Cher Rabih Kayrouz

Pour décrire votre art, vous aimez citer ces mots de Charles Corm dans L'Art Phénicien, le premier ouvrage en français paru au Liban : « le geste de l’artiste libanais s’ajoute au verbe du poète [pour] un art vivant, sincère et personnel, un art robuste qui continue la tradition et la renouvelle. Un art qui [est] de notre temps et de toujours. » Plus qu’un style de vie, la haute couture, est pour vous un savoir-faire, entre technicité et artisanat. Elle est chez vous une « symphonie de la lumière », pour reprendre le titre d’un recueil du poète libanais, magistralement exécutée par les meilleurs maîtres d’art.

C’est à Paris, à l’Ecole de la Chambre Syndicale de la Couture, que vous développez votre passion pour la mode. Vous perfectionnez votre art au sein des plus grandes maisons, dans les ateliers de Dior et de Chanel avant de retourner au Liban pour vous inspirer de l’incroyable énergie et du dynamisme d’un pays alors en pleine reconstruction. Dix ans plus tard, de retour à Paris, vous installez votre maison de couture dans l’ancien Petit Théâtre de Babylone.

La beauté tient pour vous à la simplicité de l’évidence : toute élégance, dites-vous, est perdue si l’on a trop conscience de ce que l’on porte. Vos silhouettes, aussi légères qu’un souffle, épousent la démarche, les mouvements et les gestes du quotidien qu’elles contribuent à libérer. Empruntant à la tradition orientale du caftan, du kimono ou de l’abaya, votre style épuré est le prolongement d’un seul geste. Chez vous, c’est le corps émancipé qui porte le vêtement, et non pas l’inverse. C’est l’attitude qui dicte le tombé du tissu : la robe, dans la pudeur d’une longueur ou l’audace d’une fente, se laisse basculer vers l’arrière par le seul mouvement d’une épaule.

 

 

Parce que vous voulez habiller toutes les femmes et adapter vos silhouettes au rythme de la vie moderne,  vous faites une place de choix au prêt-à-porter. Marquées par la sensualité, à l’image de votre emblème, la grenade, porte-bonheur libanais, fruit de la féminité et signe de vitalité, vos collections jouent sur les matières vaporeuses et légères, les effets de transparence et la lumière. Comme soufflées de l’intérieur, vos robes de charmeuses sont des rêves de douceur : les étoffes légères sont comme des caresses, les soies se soulèvent avec lenteur et le taffetas danse et ondule sous un vent de passion.

Entre Barbès et Batroun comme le suggère votre dernière collection, votre univers traduit les influences de votre Liban natal et d’un occident métissé : à la fluidité et la souplesse méditerranéennes répondent la sophistication et l’extrême structure du Paris urbain. A vos origines libanaises, vous empruntez la douceur du toucher, les couleurs du désert et de ses fruits, à Paris, le rythme du quotidien et la démarche de la citadine. A l’image de cet « Eté en ville » que vous avez présenté dans la galerie du Grand Palais où, les pieds nus et les poignets cerclés d’or ou d’argent, la femme de la ville porte avec la même décontraction la charmeuse de soie et la robe vestale, le pantalon marine et la veste safran dans la quiétude d’une chaude soirée d’été.

Passeur de talent, vous avez aussi à cœur d’accompagner et d’encourager la jeune création. Après avoir conçu l’ « Espace mode » du salon des Artistes décorateurs pour permettre à dix jeunes créateurs de mode français et libanais de présenter leur travail, vous fondez une association pour aider les jeunes créateurs libanais à faire leurs premiers pas. Chaque année, ce sont ainsi quatre à cinq designers qui sont soutenus dans la réalisation et la promotion de leur collection. Vous avez d’ailleurs été vous-même parrainé par Maurizio Galante lors de votre entrée dans la haute couture.

Cher Rabih Kayrouz, vous incarnez la vitalité et les influences multiples d’un secteur résolument ancré dans son époque, tourné vers l’avenir et porté par un savoir-faire artisanal perfectionné depuis plusieurs millénaires. Chez vous, la mode se déploie avec une grâce infinie, poésie contemporaine, intemporelle, elle est de notre temps et de toujours. C’est pour cet art vivant et personnel, riche du dialogue entre la France et le Liban, un pays cher à nos cœurs et dont vous incarnez si bien les valeurs, que la République française rend aujourd’hui hommage à celui que les Beyrouthins surnomment le « Parisien ».

Cher Rabih Kayrouz, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.