Madame la Présidente,
Madame la Présidente de la Commission,
Mesdames et Messieurs les rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Nous nous retrouvons aujourd’hui en deuxième lecture pour l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Je voudrais d’abord rappeler ici les principaux enjeux de cette loi :
•affirmer la liberté de création, et de façon corollaire, la liberté de diffusion et de programmation
•promouvoir la transparence et la concertation dans les industries culturelles
•favoriser la qualité architecturale et encourager l’amélioration de notre cadre de vie
•clarifier les dispositifs et affirmer la responsabilité scientifique de l’Etat, dans le domaine du patrimoine
Mais c’est évidemment une ambition plus vaste que cette loi décrit dans les domaines de la création, de l’architecture et du patrimoine :
- en réaffirmant la nécessité d’une politique publique portée et partagée entre l'Etat et les collectivités locales ;
- en accompagnant le développement de l'accès à la culture et le renforcement de la formation artistique en direction de la jeunesse ;
- en consolidant le soutien aux professions et la protection des artistes.
Nous avons engagé ensemble ce travail législatif, en février dernier et au terme duquel votre assemblée avait déjà largement amendé et renforcé le texte.
C’est ainsi que trente-sept nouveaux articles sont venus enrichir le projet de loi présenté, avec pas moins de 850 amendements déposés, entre vos travaux de commissions et les séances publiques.
Cet apport du Sénat est incontestable et a permis de nourrir le texte quant à plusieurs sujets, relatifs notamment à la musique, au livre, à la propriété intellectuelle, au soutien à la création, à la réforme des espaces protégés au titre du patrimoine.
Parallèlement, vous aviez également adopté sans modification près de 30 articles, notamment l’article 1er relatif à la liberté de création, qui est la pierre angulaire du texte.
L’Assemblée nationale a, elle aussi, su travailler à un rapprochement en rejoignant les positions exprimées par la Haute assemblé sur pas moins de 24 articles, parmi lesquelles ceux touchant au livre, au cinéma, à la musique, à la propriété intellectuelle, à l'emploi et à la formation des professionnels de l’art et de la culture, au patrimoine et à l’architecture.
Bien sûr, il reste encore du chemin à parcourir avant que ne se dégage un consensus sur chacun des sujets. Je n’ignore pas que les points de vue des deux assemblées doivent se rapprocher encore davantage, notamment pour conforter la place de la création et l'indépendance des artistes et des auteurs ; je n’ignore pas non plus que des équilibres doivent se trouver autour de l’archéologie préventive ou du patrimoine par ailleurs.
C’est pourquoi, je porterai un certain nombre d’amendements qui je l’espère sauront participer à faire naître ce consensus entre les deux assemblées.
Sur l’article 2, votre commission a souhaité rétablir une partie de la rédaction adoptée en première lecture en supprimant la qualification de « service public », au bénéfice d’une « construction en concertation » avec les acteurs de la création artistique.
Pour ma part, je n’exclus pas l’un de l’autre et je suis évidemment attachée à la diversité des acteurs du secteur associatif ou du secteur privé. Pour autant, l’affirmation du caractère de service public de la politique menée par l’Etat en faveur de la création artistique me semble essentielle pour guider l’action des pouvoirs publics les artistes, les professionnels et les citoyens. C’est un choix qui renforcera notre modèle français, reconnu comme tel dans le monde entier.
C’est l’honneur de la France que de porter haut cette conception.
De la même manière, à l’article 3, relatif à la labellisation des lieux de spectacles, votre commission a souhaité limiter l’agrément du ministère de la Culture et de la Communication à ceux majoritairement financées par l'État. Je pense que le maintien de l’agrément ne doit pas être vu par le seul prisme financier, mais comme la reconnaissance, par l’État, d’un projet artistique et culturel porté par son directeur ou sa directrice. Par ailleurs, votre commission a souhaité supprimer la référence faite au renouvellement des générations et de diversité. Deux principes que je pense essentiel de maintenir dans le texte. Ces principes sont essentiels pour que la création soit réellement le reflet de la diversité de notre société. Sujet sur lequel nous avons encore beaucoup à progresser.
S’agissant du volet du projet de loi portant sur la propriété intellectuelle et en particulier dans le domaine de la musique enregistrée, le Gouvernement est attaché à la dynamique engagée, s’agissant de la rémunération des artistes interprètes, en vue de rémunération minimale garantie négociée en contrepartie de l’exploitation numérique de leurs enregistrements. Cette garantie de rémunération est subordonnée à une négociation collective qui a déjà commencé ses travaux. A défaut, d'un accord dans un délai de douze mois après la promulgation de la présente loi, le texte prévoit que cette rémunération sera alors fixée par une commission administrative paritaire.
Dans cette même logique, le Gouvernement souhaite maintenir l’interdiction de cessions de créance de l’artiste interprète à un producteur incluant les sommes issues de la rémunération équitable ou de la copie privée (article 5). Dans l’intérêt même de nos artistes, cela vise à s’assurer que le « remboursement » n’excèdera pas le montant de l’avance qu’il a pu percevoir.
