Madame la ministre, Chère Najat,
Madame la présidente du CNC, Chère Frédérique Bredin,
Madame la présidente d’ARTE, Chère Véronique Cayla,
Madame la présidente de l’association Le Deuxième Regard, Chère Bérénice Vincent,
Mesdames et messieurs les députés et sénateurs,
Mesdames et messieurs, chers amis,
« Le cinémanous offre le reflet, non plus seulement du monde, mais de l'esprit humain ». Cette réflexion d’Edgar Morin doit nous conforter dans nos engagements : le cinéma ne peut pas être le reflet des blocages de notre société. Pour que le cinéma soit véritablement à l’image de l’esprit humain, la place qu’y occupent les femmes dans la création doit être au cœur de nos préoccupations.
Le cinéma, depuis ses origines, est constitué d‘œuvres et d’aventures humaines collectives. Depuis la seconde guerre mondiale, l’action des pouvoirs publics a contribué à structurer le modèle français de développement et d’accompagnement du cinéma. Alors que parallèlement les femmes ont progressivement su conquérir leur indépendance financière, et de citoyennes, notre époque nous invite à aller plus loin. Il y a donc eu des avancées conjointes du cinéma et de la cause des femmes.
Il est en effet temps de nous occuper des individus qui font le cinéma, des discriminations au sein du monde du cinéma. Valoriser les individus, femmes et hommes, et leurs métiers, permettra de mettre à bas ces stéréotypes qui dictent trop souvent la division des métiers : combien de femmes maquilleuses ou scriptes ? Combien de femmes directrices de la photographie ou productrices ? Encore trop peu. Aujourd’hui nous avons toute une nouvelle génération de femmes, réalisatrices, productrices, et je remercie Julie Gayet, Isabelle Czajka et Agnès Varda de leur présence.
Caroline Champetier a ouvert la voie mais elle témoigne de son isolement dans un milieu très masculin.
Les clichés sont tenaces, les réalités sont criantes. Nous devons avoir des politiques très volontaristes pour y remedier.
C’est l’ambition de cette charte qui nous réunit aujourd’hui.
Le combat n’est pas un combat essentialiste, et je remercie l’association Le Deuxième regard, association de professionnels du cinéma qui s’adresse à toutes et à tous. Pascal Rogard est là et je l’en remercie, pour témoigner de l’implication des hommes dans notre combat commun. C’est un enjeu de société et c’est l’ensemble de la société, c’est l’ensemble de la création qui a tout à gagner.
Cette charte s’inscrit dans la volonté du ministère de la Culture et de la Communication, de placer l’égalité femmes/hommes au sein des politiques culturelles. C’est une politique volontariste, nous l’avons défendue à Cannes avec Najat Vallaud-Belkacem, nous aurons l’occasion de la défendre au Sénat avec l’étude du rapport sénatorial sur la place des femmes dans les politiques culturelles.
Mon intention est de faire bouger les lignes. J’ai commencé à le faire par des actes symboliques mais bien réels. Il faut de l’engagement, de la solidarité. Cela ne se fait pas sans difficulté, cela suscite des polémiques, des critiques avec des arguments sur le fait que l’on nommerait des femmes juste parce que ce sont des femmes, que c’est une injustice faite aux hommes que de nommer des femmes compétentes et créatives.
Cette charte s’inscrit pleinement dans ma volonté de valoriser la place des femmes dans la culture. Elle est exemplaire de ma politique volontariste : pour faire bouger les lignes, il faut des actes symboliques, mais aussi de l’engagement et de la solidarité entre acteurs publics et privés.
C’est ce que j’ai entrepris, dès mon arrivée au ministère de la Culture et de la Communication.
Après le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité femmes hommes présidé par le Premier ministre et piloté par Najat Vallaud-Belkacem le 30 novembre dernier, j’ai voulu mettre en œuvre ma feuille de route sans plus attendre.
Il fallait d’abord combattre l’ignorance, ou pire l’indifférence, sur ce sujet et « rendre visible l’invisible » pour faire plus largement connaître la réalité de la situation et ainsi pouvoir la faire évoluer.
