtront une augmentation annuelle de 1% et que ceux de la presse non-IPG augmenteront de 3% l’an, toujours hors inflation. C’est la plus faible hausse des tarifs postaux, pour la presse dans son ensemble, depuis plus de 10 ans.
L’équilibre de ce dispositif tarifaire implique que la compensation du moratoire ne soit pas mise à la charge des éditeurs, c’était un engagement. Mais il appelle également une mesure d’équité : les suppléments hebdomadaires des quotidiens verront, sur quatre ans, je le précise, de façon lissée, leur tarif postal s’aligner sur celui des magazines dont le contenu est similaire.
Ensuite, comme vous avez évoqué l’aide au portage, je vous précise que,comme en 2014 et 2015, nous maintiendrons en 2016 un dispositif de sauvegarde sur les montants d’aide au portage alloués à chaque titre, sans nous priver cependant de la nécessaire réflexion globale pour l’avenir.
S’agissant enfin de la vente au numéro, l’État continue de veiller à la mise en œuvre de la restructuration des messageries de presse. Pour cela – j’insiste – chacun doit prendre sa part de l’effort, conformément au principe de solidarité de la profession qui est le fondement de ce système.
Parallèlement, et très important, nous travaillons à un nouveau plan de soutien public au réseau de marchands de journaux. Le recours à l’aide à la modernisation des diffuseurs sera facilité. L’IFCIC pourra également être mobilisé au soutien des projets de création et de reprise de points de vente de presse. Je connais les attentes des marchands de journaux et celles de nos concitoyens qui y sont attachés.
J’aurai l’occasion de détailler dans quelques semaines les autres volets de ce plan ambitieux.
Pour conclure, j’ai souhaité préciser les mesures d’une action de soutien qui inclut toute la chaîne de l’information : de sa production jusqu’au point de vente de la presse.
L’Etat vous accompagne tout en restant à bonne distance : ni trop près, ni trop loin, en soutien. Vous pouvez compter sur cette éthique qui est la nôtre, et sur notre défense de la liberté d’expression et d’information qui garantit toutes les autres. Ces valeurs, ces libertés sont constitutives d’un Etat de droit, qui est le meilleur garant de l’avenir de notre démocratie. C’est la vision qu’a défendue ce matin le Président de la République et que le Gouvernement auquel j’appartiens continue de défendre.
Je vous remercie.