Sur l’article 7 bis AA, relatif aux enregistreurs personnels dans le nuage (NPVR) il s’agit d’assurer le développement de ce service innovant qu’est l’enregistrement dans le « nuage », dans des conditions qui garantissent un haut niveau de protection des programmes et une coexistence harmonieuse de différents types de services. Rien ne justifierait d’entraver le développement de ces services substituables aux modalités actuelles de copies effectuées par les consommateurs sur le disque dur de leur appareil.
En revanche, il nous faut avancer de façon mesurée compte tenu des capacités de stockage digitales dans le nuage, et de leur impact éventuel sur la consommation à la demande, qui pourrait être au détriment des services des éditeurs de télévision.
C’est pourquoi des garanties sur les modalités d’assujettissement des services d’enregistrement dans le « nuage » à la copie privée doivent être précisées.
Votre commission a exprimé cette préoccupation et nous pourrons néanmoins rediscuter les modalités de détermination des garanties apportées aux éditeurs de télévision, sur lesquelles je vous ferai une proposition.
Sur l’article 11 ter qui concerne les quotas de chanson francophone à la radio : comme je m’y étais engagée, une concertation a été menée pour concilier l’objectif de quotas alors qu’ils étaient jusqu’ici parfois détournés, avec la diversité éditoriale des radios. Le résultat de ce travail me permet de vous présenter un amendement qui répond, je l’espère, à des interrogations exprimées par la filière et notamment par les artistes. Je proposerai de mieux définir les cas où des engagements au titre de la diversité peuvent justifier des modulations limitées aux quotas qui seront désormais effectifs pleinement. Nous aurons l’occasion là aussi d’en reparler lors de la discussion.
Je souhaiterais évoquer aussi un sujet qui tient à cœur, je le sais, à votre Présidente de Commission : celui des conservatoires (article 17 A). Je sais que votre commission n’a pas été convaincue par la rédaction sortie de l’Assemblée nationale alors même que celle-ci a recherché un consensus et alors même que l’État a envoyé un signal fort de réengagement financier en faveur de l’enseignement artistique dans les conservatoires.
Aujourd’hui, nous devons porter une attention particulière à la diversité du recrutement aussi bien pour l’enseignement spécialisé que pour l’enseignement professionnel initial artistique.
Un des axes du ré-engagement de l’Etat dans le financement des conservatoires fait justement de la diversité du recrutement une priorité.
Dans la logique des lois de décentralisation, qui ont confié aux Régions la compétence en matière de formation professionnelle, un engagement plus volontaire de celles-ci dans l’organisation et le financement des classes préparatoires, donnant accès à l’enseignement artistique supérieur, serait un signal très positif et un équilibre acceptable
S’agissant du volet du projet de loi relatif au patrimoine et à la promotion de l’architecture, le bilan des deux lectures reste plus contrasté même si je me réjouis des rapprochements opérés entre vos deux assemblées sur le volet relatif à la réforme des espaces protégés et sur les conditions d’élaboration des « plans de sauvegarde et de mise en valeur » et des « plans de valorisation de l’architecture et du patrimoine ». De la même manière, les dispositions relatives à l’architecture ont su trouver dans leur globalité des positions médianes.
Restent des divergences néanmoins entre les deux assemblées sur la place de l’architecte dans le permis d’aménager (article 26 quater). Il n’est pas ici question d’exclure la compétence de professionnels autres qui concourent à l’aménagement de notre cadre de vie mais de veiller à ce que les architectes puissent œuvrer à l’aménagement de l’espace, tant celui-ci est lié à la qualité architecturale, avec tout l’apport nécessaire des compétences d’autres professionnels de l’urbanisme et du paysage.
Dans le domaine du patrimoine, nous avions réfléchi ensemble, je m’en souviens, à une appellation plus pertinente que les «cités historiques» alors proposée.
Au terme des débats à l’Assemblée nationale, l’appellation de «sites patrimoniaux remarquables» qui a été proposée a fait consensus. Votre commission l’a conservé et je m’en réjouis, Je pense que nous avons trouvé la bonne formulation.
Je le disais précédemment, bien sûr, ces rapprochements ne me font pas oublier qu’il reste du chemin à faire, notamment sur l’archéologie préventive (article 20), les missions de la commission nationale et des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture (article 23), celles enfin de la commission locale du site patrimonial remarquable, que votre commission souhaite rendre obligatoire là où l’Assemblée nationale et le Gouvernement préfèrent qu’elle soit facultative, ce qui nous semble plus souple (article 24).
Nous avons en parallèle, vu se dénouer un certain nombre de sujets et nous pouvons, je crois ,collectivement nous en satisfaire, tant nous avons chacun à notre place œuvré à les faire aboutir.
Je pense notamment à la question des accords sur les obligations des chaines de télévisions en matière d’investissements dans la production d’œuvres audiovisuelles. Une adaptation est nécessaire et la volonté de votre rapporteur, Monsieur Leleux, de voir modifié l’équilibre entre production audiovisuelle indépendante et production intégrée s’est exprimée fortement lors de nos débats.