Je me suis donc appuyée sur l’observatoire de l’égalité dans la culture et la communication, une étude qui rassemble les informations sur les nominations, les rémunérations et les programmations de tous les établissements publics culturels mais aussi l’accès aux moyens de productions dans tous les champs de la culture. Nous avons ainsi pu constater que les moyens de production dans le spectacle vivant selon que le metteur en scène était un homme ou une femme allaient du simple au double. Publiée le 1er mars dernier, elle sera actualisée et complétée au début de l’année 2014. Et je remercie Nicole Pot qui est chargée au sein du ministère de la Culture et de la Communication de la question de l’égalité hommes/femmes et qui est extrêmement engagée dans cette politique volontariste dans laquelle elle se battait un peu seule auparavant.
Il fallait ensuite mettre en œuvre une politique incitative : c’est par là que passe le changement.
J’ai installé dès le mois de mars un comité pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication qui rassemble tous les acteurs de la culture, parmi lesquels, Marc Nicolas, directeur général de la Femis qui est représenté ce matin, Caroline Champetier réalisatrice et directrice de la photographie et Marjane Satrapi, auteure et réalisatrice, qui représentent le cinéma et tous les enjeux du secteur au sein de ce comité.
Nous avons depuis défini les leviers qui nous permettrons de faire évoluer la situation. C’est là que j’ai concentré mon action et celle de mon Ministère :
- les contrats liant le Ministère aux différentes institutions définiront des clauses de promotion de l’égalité - la nomination, la rémunération et la place des femmes dans la programmation – notamment dans le cadre du renouvellement des Contrats d’Objectifs et de Moyens passés avec les médias publics ;
- une circulaire ministérielle envoyée aux préfets et aux Drac demande plus de parité dans la composition des jurys de sélection des candidats aux postes de dirigeants des institutions dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques. Elle insiste aussi sur la parité des listes restreintes. Pour la direction des centres dramatiques j’ai demandé qu’il y ait quatre personnes présélectionnées et cette liste doit être paritaire, deux hommes et deux femmes ;
- dans le cadre d’une saison égalité, un courrier a été envoyé aux dirigeants des institutions culturelles dans le secteur du spectacle vivant pour les inciter à inverser la tendance en donnant une place plus équilibrée aux femmes artistes dans la programmation comme dans la répartition des moyens alloués à la production. Inciter ne signifie pas que nous devons nous ingérer dans tel ou tel choix artistique; pour en revenir au cinéma, autant répondre immédiatement à l’interrogation : je ne suis pas favorable à l’établissement de quotas arbitraires de films de femmes ou valorisant l’action des femmes en sélection officielle du Festival de Cannes ! Je sais les dirigeants du Festival sensibles à ce sujet et je tiens à leur renouveler toute ma confiance. Je sais aussi pouvoir compter sur leur attention et leur vigilance à l’avenir.
L’égalité entre les femmes et les hommes commence au sein même de mon Ministère. Pour une plus juste représentation des femmes dans la culture, mon administration doit servir d’exemple. J’ai la chance d’avoir un cabinet qui est plus que paritaire et je souhaite que ce modèle s’étende.
Je m’y engage donc fermement : tous les renouvellements des personnalités qualifiées dans les CA et dans les commissions consultatives du Ministère seront paritaires.
Il est aussi urgent de constituer un vivier exhaustif dans tous les corps concernés par les postes de direction, en repérant les talents dans tous les domaines et en organisant des formations adaptées. Je sais qu’un guide des expertes dans les médias a été publié.
Car, c’est mon ambition, il nous faut nommer davantage de femmes aux postes de responsabilité au sein du ministère de la Culture et de la Communication et aller au-delà des objectifs de la loi Sauvadet.
Enfin, et cela a été évoqué par Najat Vallaud-Belkacem et ce n’est pas le moindre de nos chantiers, nous avons voulu mobiliser toutes les énergies dans la lutte contre les stéréotypes.
C’est par là que commence le combat pour l’égalité.
Il faut avoir une attention particulière à nos domaines du cinéma, de la télévision, du spectacle, parce que la culture véhicule des représentations du monde, donne des modèles mais peut également véhiculer des stéréotypes difficiles à combattre. Notre mobilisation doit donc passer par là.
Les médias, le cinéma, sont au cœur de ces enjeux. Parce que l’image a une très forte influence sur la formation des idées et la construction des consciences, nous devons veiller à ce qu’elle soit le véhicule, non pas des blocages et des stéréotypes, mais d’une juste représentation des femmes.
La lutte contre les stéréotypes passe aussi par la formation et par nos écoles : nous devons convaincre nos jeunes que, pas plus qu’il n’y a de métiers qui seraient réservés aux femmes (ou aux hommes !), aucun métier ne leur est fermé. C’est vrai dans tous les domaines, c’est particulièrement vrai dans la culture où l’on observe de grandes inégalités dans la division du travail.
Dans les métiers techniques comme dans les métiers des directions d’établissement, on observe d’immenses inégalités dans la division du travail. Des inégalités aussi entre les disciplines, dans le monde de la musique qui est par exemple, un monde très difficile d’accès aux femmes : on connait la situation des femmes chefs d’orchestre, il y en a trop peu, elles se battent pour venir à cette reconnaissance ; je salue à ce titre, Laurence Equilbey et l’artiste lyrique Nathalie Stutzmann, qui sont à l’avant-garde de ce combat.
Un peu plus de 6 mois après la mise en œuvre de cette feuille de route, nous devons continuer à mobiliser toutes les énergies mais nous pouvons déjà nous réjouir de certaines avancées.
Nous disposons désormais d’outils efficaces pour mesurer précisément les déséquilibres et mieux les enrayer.
L’observatoire, dont les résultats sont examinés par le comité ministériel, est un précieux outil de mesure. C’est aussi un moyen d’évaluer notre action pour une plus grande efficacité. Il sera très prochainement alimenté par les conclusions du rapport que le CNC me remettra fin novembre autour de la place des femmes au sein du CNC et de son système d’aides mais aussi, plus largement, sur la place des femmes dans la réalisation de films et dans la production cinématographique et audiovisuelle. C’est un travail extrêmement complet qui va permettre d’avoir un état des lieux le plus précis possible des discriminations dont sont victimes les femmes. Je remercie Frédérique Bredin et son équipe pour leur travail et leur très forte mobilisation sur le sujet.
La politique de nominations que j’ai menée depuis l’année dernière marque le début d’une dynamique que je souhaite durable.
Face à la sous représentation des femmes à la tête de nos institutions culturelles - 90% des dirigeants sont des hommes – et à ce qu’il convient d’appeler un blocage institutionnel, j’ai voulu impulser un mouvement, que je poursuivrai, pour favoriser le renouvellement à la tête de nos institutions. Et le fait d’avoir mis en place ce jury paritaire, de demander que l’on me propose des listes restreintes de candidats paritaires en fait partie.
Aujourd’hui, grâce à une politique de nomination portée par une vision forte, on remarque que le simple fait d’avoir des commissions de sélection qui sont désormais elles-mêmes paritaires permet plus de 50% de candidatures féminines, contre moins de 20% auparavant.
Les résultats ne se sont pas fait attendre : nous avons pu ainsi nommer très récemment Frédérique Bredin à la tête du CNC mais encore Irina Brook au Théâtre national de Nice ou Sophie Makariou au Musée Guimet….parmi d’autres !
A chaque fois ce sont des femmes qui ont une pleine légitimité, beaucoup d’expérience, beaucoup d’énergie et ont donc eu enfin une vraie chance de pouvoir occuper une place à leur mesure.
C’est le signe que quelque chose est en train de bouger dans le paysage culturel français.
C’est le signe aussi que seule une volonté politique forte nous permettra d’avancer sur le terrain de l’égalité. Cette volonté, elle s’exprime par cette charte qui, par la signature, engage, au-delà de la nôtre, celle de tous les acteurs du cinéma et de leurs interlocuteurs.
Je remercie l’association Le Deuxième regard d’avoir initié cette charte, symbole de cette politique volontariste que nous menons ensemble. Nous continuerons très fermement ce combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur nos écrans.
Je vous remercie.