Comme vous le savez, je reste convaincue que le soutien à la production audiovisuelle indépendante, au travers de l’investissement des chaînes de télévision, est une garantie fondamentale du dynamisme et de la créativité de notre production audiovisuelle. Cela n’exclut pas, au contraire, des évolutions pour accompagner les évolutions du marché, les usages et les stratégies des acteurs économiques du secteur.
Dès lors que l’Etat, et donc la loi, fixe ces principes, les acteurs sont les mieux placés pour déterminer de nouveaux équilibres par la voie d’accords négociés. Ils en sont capables et l’ont démontrés aujourd’hui même en signant au ministère de la Culture et de la Communication, en présence de nombreux sénateurs, un accord entre le groupe TF1 et les représentants des producteurs indépendants.
Huit ans après le précédent accord, il marque une nouvelle étape dans les relations entre les parties, confirmant l’engagement dans la production d’œuvres audiovisuelles françaises et européennes du groupe TF1, tout en donnant un cadre plus souple à ses investissements. Cet accord préserve, en l’adaptant, l’encadrement des droits acquis par le groupe en favorisant la diversité et la vitalité de la production audiovisuelle.
Il fait suite à celui d’ores et déjà signé par France Télévisions en fin d’année dernière, fondé sur la même logique, et dans la dynamique duquel s’inscrit également l’accord signé par Arte. Ensemble, ces accords permettent des évolutions qui couvrent plus de 70% des investissements dans les œuvres audiovisuelles en France. Et j’espère que d’autres groupes privés participeront à ces dynamiques collectives qui vont dans le sens de l’intérêt général.
Ces accords démontrent la capacité des organisations professionnelles à dialoguer sous l’égide des pouvoirs publics et au service des grands objectifs que le législateur a fixé. Je forme le vœu que d’autres grandes chaînes puissent rejoindre cette dynamique et ne doute pas que votre rapporteur continuera de suivre tout cela de très près.
De la même manière, grâce à la confiance que le Parlement a souhaité placer dans le dialogue social par la loi relative au dialogue social et à l'emploi, nous sommes également en voie de trouver une issue favorable pour conforter et mieux encadrer le régime spécifique d’assurance chômage des artistes et techniciens du spectacle, qui viendra pérenniser un modèle dont notre pays peut s’enorgueillir et qui permet aux professionnels du spectacle de vivre de leur métier et de travailler à la vitalité de la création artistique française.
Pour la première fois, les organisations représentatives du spectacle ont eu les clés de la négociation. Ils ont su trouver un point d’équilibre et l’accord du 23 avril a été signé par toutes les organisations professionnelles du spectacle. Des efforts ont été faits côté salariés (plafonnement du ARE/Rémunération, fin de l’indemnisation pendant les périodes de congés) et côté employeurs (hausse des cotisations d’un point, fin des abattements au 1er juillet 2017), pour réaliser des économies dans l’intérêt général de l’assurance chômage.
J’ai par ailleurs réuni la semaine dernière le Conseil national des professions du spectacle pour échanger sur les conditions de mise en œuvre d’un fonds pour l’emploi dans le spectacle, doté de 90 millions d’euros qui sera un levier puissant pour réduire le recours à l’assurance chômage lorsqu’il n’est pas justifié, mais qui va aussi permettre d’accompagner mieux encore les entreprises du spectacle dans leur développement et pour la consolidation de leurs projets.
Autre exemple de ce qui peut être fait, sans nécessairement recourir à la force de la loi, mais en faisant confiance au sens de la responsabilité des professionnels : cet accord signé le 13 mai dernier à Cannes, par l’ensemble des organisations professionnelles du cinema représentant les exploitants de salles de cinéma, les distributeurs et les producteurs pour favoriser l’accès des tous les films indépendants aux moyennes et grandes salles et permettre une meilleure diffusion des films dans les zones rurales et les villes de moins de 50 000 habitants.
C’est une réponse fine et adaptée, que seuls les professionnels pouvaient élaborer, pour que puissent se rencontrer le public et les films dans toute leur diversité. Car cette diversité est rarement spontanée, il faut l’organiser et la protéger de façon volontariste.
Et, dans tous les domaines de la culture, la diversité est constitutive de la formation du regard, de l’ouverture à l’autre et de la richesse de la création.
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Nous avons devant nous plusieurs jours de débats qui seront, j’en suis sûre, fructueux.
Ces deux lectures, je l’espère, permettront d’aboutir à un consensus entre les deux assemblées au terme de cette deuxième lecture. C’est en tout cas un objectif que je poursuis.
Si nous avons la chance d’avoir une offre culturelle de grande qualité partout en France, c’est parce que l’Etat et les collectivités travaillent ensemble, sans relâche pour maintenir cette attractivité au travers le soutien à la création, l’accès à l’éducation artistique et par la mise en valeur de notre patrimoine.
C’est là notre mission collective et notre devoir envers les générations à venir.
Je vous remercie.